bandeau site Grain de sable
vendredi 03 mai 2024
http://www.resoo.com/graindesable
journal@attac.org

Accueil Archives Autres Ftp.pdf Liens
 
(Par Jean Tardif) Quelle est aujourd'hui la plus grande menace qui pèse sur le pluralisme culturel? Les pressions exercées pour libéraliser l'accès aux marchés culturels ou la concentration accélérée des grands médias? Deux événements récents montrent que ces questions sont étroitement liées. Et que la concentration est sans doute le phénomène le plus décisif


La concentration des médias, jusqu'où?

Le 27/06/2003
Ecrire à l'auteur de l'article - Grain de sable
q


uelle est aujourd'hui la plus grande menace qui pèse sur le pluralisme culturel? Les pressions exercées pour libéraliser l'accès aux marchés culturels ou la concentration accélérée des grands médias?

Deux événements récents montrent que ces questions sont étroitement liées. Et que la concentration est sans doute le phénomène le plus décisif.

Le 2 juin, à Washington, l'Agence fédérale des communications a pris une décision qui autorise une concentration accrue des médias. Désormais, un seul groupe de médias pourra contrôler jusqu'à 45% de l'audience télévisée nationale contre 35% jusqu'à présent. Les limites qui empêchaient jusqu'à présent les chaînes de télévision et les journaux s'adressant aux mêmes publics d'être possédées par une même entité pourraient être levées. Cette décision est justifiée par le désir des grands groupes de mobiliser un plus grand nombre de téléspectateurs pour rester viables sur le marché de la publicité. La rentabilité est clairement affichée comme l'objectif premier. «Atteinte dévastatrice au pluralisme et à la concurrence», commente Jeff Chester du Centre pour la démocratie numérique.

Dans un contexte où 5 grands groupes accaparent déjà 70% de l'audience de «prime time» et où le géant Clear Channel Communications attire 25% des auditeurs américains de radio, le renforcement de ces groupes pourrait mettre en cause la survie de médias indépendants. Ted Turner a noté que si ces règles avaient été en vigueur en 1970, il n'aurait pu démarrer Turner Broadcasting et plus tard CNN.

Cette décision américaine comporte des conséquences qui dépassent les frontières des États-Unis. Non seulement il deviendra de plus en plus difficile, sinon impossible, à des concurrents de pouvoir s'installer sur le marché américain de façon viable, mais, comme le note Robert W. McChesney, (Policing the Thinkable www.opendemocracy.net/articles/ViewPopUpArticlejsp?id=8&articleId=56) ces géants pourront utiliser leur poids pour promouvoir leurs intérêts et pour influencer la façon dont les débats sur la politique relative aux médias est véhiculée et comprise.

Le naufrage de Jean-Marie Messier dans l'opération Vivendi-Universal qui devait permettre à un groupe à polarité française de s'installer parmi ces géants, a démontré après les expériences de Sony, à quel point il est difficile d'y prendre pied. L'un des motifs de la décision pourrait bien être le désir de limiter les ambitions de l'Australien Rupert Murdoch, patron de News Corporation, sur le continent américain. Mais elle comporte bien d'autres conséquences.

Car cette concentration accrue renforce encore la capacité des groupes géants d'intervenir à l'étranger: les politiques nationales et les moyens déployés par les gouvernements risquent de ne pas faire le poids d'autant que ces interventions prennent souvent la forme «d'investissements».

C'est dans cette perspective qu'il faut situer la démarche faite le 14 mai dernier par les membres de l'International Communication Round Table (ICRT) auprès des membres de la Convention européenne, afin que celle-ci favorise le développement du commerce mondial et l'abolition des barrières commerciales. En d'autres termes, qu'elle favorise la liberté de prestations des biens et services dans le secteur des médias et non la préférence européenne. Et qu'elle interdise aux États de l'Union européenne d'exercer quelque action que ce soit sans autorisation préalable de la Commission en matière de commerce électronique et de radiodiffusion. Cet objectif pourrait être plus facile à atteindre dans l'Union élargie si ces questions étaient soumises au vote à la majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité, comme le souhaite la France.

Qui serait en mesure de bénéficier de ces marchés audiovisuels libéralisés? Sans doute ces grands groupes qui réalisent déjà plus de 40% de leurs recettes à l'étranger. Il serait peut-être temps d'utiliser le poids de ce marché audiovisuel européen dans les stratégies politiques.

Car si l'Europe, forte du poids de son marché déjà largement occupé par les productions américaines, cède, quels seront les moyens pour les pays en développement de résister à cet oligopole hégémonique?

La question de la concentration des médias, qui est liée à celle du contrôle des investissements étrangers dans les industries culturelles, - le thème de ce chapitre - constitue probablement l'enjeu le plus important dans les débats sur le pluralisme culturel. Elle ne peut être réglée par «l'exception culturelle» ni seulement en garantissant le droit des États à adopter leurs politiques culturelles, ainsi que le montre de façon éclatante et paradoxale la décision américaine du 3 juin, qui est une politique nationale.

N'est-il pas urgent pour tous les partisans du pluralisme culturel d'intervenir sur ces questions afin d'élaborer les réponses à ce défi? Notamment en envisageant un régime international pour régir ces investissements dans les industries culturelles et bannir ces oligopoles. Et en animant nos débats et en les élargissant aux milieux américains qui commencent à saisir les conséquences inacceptables de la logique industrielle appliquée aux médias.

Par Jean Tardif

Contact pour cet article. jean.tardif@planetagora.org

 
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°431) - http://attac.org
Accès Administrateur Grain de sable
©2002-2005 resoo.com / resOOsite v.0.9.6.6-3