Subject: [ATTAC] INFO 501 : LES ROUAGES DE LA GRANDE DISTRIBUTION From: Grain de sable Date: Wed, 16 Feb 2005 17:38:08 +0100 To: gds@attac.org COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°501) LES ROUAGES DE LA GRANDE DISTRIBUTION Mercredi 16/02/05 Merci de faire circuler et de diffuser largement. Le courriel est reçu aujourd'hui par 50506 abonnés ___________________________________________ S'abonner ou se désabonner http://www.france.attac.org/a3652 Confort de lecture et impression papier: Format RTF http://www.france.attac.org/IMG/zip/attacinfo501.zip Format PDF http://www.france.attac.org/IMG/pdf/attacinfo501.pdf ___________________________________________ Dans ce numéro 1.- COMMENT LES HYPERS FAVORISENT L'INFLATION Les hypers contre la vie chère, nous répète-t-on depuis trente ans. Résultat : entre 1998 et 2004, les prix ont davantage augmenté dans les grandes surfaces que dans le commerce de détail. par Christian Jacquiau, auteur du livre "Les coulisses de la grande distribution" 2.- COMMENT DES HYPERS DETRUISENT DES MILLIERS D'EMPLOIS La grande distribution va recruter 26500 personnes en 2005. Un chiffre qui ne dit pourtant rien des emplois détruits dans le commerce, des jobs délocalisés dans l'industrie ni de la pauvreté dans l'agriculture. par Christian Jacquiau, auteur du livre "Les coulisses de la grande distribution" 3.- COMMENT DES HYPERS DEFIGURENT NOS VILLES ET NOS BANLIEUES Paysage dénaturé, pratiques agricoles peu compatibles avec les principes du développement durable... Désolant ! par Christian Jacquiau, auteur du livre "Les coulisses de la grande distribution" 4.- LE SCANDALE DE LA TAXE D'EQUARISSAGE, UN HOLD-UP A 2 MILLIARDS D'EUROS C'est l'histoire d'une taxe de 2 milliards d'euros, payée par les clients à la caisse des grandes surfaces au moment où sévissait la crise de la vache folle, et que Bercy doit aujourd'hui rembourser... aux grandes surfaces ! par Christian Jacquiau, auteur du livre "Les coulisses de la grande distribution" ___________________________________________ 1.- COMMENT LES HYPERS FAVORISENT L'INFLATION * Les hypers contre la vie chère, nous répète-t-on depuis trente ans. Résultat : entre 1998 et 2004, les prix ont davantage augmenté dans les grandes surfaces que dans le commerce de détail. Prix bas, foire aux affaires, moins cher que moins cher... Plus les communicants de la grande distribution s'échinent à nous faire croire que notre pouvoir d'achat augmente, plus les prix flambent à la caisse des hypers et des supermarchés. L'indice des prix dans la grande distribution, que vient de publier l'Insee, révèle une véritable flambée sur la période 1998-2004. Tous les produits sont touchés : viandes (+ 15,4 %), boissons (+ 7,5 %), autres produits alimentaires (+12,6%), entretien, hygiène et beauté (+ 17,7 %). Et ce ne sont là que des moyennes ! Comble d'ironie, les prix progressent plus vite dans la grande distribution (+13,7 %) que dans les autres commerces (+10,4%). Et ce n'est pas fini... Quelques fins limiers de Que choisir se sont lancés discrètement dans une vaste opération vérité : 55 000 prix ont été relevés dans quelque 1200 points de vente. Les chiffres commencent à remonter des régions. Michel Ebran, le responsable du service enquêtes, reconnaît que " les prix ont continué de flamber gaillardement, malgré tout le bruit médiatique de ces derniers mois" ! De combien ont-ils augmenté ? Il faudra encore attendre quelques jours pour le savoir. Mais le sentiment des consommateurs pourrait bien être confirmé par les statistiques. Et la baisse de 1,57 % annoncée triomphalement par Nicolas Sarkozy se traduire par une hausse de 1 ou 2 %. Peut-être plus... Le divorce entre les consommateurs et la grande distribution remonte à la publication par Que choisir, début 2003, d'une enquête expliquant comment le passage à l'euro s'est accompagné d'une valse des étiquettes [1]. En moyenne, + 8,2 % sur deux ans ! Avec des pics de + 26,2 % pour les saucisses Herta, + 20,3 % pour les croquettes Friskies ou encore + 28,5 % pour l'huile Fruit d'or ! " La grande distribution raconte des salades, écrivait en septembre dernier Alain Bazot, président de l'UFC- Que choisir. Le mythe des prix bas dans la grande distribution en prend de nouveau un coup. L'idée que les fruits et légumes en grandes surfaces sont moins chers que sur les marchés traditionnels fait partie de celles qui, jusqu'à présent, étaient parmi les mieux ancrées dans les esprits. " Les résultats de l'enquête sont sans appel : " Les grandes surfaces ne sont pas vraiment moins chères pour les produits frais. " Pis encore, " pour les fruits et légumes, les marchés couverts ou de plein air sont souvent plus avantageux" . Cette polémique opposant Que choisir aux grandes enseignes a eu un effet inattendu : révéler " les drôles de pratiques qui régissent les relations entre producteurs et distributeurs " , les fameuses marges arrière. Un système qui oblige les fournisseurs non seulement à consentir des prix très bas, mais aussi à verser un droit d'entrée, à offrir des marchandises gratuites, à payer pour les têtes de gondoles, les prospectus, des prestations qu'ils ne reçoivent pas. Bref, payer, payer, payer... ou fermer leurs usines. Les marges arrière, un système vraiment pervers Chaque année, pour des motifs divers, les centrales d'achats réclament ainsi à leurs fournisseurs de 1 à 2 % de remise supplémentaire. Parfois beaucoup plus. Constituées essentiellement de prestations fictives ou survalorisées, les marges arrière ont augmenté de 83 % de 1998 à 2004, selon l'Institut de liaison et d'étude des industries de consommation (Ilec) ! Désormais, marges avant et arrière confondues, la part du distributeur (55,2 %) dans le prix d'un produit est supérieure à celle du fournisseur (44,8 %). Et c'est pire encore pour les PME dont la taxation peut aller jusqu'à 70% ! Suprême perversion du système, la hausse des marges arrière conduit les fournisseurs à augmenter leurs propres prix pour être à même d'acquitter le péage imposé par la grande distribution. Quant aux consommateurs, ils n'ont qu'à payer l'addition ! Censée mettre fin aux pratiques déloyales de la grande distribution, la loi Galland, votée en 1996, s'était fixé pour objectif d'empêcher les déréférencements abusifs et d'interdire les prix démesurément bas et la revente à perte. Bête noire des distributeurs, qui l'ont pourtant habilement utilisée pour engranger des profits pharaoniques, elle les empêche en fait de manipuler les prix en fonction de leurs promotions du moment. Voilà pourquoi Michel-Edouard Leclerc est parti en campagne contre cette loi. Et pourquoi Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, lui a emboîté le pas. Une mission d'information fut alors confiée à Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation. Objectif : " trouver les moyens de baisser les prix pour relancer la consommation " . Dans une approche qui fera date, le très haut magistrat a préconisé au ministre de l'Economie de légaliser les pratiques abusives et déloyales des distributeurs ! Ce qui fit dire à Christian Jacob, le très chiraquien ministre du Commerce, que l'on organisait le " blanchiment des marges arrière " . En clair, si Bercy retenait les suggestions de Guy Canivet, dont Michel-Edouard Leclerc est devenu un supporter inconditionnel, les distributeurs pourraient puiser à discrétion dans leurs marges arrière pour se livrer à une guerre des prix sur des articles judicieusement choisis. Exemple : les hypers font des promotions sur les jouets à Noël, financées par les remises obtenues sur les camemberts. Quitte, une fois les derniers magasins de jouets étranglés par cette " saine concurrence " , à augmenter les prix. Ce processus, qui a déjà abouti à la fermeture de milliers de disquaires de quartier, pourrait donc se généraliser à d'autres secteurs. Une idée : subventionner le petit commerce Pour éviter la fronde des petits commerçants, le rapporteur suggère de subventionner ce qu'il reste de commerçants indépendants. Le Fisac, créé pour aider les communes à préserver un tissu d'entreprises de proximité, se verrait ainsi doté de 30 millions d'euros supplémentaires, pour permettre notamment " la réalisation d'une campagne de publicité en faveur du commerce de proximité" . Cela revient à faire payer, parle contribuable, la publicité destinée au consommateur pour l'inciter à acheter dans des commerces de proximité dont on a préalablement organisé la non-compétitivité ! Le cas n'est pas unique. Le consommateur contribuable payait déjà trois fois pour ses fruits et légumes : - une première fois au distributeur. Et au prix fort (2,50 ¤ pour 1 kg de tomates payé 0,50 ¤ au producteur !) ; - une deuxième fois à son percepteur, pour compenser le préjudice subi par l'agriculteur et lui assurer le revenu que lui refusent les centrales d'achats ; - une troisième fois via les transferts sociaux, qui, déjà, ne parviennent plus à compenser les dégâts occasionnés par ce système ubuesque. Voilà comment, grâce au laxisme des pouvoirs publics, six centrales d'achats de distributeurs verrouillent le système et se partagent une véritable rente de situation. * première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004 Notes : [1] voir : " Grandes surfaces : prix... la main dans le sac " - enquête réalisée par Michel EBRAN, avec Aline LADEFROUX et les associations locales de l'Union Fédérale des Consommateurs pour le mensuel Que Choisir n° 422 de janvier 2005 2.- COMMENT DES HYPERS DETRUISENT DES MILLIERS D'EMPLOIS * La grande distribution va recruter 26500 personnes en 2005. Un chiffre qui ne dit pourtant rien des emplois détruits dans le commerce, des jobs délocalisés dans l'industrie ni de la pauvreté dans l'agriculture. Chaque jour qui passe égrène son chapelet de délocalisations. Dans ce climat morose, la distribution annonce plus de 26500 postes à pourvoir en 2005 ! La presse reprend en choeur : 7 000 chez Carrefour, 5 000 chez Auchan, 1000 chez ED... Ce discours de conquête masque une tout autre réalité : celle de recrutements motivés pour l'essentiel par un turn-over ultrarapide, véritable maladie endémique de la grande distribution. Mais aussi par un accroissement du nombre de points de ventes autorisés, aboutissant à accroître chaque année la surface de vente de quelques 3 millions de mètres carrés ! On détruit en silence d'un côté, on communique sur les recrutements liés aux nouvelles implantations de l'autre. Pourtant, " recrutement " ne signifie pas toujours " création d'emploi " . Pour preuve, Monoprix recrute pour faire face à une forte croissance... de départs en retraite prévue entre 2004 et 2008. Dans son étude d'impact du projet de centre commercial d'Aubervilliers, un fief communiste, la délégation de Paris de la chambre de commerce estimait en septembre 2000 que 4 commerces sur 10 pourraient disparaître et que 1130 emplois seraient menacés. Pour ne parler que des suppressions directes. Un emploi créé en grande surface, c'est 3 à 5 emplois détruits ailleurs. Destruction dont on ne parle jamais. Pour le seul troisième trimestre 2003, 4900 emplois ont disparu dans le commerce de détail dans l'ensemble du pays (voir tableau). Face à ces destructions massives, l'argument de la création de postes d'hôtesses de caisse fait de moins en moins illusion. D'autant qu'elles s'accompagnent, dans le même temps, d'une véritable désertification industrielle : entre 1985 et 2004, l'industrie a perdu 1 million de postes (de 4,8 à 3,8 millions). Une situation d'abus de position dominante De combien d'emplois détruits la grande distribution est-elle responsable ? Personne n'a jamais cherché aie savoir, alors même qu'elle a refondé toute la chaîne producteur-consommateur sur un seul et unique critère : le prix. Voilà, par exemple, ce qu'écrit le sénateur UDF Jean Arthuis, ancien ministre des Finances, dans la revue Futuribles : " Le combat permanent pour casser les prix d'achat à travers des centrales d'achats [...] permet d'écraser les prétentions de leurs fournisseurs, tout en ménageant les marges des distributeurs. Les pratiques les plus contestables se répandent, marges arrière exorbitantes, menaces de déréférencement, chantages sordides. Nous sommes en face de véritables abus déposition dominante. Les pouvoirs publics ne s'en émeuvent pas, car les prix vont baisser et les consommateurs, à défaut de travailler pour produire ce qu'ils consomment, se réjouiront de ces aubaines. [...] Les industriels tentent de résister, recherchent désespérément des gains de productivité, puis disparaissent ou délocalisent." Le monde agricole, lui, subit des crises à répétition qui ne sont pas que conjoncturelles : 25 % des paysans ont un revenu inférieur au RMI, 40 % disposent de moins du Smic pour vivre ! Toutes les vingt minutes, un paysan français doit quitter sa ferme, toutes les trois minutes en Europe. Pendant ce temps, la PAC (Politique agricole commune) subventionne les plus nantis. En Espagne, 150 000 clandestins travaillent pour une rémunération horaire de 2,41 ¤. "De Forcalquier à Gap, une quasi-monoculture de la pomme est née après la construction du barrage de Serre-Ponçon et le début de l'irrigation. Ce système de production intensif et spécialisé est assis sur une main-d'¦uvre abondante, sous-payée et disponible en permanence pour de courtes périodes ", rappelle Patrick Herman [1] dans les colonnes du Monde Diplomatique. Et d'ajouter : " Dans les Bouches-du-Rhône, le système d'emploi agricole se recompose avec le recours massif aux travailleurs immigrés, dans le cadre des contrats contrôlés par l'Office des migrations internationales (OMI), qui donne l'autorisation d'embaucher à l'étranger un ouvrier saisonnier. Ces contrats dits " contrats OMI ", qui ne concernent que le Maroc, la Tunisie, la Pologne, donnent lieu à toute sorte de trafics. Rapidement, les Marocains fournissent les gros bataillons des saisonniers. Habitués à de dures conditions de vie, ils vont désormais disparaître, engloutis dans ce triangle des Bermudes social qui va de Berre à Châteaurenard et Saint-Martin-de-Crau, devenus fantômes dans cette plaine où les chemins qui se croisent ne portent même pas de pancarte... Rares sont ceux qui osent témoigner " du patron qui ponctionne les salaires, du travail par 50 degrés sous des serres où flottent les pesticides pulvérisés sans protection... " Tout ça pour alimenter les linéaires de nos distributeurs préférés. L'effet est ravageur. Dans les hypermarchés et les supermarchés, la situation n'est guère plus enviable. Déjà précarisées et sous- payées, soumises à des contraintes horaires insupportables, les caissières (qui représentent aujourd'hui l'essentiel des effectifs de la distribution) devraient être amenées, elles aussi, à disparaître. Remplacées par des caisses automatiques. Une puce électronique a déjà pris place sur les étiquettes des produits que nous achetons. Officiellement pour éviter le vol. En fait pour permettre au client de se débrouiller sans caissière. La puce contient bien plus d'informations que les codes-barres. Finies, les manipulations à la caisse. On arrête son Caddie sur l'espace repéré au sol. Des rayons le traversent de part en part. Et l'addition est faite. Parallèlement, un nouveau concept, baptisé " magasin de convenience " , fonctionnant sans aucune intervention humaine, apparaît çà et là au c¦ur de nos villes. Ils fleuriront bientôt dans nos campagnes. Ces énormes distributeurs automatiques n'ont besoin que 35 m2 et de 5 m de vitrine pour trouver leur place dans notre paysage quotidien. La garantie, pour les exploitants, de ne pas débourser un seul centime en charges sociales. En deux ans, l'investissement est rentabilisé ! Une régression sociale sans précédent La grande distribution est un formidable accélérateur de la mondialisation néolibérale. Au nom de la libre concurrence et des prix bas, nous en sommes arrivés à accepter, sans broncher, une régression sociale sans précédent. Après soixante années de croissance et de création de richesse... la France n'aurait plus les moyens de sa protection sociale : trou de la Sécu, excédents de charges et trop-plein de dépenses publiques. Mais au fait, quel est le problème ? Trop de prestations ou... trop peu de recettes ? Moins de commerçants et d'artisans, moins de paysans, moins d'emplois dans les entreprises, c'est au final moins de cotisations salariales et patronales. Donc moins de retraites, moins de prestations sociales et moins de services au public. Commerce, industrie, agriculture, services... les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nous sommes loin du débat poujadiste opposant le petit au grand commerce. Le sujet de la grande distribution est transversal. Désormais, étudiants, retraités, fonctionnaires, professions libérales, paysans, commerçants, artisans et chefs d'entreprise sont sur le même bateau. Il s'agit là d'un véritable choix de société. Un jeu dans lequel le chacun pour soi ne peut que conduire au naufrage collectif. Mais le capitaine, comme l'équipage, regarde ailleurs. Et l'orchestre, inlassablement, continue à jouer " l'hymne à la consommation" . Son unique partition. * première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004 Notes : [1] VOYAGE AU PAYS DES HOMMES INVISIBLES - Fruits et légumes au goût amer - Le Monde Diplomatique - avril 2003 - http://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/HERMAN/10088 3.- COMMENT DES HYPERS DEFIGURENT NOS VILLES ET NOS BANLIEUES Paysage dénaturé, pratiques agricoles peu compatibles avec les principes du développement durable... Désolant ! Il suffit de parcourir l'Hexagone, l'un des pays les mieux pourvus en hyper et en supermarchés, pour mesurer l'étendue du maillage de la grande distribution. Partout, les mêmes panneaux, les mêmes enseignes, la même désolation architecturale. Une insulte aux architectes ! Un uniformisme désolant, procurant le sentiment d'être " déjà passé par là " . Des principes du hard discount -vente en entrepôt à prix bas -, il ne reste que de grands hangars en tôle ondulée, de vastes parkings asphaltés, des enseignes surdimensionnées, des rocades et des ronds-points qui défigurent le paysage. Dans un récent rapport, l'Inspection générale de l'équipement préconise une implication plus forte des directions départementales de l'équipement (DDE) dans les procédures qui régissent l'urbanisme commercial. Au moment où le territoire français est sursaturé de centres commerciaux, après trente années de laisser-faire, l'administration se penche enfin sur " la qualité des entrées de ville ". Une insulte à l'esthétique et au bon goût Dans le document qu'il a remis le 27 octobre à Christian Jacob, ministre du Commerce, le sénateur Alain Fouché explique que, " pour certains, les lois fixant les seuils d'autorisation ont engendré le développement de nouvelles formes d'activités et des équipements [...] dont les caractéristiques en matière d'architecture ne sont pas particulièrement intéressantes ". Comme si la loi Raffarin, soumettant à autorisation tout nouveau projet de surface de vente de plus de 300 m2, était responsable en quoi que ce soit de cette insulte à l'esthétique que sont ces centres commerciaux. En garantie de bon goût, le rapport propose que l'administration définisse les critères permettant d' " éviter de dénaturer le paysage " . Mais est-ce une garantie suffisante ? Les maires disposaient déjà, via la procédure d'autorisation des permis de construire, de tous les pouvoirs pour s'en préoccuper. On sait ce qu'il en est advenu. Le sénateur suggère que les critères d'esthétique, d'urbanisme et d'environnement deviennent des critères de " premier rang " . Moyennant quoi il faudrait... alléger la loi Raffarin. Et supprimer les fragiles études d'impact, au motif qu'elles sont... " trop lourdes, trop longues, trop complexes et souvent trop coûteuses " . Ce n'est pourtant pas la réalisation de cette étude - entre 10 000 et 15 000 ¤ - qui coûte le plus cher aux promoteurs pour obtenir les précieuses autorisations ! L'auteur regrette même qu'aucun recours, autre que celui du ministre, ne soit permis à l'encontre des architectes des Bâtiments de France, ces empêcheurs de bâtir en rond " dont les exigences entraînent souvent certains candidats à préférer l'implantation en périphérie plutôt qu'en centre-ville" . Des exigences qui empêchent, par exemple, d'implanter un " centre culturel " Leclerc dans les jardins du Luxembourg. Des parkings tendance " parc naturel " Bref, comme tous les rapports remis à l'ancien ministre des Finances (Nicolas Sarkozy) et à son ministre délégué d'alors (Christian Jacob), celui de Fouché va dans le sens d'une plus grande libéralisation, voire d'une totale déréglementation, au profit de la grande distribution. Autre facteur aggravant de la dégradation de l'environnement, la recherche des prix les plus bas à la production favorise la généralisation de pratiques agricoles peu compatibles avec les principes du développement durable : surexploitation des sols, monoculture, disparition de la biodiversité, banalisation et standardisation du goût... Et ce n'est pas l'avènement de l'agriculture raisonnée, autre piège à consommateurs, qui y changera quelque chose. Dans son premier rapport de développement durable, imprimé sur papier recyclé, Carrefour explique avoir amélioré en 2002 sa communication auprès des organismes de notation sociétale. Sa communication, sans aucun doute, mais la protection de l'environnement ? Le distributeur a adhéré au Club Pro-forêts du World Wildlife Fund (WWF) et promet de tout mettre en ¦uvre pour encourager " une gestion forestière durable, respectueuse de l'environnement, socialement bénéfique et économiquement viable " . Mais le même Carrefour, par l'intermédiaire de l'un de ses affiliés, envoie des bulldozers dans la mangrove martiniquaise, zone des plus fragiles, pour y édifier un nouveau centre commercial - l'île est pourtant largement saturée de grandes surfaces. La mode est au vert ? Pas de problème : les parkings sont relookés tendance " parc naturel " . " Pour respecter un quota d'espaces verts sur les parkings et parer les risques d'accidents lorsqu'on plante des arbres, on a créé le principe de la dalle de béton trouée d'herbe pousse par les interstices et les quotas environnementaux sont respectés ! " explique benoîtement Michel-Edouard Leclerc. Vive la modernité ! On parle d'insécurité, de mal-être, comme autant de problèmes spécifiques. Et si l'on s'attaquait enfin aux vrais désordres économiques, humains, sociaux et environnementaux qui résultent de la recherche des prix les plus bas ? * première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004 4.- LE SCANDALE DE LA TAXE D'EQUARISSAGE, UN HOLD-UP A 2 MILLIARDS D'EUROS * C'est l'histoire d'une taxe de 2 milliards d'euros, payée par les clients à la caisse des grandes surfaces au moment où sévissait la crise de la vache folle, et que Bercy doit aujourd'hui rembourser... aux grandes surfaces ! Nous sommes en 1996. L'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), dite " maladie de la vache folle " , fait des ravages. Philippe Vasseur, ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation du gouvernement Juppé 2, ne veut pas se retrouver avec des farines animales sur les mains. Une nouvelle taxe (l'" équarri-taxe " ) est alors instaurée, dans l'urgence, pour financer le stockage et la destruction des farines animales. A chaque fois qu'un bifteck passe en caisse, les supermarchés et les hypermarchés prélèvent une taxe qu'ils reversent ensuite à l'Etat. Simple. Sauf que, dans la précipitation, le gouvernement a omis de soumettre sa nouvelle taxe à l'avis de Bruxelles. Le savait-il ou a-t-il feint de l'ignorer ? Toujours est-il que son équarri-taxe n'est pas eurocompatible ! Cette petite étourderie, chiffrée à 2 milliards d'euros, pourrait bien se transformer en autant de bénéfices inattendus pour nos champions de la grande distribution. Avec la bienveillance de Bercy. En toute logique, c'est le consommateur qui aurait dû être remboursé. N'est-ce pas lui qui, à l'époque, a payé la taxe ? Certes. Mais comme il n'a pas conservé ses tickets de caisse, ce sont les grandes surfaces qui rafleront le pactole ! Combien ? De 100 000 à 300 000 ¤ pour un supermarché. Plus de 2 millions pour les plus gros hypermarchés. Un scandale, un vrai ! Créée en 1997, la taxe d'équarrissage n'a rapporté, au cours de la période 1997-2000, que 100 millions d'euros par an. Elle a été remplacée, dès 2001, par un nouvel impôt censé mieux répondre aux exigences de Bruxelles. Au passage, le prélèvement fiscal a subi une petite inflation de... 500 %, transformant les 100 millions d'euros de taxe annuelle en 500 millions d'euros d'impôt nouveau. En tout : autour de 2 milliards d'euros sur la période 1997-2003 ! L'enveloppe, pour l'ensemble des acteurs de la grande distribution, équivaut aux résultats nets cumulés des groupes Carrefour et Casino pour la seule année 2003 ou, si l'on préfère cette comparaison, à la somme débloquée pour les recalculés de l'Assedic au printemps dernier ! Pour le seul groupe Carrefour, les 400 millions d'euros escomptés pourraient augmenter " artificiellement" son résultat de 20 à 25 % ! Un beau cadeau de Noël en effet... Un vent de panique souffle sur Bercy Un vent de panique souffle alors sur Bercy. Nicolas Sarkozy fait subitement machine arrière : " D'accord pour rembourser la taxe prélevée de 1997 à 2000. Mais pas celle de 2001 à 2003 ! " Dans la matinée du 30 septembre 2004, l'ordre est donné aux directions régionales des impôts de bloquer les demandes de remboursement. Pis encore : les agents du ministère sont invités à faire du porte-à-porte pour aller récupérer, point de vente par point de vente, les sommes remboursées dans la précipitation. Tout cela, évidemment, dans la plus grande discrétion. On imagine le pataquès si, par malheur, l'affaire avait été ébruitée au moment même où le ministre communiquait sur ces 2 % de baisse de prix, arrachés de haute lutte aux grands distributeurs après d'interminables " nuits de négociations " . Bien qu'ils se soient empressés de répercuter auprès du consommateur la fameuse taxe, les distributeurs ont saisi la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Laquelle, dans son jugement du 20 novembre 2003, a considéré la taxe comme " une aide au secteur agricole, non conforme au droit européen " devant être remboursée aux distributeurs. Dans un premier temps, Bercy a joué profil bas, confirmant le 15 octobre 2004 avoir " intégré 1,4 milliard d'euros de remboursements au budget 2004 " , laissant au passage filer le reste sur le budget 2005... Quelques jours plus tard, le 8 novembre, les services de Nicolas Sarkozy ont contesté leurs propres chiffres, ne reconnaissant plus que 400 millions de dettes (100 millions par an de 1997 à 2000). " Autrement dit, Bercy avait mal lu l'avis rendu plus d'un an auparavant par la CJCE" , ironise Bertrand Gobin, le journaliste du magazine Linéaires qui, avec Marianne (n° 365, du 19 avril 2004), a révélé l'affaire. Ce revirement est d'autant plus étonnant que le juriste Me Goulard évaluait devant le Conseil d'Etat, le 15 juillet dernier, le contentieux en cours à environ 1,8 milliard d'euros. Pour cet avocat spécialisé, interrogé par le magazine Linéaires, " Bercy cherche à gagner du temps, car il faudra bien finir par rembourser les distributeurs " . Qui, en toute logique, devraient les reverser aux consommateurs. Las. Les géants de la distribution, entourés des meilleurs fiscalistes, fourbissent leurs armes pour arracher à Bercy, c'est-à-dire aux contribuables, ces 2 milliards d'euros. Des recours qui finissent par payer Pour parvenir à leurs fins, ils vont de nouveau déposer des réclamations, saisir les tribunaux administratifs, faire appel des décisions puis, vraisemblablement, saisir de nouveau la CJCE. Or, l'Etat a de grandes chances de perdre et de se voir infliger de lourdes pénalités. Certes, tout cela va prendre du temps, deux ou trois ans sans doute. Mais ce report est tout bénéfice pour les distributeurs ! Pour au moins deux raisons : - 1) les intérêts moratoires courent, cela en faveur des distributeurs, à un taux voisin de 12 %, c'est mieux que la Caisse d'épargne ou les sicav monétaires ; - 2) les distributeurs pourront ainsi étaler dans le temps des surprofits qui feraient mauvais effet en pleine campagne de baisse des prix. Bref, c'est encore le contribuable consommateur, auquel on annonce sans rire une baisse des prix, qui paiera la note. Pourquoi une telle erreur ? Nicolas Sarkozy a d'abord négocié avec la grande distribution au moment où celle-ci pensait recevoir la manne de la taxe. Avant, une fois l'accord signé, de suspendre le remboursement et d'éviter le scandale d'une taxe acquittée deux fois par les consommateurs ! Car c'est bien de cela qu'il s'agit : au moment où la grande distribution communique sur le commerce équitable et les prix prétendument bas, ces 2 milliards payés par les consommateurs à la caisse des supermarchés vont l'être à nouveau par les consommateurs contribuables pour " rembourser " aux distributeurs une taxe qui, au final, ne leur a jamais rien coûté ! * première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004 ************************************* coorditrad@attac.org est l'adresse du secrétariat de l'équipe des traducteurs internationaux qui nous font bénéficier bénévolement de leurs compétences. Vous aussi vous pouvez participer. Il suffit de contacter coorditrad en précisant votre (ou vos) langue maternelle, les langues depuis lesquelles vous pouvez traduire et votre niveau de compétence. Le travail de traduction est basé sur le volontariat et ne vous engage pas à répondre à toutes les demandes. 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