bandeau site Grain de sable
jeudi 02 mai 2024
http://www.resoo.com/graindesable
journal@attac.org

Accueil Archives Autres Ftp.pdf Liens
 
(Par Pierre Concialdi et Pierre Khalfa) "Les riches peuvent-ils payer les retraites?" se demande Thomas Piketty (Le Monde 11/06/03) avant de répondre négativement. A s'en tenir aux revenus déclarés, son argumentation semble difficilement contestable. Encore faudrait-il très largement la nuancer


Le capital peut continuer à payer les retraites!

Le 20/06/2003
Ecrire à l'auteur de l'article - Grain de sable
"Les riches peuvent-ils payer les retraites?" se demande Thomas Piketty (Le Monde 11/06/03) avant de répondre négativement. A s'en tenir aux revenus déclarés, son argumentation semble difficilement contestable. Encore faudrait-il très largement la nuancer. On sait que le Conseil des impôts a calculé qu'à peine 15% de la masse des revenus du patrimoine entre dans l'assiette de l'impôt progressif, à cause de la fraude fiscale, mais surtout en raison des multiples possibilités d'évasion fiscale. Plus globalement, un tiers des revenus distribués ne se retrouve pas dans les déclarations fiscales. L'approche fiscaliste atteint donc vite ses limites. Mais surtout Thomas Piketty ne se pose pas la bonne question. Le problème n'est pas de "faire payer les riches", mais de savoir si le capital peut continuer à payer les retraites comme il le fait depuis 1945.

Car, c'est effectivement la logique profonde de la répartition. La retraite est partie constitutive du salaire. Chaque salarié touche un salaire direct et une cotisation sociale qui lui est proportionnelle. Celle-ci est transformée immédiatement en prestation de retraite dans un processus de large mutualisation. Une partie du salaire est donc ainsi socialisée et la retraite est une forme de salaire payée par le capital.

Thomas Peketty nous explique que "quels que soient l'intitulé et le mode de perception utilisés, tout prélèvement finit toujours par être payé intégralement par les ménages". Si tel était le cas, on comprend mal l'opposition absolue du patronat à toute hausse des prélèvements. Notons au passage que le raisonnement de Thomas Piketty n'est pas exempt de contradiction. Si ce sont les ménages qui, en bout de course, doivent financer les retraites pourquoi diable envisager comme il le fait un partage des efforts entre hausse des prélèvements et augmentation de durée de cotisation? Le conseil d'orientation des retraites (COR) indique que si nous voulons maintenir le niveau actuel des pensions par rapport aux salaires, ce qui veut dire revenir sur les mesures Balladur de 1993 et évidemment rejeter le projet de loi actuel, il faudrait un peu plus de 6 points du revenu national, le PIB, à l'horizon 2040. En quoi cela est-il a priori problématique? Le poids des retraites dans le PIB s'est accru de 7 points entre 1960 et 2000. Pourquoi ne pourrait-il pas croître dans une proportion similaire dans les prochaines 40 années alors même que le revenu national aura au minimum doublé à cet horizon? Rien d'impossible, sauf à présupposer un "plafond de verre" au-dessus duquel les prélèvements ne pourraient plus augmenter. Un tel plafond n'existe évidemment pas et la seule question qui vaille est de savoir qui du travail ou du capital va supporter une telle augmentation.

Or nous savons que la part des salaires au sens large (salaires directs et cotisations sociales) dans le revenu national a baissé de 10 points en 20 ans à l'avantage des profits improductifs placés sur les marchés financiers et des dividendes versés aux actionnaires, l'investissement restant globalement stable sur la période. Un rééquilibrage est donc tout à fait possible. Le COR a calculé qu'il faudrait 15 points de cotisations supplémentaires à l'horizon 2040 pour financer les retraites, soit en moyenne une augmentation de 0,37 point par an. Le rééquilibrage de la part des salaires dans le revenu national peut prendre la forme d'une augmentation du taux de cotisation patronale. Une telle augmentation aurait des effets neutres sur la compétitivité des entreprises si elle était compensée par une baisse des dividendes ou des profits improductifs.

Mais, même dans le cas où la part des salaires dans le revenu national resterait ce qu'elle est aujourd'hui, l'augmentation des cotisations pour financer les retraites ne poserait pas de problème particulier. En effet, avec un revenu national qui au minimum doublerait à l'horizon 2040, le pouvoir d'achat des salariés serait, dans ce cas, multiplié par 1,8 au lieu de 2. Refuser toute augmentation des cotisations au prétexte qu'elle serait insupportable par les actifs a donc pour hypothèse implicite que, non seulement il n'y aurait pas de rééquilibrage de la part des salaires dans le revenu national, mais que celle-ci devrait continuer à baisser dans l'avenir.

Pour compléter notre démonstration, notons que les revenus distribués en 2001 par les sociétés aux ménages fortunés ont été de 46,1 milliards d'euros, soit plus que le besoin total de financement des retraites à l'horizon 2020 (43 milliards d'euros).

Alors oui, Thomas Piketty a raison de dire qu'il n'y a pas de "trésor caché". En effet, le "trésor" n'est absolument pas caché. Le problème de financement des retraites relève, comme il le note par ailleurs lui-même, de la répartition des richesses. C'est donc à ce problème qu'il faut s'attaquer et c'est cette question qui est au coeur du conflit social actuel.

Par Pierre Concialdi (économiste), Pierre Khalfa (Union syndicale G10 Solidaires) sont membres de la Fondation Copernic et du Conseil scientifique d'Attac

Contact pour cet article. khalfa@attac.org

 
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°430) - http://attac.org
Accès Administrateur Grain de sable
©2002-2005 resoo.com / resOOsite v.0.9.6.6-3