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(Par Isabelle Franck et Arnaud Zacharie) La taxe sur les transactions financières internationales (type Tobin) a déjà fait couler beaucoup d'encre. La France a été le premier pays de la zone euro à voter une loi en sa faveur. En Belgique, le travail de sape du mouvement altermondialiste a débouché sur un projet de loi qui devait être voté avant la fin de la législature arc-en-ciel. C'était sans compter sur l'absentéisme répété de plusieurs députés et sur les nombreux «coups bas politiques» des libéraux. Le projet de loi, ainsi laissé en suspens, sera-t-il intégré à la nouvelle déclaration gouvernementale? L'enjeu pourrait être de taille au vu des positions de certains gouvernements importants


Le vaudeville arc-en-ciel de la taxe de type Tobin

Le 08/07/2003
Grain de sable
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a taxe sur les transactions financières internationales (type Tobin) a déjà fait couler beaucoup d'encre. La France a été le premier pays de la zone euro à voter une loi en sa faveur. En Belgique, le travail de sape du mouvement altermondialiste a débouché sur un projet de loi qui devait être voté avant la fin de la législature arc-en-ciel. C'était sans compter sur l'absentéisme répété de plusieurs députés et sur les nombreux «coups bas politiques» des libéraux. Le projet de loi, ainsi laissé en suspens, sera-t-il intégré à la nouvelle déclaration gouvernementale ? L'enjeu pourrait être de taille au vu des positions de certains gouvernements importants.




ne idée vieille de trente ans

Depuis quelques années, un large mouvement citoyen international se mobilise pour demander l'établissement d'une taxe sur les transactions financières internationales. L'idée de taxer ces transactions vient de James Tobin, prix Nobel d'économie 1981 et ex-conseiller du président J.F. Kennedy, qui proposait en 1972 de «mettre un grain de sable dans les rouages de la finance internationale» pour répondre à l'instabilité provoquée un an plus tôt par l'abolition des Accords de Bretton Woods. La «taxe Tobin», nom donné à sa proposition, ne visait que les échanges de devises sur le marché des changes, taxés uniformément à hauteur de 0,25%.

Evidemment, une telle taxe ne suffirait en rien à empêcher les crises financières constatées ces dernières années. Elle ne modifierait pour ainsi dire que marginalement le fonctionnement des marchés financiers. En outre, depuis la proposition originale de James Tobin, les marchés financiers ont fortement évolué. C'est pour cela que de nombreuses variantes ont été proposées depuis lors, à commencer par l'idée de l'économiste allemand Paul Bernd Spahn, qui consiste à augmenter automatiquement la taxe faible et permanente de Tobin lorsque les cours dépassent une zone de fluctuation définie. Cette sorte de taxe à deux vitesses, fixée en période de stabilité à 0,01 ou 0,05% et pouvant atteindre jusqu'à 100% en cas de forte instabilité, vise à freiner, en les rendant très chères, les ventes massives de capitaux responsables de l'effondrement des cours. La mise en place d'une telle taxe est simple, grâce à la centralisation informatique de la liquidation des transactions. L'idéal serait qu'elle soit appliquée à l'échelle mondiale, mais l'Union européenne pourrait faire office de pionnier.

Une telle taxe présente de nombreux avantages. Elle serait un instrument de stabilisation des flux à la disposition des autorités monétaires. Elle pénaliserait fortement les allers-retours spéculatifs à court terme sans freiner les investissements productifs à plus long terme. Elle suppose une «traçabilité» des transactions financières internationales et serait donc un instrument de lutte contre la criminalité financière. Elle implique en outre un accord politique international et représenterait un premier pas vers la reprise en main des marchés financiers par les pouvoirs publics. Enfin, elle dégagerait annuellement un produit fiscal de plusieurs dizaines de milliards d'euros et pourrait contribuer à financer le développement durable des pays du Sud.

Seule ombre au tableau: il n'existe pas de gouvernement mondial, ni même de gouvernement européen élu sur lequel faire pression directement. Le processus de mondialisation étant inter-gouvernemental, les citoyens du monde doivent faire simultanément pression sur leurs gouvernements respectifs pour les inciter à prendre une décision collective. C'est notamment pour cela qu'ils se réunissent lors des sommets du G7 ou du Conseil européen, désormais fortement médiatisés.

Mais un autre type d'action, moins connu, consiste à travailler dans chacun des pays pour inciter chaque gouvernement à voter une loi l'engageant à appliquer la taxe de type Tobin dès que les autres gouvernements de la zone euro l'auront imité. Début 2000, l'Assemblée nationale française, poussée dans le dos par la naissance de l'association ATTAC (association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens), était la première à voter une telle loi. En Belgique, un travail de fourmi a été réalisé par le mouvement citoyen, mais aucune loi n'a finalement été votée.




e travail de fourmi des associations belges

Dès mai 1999, le réseau belge d'action contre la spéculation financière - composé des deux syndicats FGTB et CSC, de la toute jeune section belge d'ATTAC et de dizaines d'ONG et d'associations - organise à Bruxelles une interpellation des candidats aux élections de juin. Tous se déclarent en faveur d'une telle taxe. Dès le début de la législature arc-en-ciel, le réseau entame un dialogue avec chacun des partis. En novembre 1999, cela débouche sur le dépôt d'une résolution au Sénat par Jacky Morael (Ecolo), suivi un mois plus tard par Philippe Mahoux (PS). En 2000, cela suscite la création, par des parlementaires de nombreux partis, d'un groupe «taxe Tobin» au Parlement fédéral. Cette initiative débouche sur la création d'un groupe de travail de la Commission des Finances et Affaires économiques au Sénat. Ce groupe de travail procède à de nombreuses auditions d'experts qui amènent le Sénat à voter à une large majorité une résolution affirmant que la taxe de type Tobin est «faisable et souhaitable» et que son instauration n'est qu'une question politique. Cette conclusion est exprimée publiquement en juin 2000 lors d'un colloque organisé au Parlement.

En septembre 2001 à Liège, la question de la taxe de type Tobin est mise à l'agenda de l'insondable Conseil des ministres des Finances européens, sur fond de première manifestation commune entre les syndicats, les ONG et ATTAC et du Congrès européen citoyen rassemblant 1 200 personnes au Sart-Tilman. Dix jours après les attentats terroristes, la taxe est cependant rejetée bien loin dans les priorités des ministres européens. En mars 2002, après plusieurs mois de collaboration entre le réseau et des parlementaires de plusieurs partis de la majorité et de l'opposition, une proposition de loi est déposée à la chambre. Elle prévoit l'instauration d'une taxe de type Tobin au niveau de la zone euro, pour autant qu'une majorité de pays de la zone le décident[1].

Puis les mois passent. Pendant neuf mois, le projet de loi, annoncé avec grand fracas dans les médias par les «partenaires politiques», reste au frigo.




a dernière ligne droite tragi-comique de l'arc-en-ciel

Après neuf mois d'attentes et d'interpellations répétées des associations, le projet de loi est enfin ressorti du frigo le 18 février 2003, lorsque la Commission des Finances et du Budget de la chambre se livre à une nouvelle audition d'experts, à la demande du ministre des Finances Didier Reynders, toujours soucieux de gagner du temps. Suite à cette nouvelle audition, le vote du projet de loi est enfin fixé le mardi 11 mars 2003. Mais ce n'était là que le début d'un mauvais film politique. Résultat du vote: pas de quorum (sur 17 membres de la Commission, 9 doivent être présents pour q'un vote ait lieu) ! Retour le même jour à 14h00: toujours pas de quorum ! Une heure plus tard, le quorum est enfin atteint, mais seuls quatre dossiers sont traités sur treize, la taxe Tobin n'en faisant pas partie !

Le mercredi 26 mars, on prend (presque) les mêmes et on recommence. Résultat du vote: le ministre des Finances Didier Reynders lit pendant près d'une heure un avis défavorable de son administration fiscale daté du 2 octobre 2002 et rédigé en néerlandais. Le président de séance, Olivier Maingain (MR), suspend la commission pour distribution du document. Le député Van Weddingen (MR) exige, comme la loi le lui permet, la traduction en français du document avant que le vote ait lieu. Plusieurs députés (Leen Laenens (Agalev), Dirk Vandermaelen (SP-a), Gérard Gobert (Ecolo) et Karine Lalieux (PS)) dénoncent ces manouvres politiciennes et exigent un vote. qui n'aura pas lieu.

Dernier rendez-vous de l'arc-en-ciel sur la question, le lundi 31 mars. et nouvel épisode de la saga tragi-comique: le député Van Weddingen (MR), trop content sans doute d'avoir enfin trouvé un texte en français sur le sujet, lit un chapitre entier d'un livre de Dominique Strauss-Kahn, critique sur la taxe Tobin et ignorant les travaux récents comme ceux du professeur Spahn. Curieuse technique de citer Strauss-Kahn, ex-ministre des Finances du gouvernement Jospin, celui-là même qui reste à l'heure actuelle le seul à avoir voté en Europe une loi en faveur de cette taxe ! Quoi qu'il en soit, un peu de patience permet d'arriver au moment du vote. Mais c'était trop beau pour être vrai: certains députés libéraux sont absents, d'autres ont quitté la salle peu avant. Reste l'espoir d'une majorité alternative sans les libéraux, mais il manque un député CD&V pour que le quorum soit atteint. Suspension de séance. Rideau.




uid pour la prochaine déclaration gouvernementale ?

Face à une telle démission politique aussi près de la ligne d'arrivée, on ne peut que constater le «tout ça pour ça» de la consultation citoyenne et, in fine, s'interroger sur ce que signifie au juste «faire de la politique autrement». Le double jeu des libéraux a fortement pesé dans la balance, le sempiternel contre-argument d'une «bonne idée inapplicable car impliquant l'accord de nombreux gouvernements» s'étant subitement mué en simple «mauvaise idée» au moment du vote du projet de loi en Commission.

Pourtant, un tel vote permettrait de lancer une réelle dynamique politique. Dans la foulée du vote d'une «loi Tobin» par la France, l'Allemagne l'a inscrite dans sa déclaration gouvernementale en 2002. Une initiative similaire du nouveau gouvernement belge permettrait de former un axe «Paris-Berlin-Bruxelles» en faveur d'une telle taxe en Europe. Si on y ajoute les déclarations positives de pays aussi importants que l'Inde, le Canada ou le Venezuela, on se rend compte que l'idée d'une taxe sur les transactions financières internationales est loin d'être morte. A condition que certains gouvernements passent enfin de la parole aux actes.

Par Isabelle Franck, Permanente à Entraide et Fraternité/Vivre ensemble et coordinatrice du réseau d'Action contre la spéculation financière, et Arnaud Zacharie, Directeur de recherche au CNCD et porte-parole d'ATTAC-Belgique



[1] Proposition de loi (Mme Karine Lalieux et M. Jacques Chabot) modifiant, en vue d'instaurer une taxe sur les mouvements internationaux de capitaux, le Code des taxes assimilées au timbre et la loi organique du 27 décembre 1990 créant des fonds budgétaires, n° 1606/1.

 
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