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(par Joseph Stiglitz, Professeur d'économie à l'Université de Columbia, Prix Nobel et auteur de " Globalisation and its Discontents ".) - publié dans le " Grain de sable " avec l'autorisation de l'auteur et du Guardian qui publia ce texte en anglais. L'Amérique prêche l'économie de marché, mais à l'intérieur du pays c'est une autre histoire


Faites ce que les Etats-Unis disent mais pas ce qu'ils font

Le 07/01/2004
Grain de sable
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'Amérique prêche l'économie de marché, mais à l'intérieur du pays c'est une autre histoire.


Aujourd'hui pour réussir, beaucoup d'économies émergentes, de l'Indonésie au Mexique, sont invitées à adopter un certain code de conduite et l'argument est clair: voilà ce que les pays riches ont fait et font, et si vous voulez être de ceux-là, vous n'avez qu'à faire comme eux. Les réformes seront dures, les "droits acquis" résisteront, mais si vous avez assez de détermination politique, vous en récolterez les bénéfices.


Chaque pays présente d'abord une liste de ce qui doit être fait et chaque gouvernement est tenu responsable de sa réalisation. Dans cette liste, figurent en première place la maîtrise du budget et le contrôle de l'inflation mais les projets de réformes structurelles sont aussi présents. Dans le cas du Mexique, l'ouverture du marché de l'industrie électrique, que la constitution mexicaine réserve à l'Etat, est devenue la réforme structurelle du jour exigée par l'Occident. Ainsi, les analystes vantent les performances du Mexique en ce qui concerne le budget et l'inflation mais critiquent le manque de progrès dans la réforme du secteur énergétique.


Ayant été intimement impliqué dans la mise en place de la politique économique américaine, j'ai toujours été surpris par la différence entre la politique économique que les Etats-Unis veulent imposer aux pays du tiers-monde et celle qu'ils pratiquent à l'intérieur. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls : la plupart des autres pays développés ou en développement continue à poursuivre des politiques "hérétiques".


Par exemple, les deux partis politiques dominants des Etats-Unis sont d'accord pour dire que lors d'une récession, il est non seulement admissible mais hautement conseillé de présenter un budget déficitaire. Et pourtant, on demande aux pays en voie de développement de veiller à ce que les banques centrales se concentrent sur la stabilité des prix. La banque centrale américaine, la Federal Reserve Board, elle, a le devoir d'équilibrer la croissance, l'emploi et l'inflation, ce qui lui vaut ainsi le soutien populaire.


Alors que les défenseurs de la libre entreprise critiquent la politique d'aide aux industries, aux Etats-Unis le gouvernement soutient activement les nouvelles technologies et ce depuis très longtemps. La première ligne télégraphique a été posée par le gouvernement fédéral américain en 1842. L'internet a été développé par les militaires américains, et beaucoup d'avancées technologiques américaines récentes sont le fruit de recherches dans la biotechnologie et la défense financées par le gouvernement américain.

Alors que l'on demande à beaucoup de pays de privatiser leur système de sécurité sociale, le système public américain est efficace - les coûts d'opération représentant une fraction seulement des rentes - et les bénéficiaires en sont satisfaits.

Alors que le système de sécurité sociale américain fait face actuellement à un problème de sous-financement, c'est également le cas pour bon nombre de fonds de retraite privés. Dans le système public de retraite, les personnes âgées sont prémunies contre l'inflation et les fluctuations du marché boursier, ce qui n'est pas le cas pour les fonds privés.





eaucoup d'aspects de la politique économique américaine contribuent de façon significative aux succès économiques du pays, mais ne sont presque jamais soulignés dans les discussions sur les stratégies de développement. Les Etats-Unis ont eu depuis plus d'un siècle des lois anti-trusts très sévères, qui ont pu servir à casser les monopoles dans plusieurs secteurs comme celui du pétrole. Dans certaines économies émergentes, les monopoles exercés sur le secteur des télécommunications sont en train de bloquer le développement de l'internet, affectant ainsi la croissance économique en général. Dans d'autres pays, les monopoles dans le secteur du commerce sont en train de les priver des avantages liés à la compétition internationale.
Le gouvernement américain a aussi joué un rôle important dans le développement des marchés financiers américains, en accordant des crédits directement ou à travers des entreprises gouvernementales, et en garantissant le quart de l'emprunt et même plus. L'institution créée par le gouvernement américain, Fannie Mae, qui accorde des prêts hypothécaires à la classe moyenne américaine, a aidé à faire baisser le taux de ces prêts, faisant ainsi des EU l'un des pays qui possède le plus grand nombre de propriétaires de logement privés, proportionnellement à la population. L'Administration des petites entreprises a fourni les capitaux nécessaires aux petites entreprises - certaines d'entre elles, comme la 'Federal Express', sont devenues aujourd'hui de très grandes structures. Aujourd'hui les prêts étudiants du gouvernement fédéral américain sont essentiels pour assurer que tous les jeunes Américains ont accès à des études supérieures, de la même façon qu'hier le gouvernement aidait financièrement les citoyens à avoir accès à l'électricité.


Les Américains ont pu faire occasionnellement l'expérience de l'idéologie de l'économie de marché et de la libéralisation, parfois avec des résultats désastreux. La déréglementation de l'ex-président Reagan des établissements d'épargne et de crédit a conduit des institutions financières à la faillite, ce qui contribua à son tour à la récession de 1991.


On doit adresser un message différent aux autorités mexicaines, brésiliennes, indiennes et à celles des autres états émergents: n'essayez pas d'atteindre une économie de marché mythique qui n'a jamais existé. N'écoutez pas les panégyristes américains intéressés: bien qu'ils prêchent la liberté des marchés, de retour au bercail, ils se reposent sur le gouvernement pour faire progresser leurs objectifs.


Au lieu de cela, les économies en développement doivent considérer soigneusement non pas ce que les US disent, mais ce qu'ils ont fait pendant toutes ces années passées avant d'émerger comme puissance industrielle et ce qu'ils font actuellement. Il existe de remarquables similarités entre ces politiques et les mesures adoptées pendant ces deux dernières décennies par les économies extrême-orientales couronnées de succès.

par Joseph Stiglitz, Professeur d'économie à l'Université de Columbia, Prix Nobel et auteur de " Globalisation and its Discontents ".

Traduit/relu par Narain Jasodanad et Karine Debarge, traducteurs bénévoles de Coorditrad
et publié dans le " Grain de sable " avec l'autorisation de l'auteur et du Guardian qui publia ce texte en anglais.

 
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