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(Par Pierre Khalfa et Yamin Makri) Il faut bien comprendre que le combat altermondialiste se joue à tous les niveaux, qu'il nécessite des exigences d'ouverture et de dialogue, aussi bien au niveau local que mondial. Certes, nous travaillons pour une cause, mais la lutte altermondialiste exige une considération d'égalité entre les partenaires: on travaille avec les hommes et les femmes, jamais pour eux sinon ce serait trahir une certaine vision de notre travail et de notre cause


Les musulmans dans le mouvement altermondialiste en France

Le 19/08/2003
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NB (Naima Bouteldja). Quelles sont les principales dynamiques politiques qui traversent le mouvement altermondialiste français et qu 'est-ce qui fait sa singularité dans le contexte européen ?

PK (Pierre Khalfa, Syndicaliste (Union Syndicale G10 Solidaires) et Membre du Conseil d'Administration d'Attac.). Je ne suis pas sûr qu'il y ait une singularité vraiment importante, c'est un mouvement qui est en pleine vague d'élargissement, et ce phénomène est global bien qu'il prenne des formes différentes suivant les pays. L'apparition publique du mouvement en France s'est cristallisée sur deux événements précis. Le premier a été la victoire contre l'AMI (l'Accord Multilatéral sur l 'Investissement), la campagne menée à cette période, même si ce n'était pas une campagne de masse, a eu un impact important sur l'opinion publique, et forcé le gouvernement français (sous Jospin) à faire marche arrière. Ensuite les manifestations contre l'OMC au moment de Seattle, ont constitué un deuxième moment de mobilisation importante avec plus de 80 000 personnes dans toute la France ; Attac a été le principal moteur de cette campagne.

Depuis le mouvement altermondialiste français a peu à peu intégré des forces nouvelles, d'origine syndicale par exemple, alors qu'elles étaient jusqu'à présent absentes ou très méfiantes. Plusieurs confédérations syndicales traditionnelles ont commencé à rejoindre le processus du FSE (Forum Social Européen), la CGT et Force Ouvrière en particulier. Et c'est également le cas des forces d'origine chrétienne, ou encore et c'est la grande nouveauté, des associations issues de l'immigration. De plus nous avons commencé aussi à avoir un impact dans la jeunesse, notamment avec la lutte contre la guerre. La base sociale du mouvement altermondialiste, qui à l'origine était surtout un mouvement de classes sociales moyennes salariées, et qui touchait assez peu les exclus (même si certaines organisations d'exclus étaient présentes), s'élargit donc.

YM (Yamin Makri, Porte-parole du Collectif des Musulmans de France ; association membre du réseau Résistances Citoyennes). Le mouvement, dans ce qu'il a de plus institutionnalisé en France, se singularise par l'omniprésence d'Attac, organisation principalement influencée par deux courants: celui des souverainistes qui ont une conception très forte de l'Etat-nation et de la place que doit occuper l'Europe (une Europe qui réussirait à contrecarrer l'hégémonie américaine) et une composante d'extrême gauche. Dans les deux se retrouve une certaine méfiance à l'égard non seulement des mouvements de résistance religieux, notamment musulmans, mais aussi des mouvements issus des quartiers populaires.

Il ne faut pas faire l'erreur, cependant, de réduire le mouvement altermondialiste aux organisations ou personnalités qui travaillent dans le cadre du FSE. Nous travaillons avec plusieurs organisations de la mouvance altermondialiste (la confédération paysanne, les réseaux des " sans ".) et avec lesquelles nous n'avons ressenti aucun malaise, si ce n'est parfois chez certains, la crainte avouée, en s'associant à des mouvements de résistance musulmans, du "qu'en-dira-t-on ".

NB. Comment expliquez-vous la présence d'associations qui étaient restées jusqu'à présent très en marge du mouvement. Je pense aux organisations issues de l'immigration et également aux associations musulmanes. Qu'est-ce qui avait freiné la participation de ces mouvements jusqu'ici?

PK. Je pense qu'il faut d'abord faire une distinction entre organisations issues de l'immigration et organisations musulmanes. Certaines organisations Berbères ou Kurdes qui sont présentes dans le processus ne se réclament pas de l'islam et insistent même lourdement sur le caractère laïque de leur associations. Il n'y a donc pas adéquation entre les deux termes.

Ensuite, il y a effectivement depuis peu présence dans le mouvement altermondialiste d'un certain nombre d'organisations musulmanes ce qui est tout à fait positif. Cela renvoie à une double prise de conscience, du côté du mouvement altermondialiste d'abord, où on réalise mieux que la question de l'immigration est une question centrale, directement liée au phénomène de la mondialisation ; d'un autre côté les organisations issues de l'immigration ont également compris que les combats qu'ils mènent sur leurs propres terrains peuvent être amplifiés par l'existence d'un mouvement altermondialiste qui leur permet de faire le lien avec des thématiques plus larges. C'est la rencontre de ces deux prises de conscience qui permet une intégration de ces mouvements notamment dans le processus de construction du FSE, non sans difficultés par ailleurs.

YM. Il faut vraiment dire et répéter que ce que l'on appelle " les organisations issues de l'immigration " sont des mouvements français qui ont plus ou moins les mêmes interrogations que l'ensemble des populations issues des classes populaires. S'agissant des populations musulmanes, l'amplitude et l'expression de leur engagement citoyen ont été doublement ralenties.

Elles ont d'abord du consacrer une quinzaine d'années à essayer de démontrer la concordance qu'elles clamaient entre leur appartenance à ce pays et leur islamité. C'est cette seule perspective qui a occupé les esprits, pendant toutes ces années, à l'intérieur comme à l'extérieur de la communauté, générant kyrielle de conférences et de débats interminables sur les thèmes de "l'Islam et la République", "l'Islam et la laïcité". Aux yeux de nombreuses associations et responsables associatifs musulmans, ce débat est à présent dépassé: la grande majorité des musulmans français sont et se sentent véritablement "intégrés". Désormais, le débat se porte davantage sur la question de la contribution; à savoir, à partir de nos valeurs et dans le cadre de la société française, quelle pourrait être notre contribution ? Allons-nous rejoindre les fidèles de la pensée unique, ou prendre conscience que nous vivons dans une société qui produit de l'injustice et agir en conséquence ? Les positionnements politiques dans les associations musulmanes ne sont évidemment pas homogènes, mais dès lors que l'on opte pour la seconde perspective, comme nous le faisons, il reste à définir la nature de notre engagement et de notre résistance et les partenariats à développer ou à renforcer.

Mais le second frein, lui, subsiste: la participation des citoyens musulmans dans le champ social peine encore à se libérer des attitudes paternalistes et condescendantes de certaines composantes de la gauche française. Au fil de son histoire, celle-ci a souvent chapeauté toutes les questions liées à l'immigration, s'érigeant en défenseur des populations directement concernées. Et lorsque les musulmans, les "bazanés", les noirs. ont décidé de s'exprimer de manière indépendante, en expliquant qu'ils n'avaient pas besoin de porte-parole, les choses se sont compliquées.

Il n'y a aucun mystère, on retrouve souvent parmi les militants du mouvement altermondialiste actuel les mêmes personnes, les mêmes réseaux et donc les mêmes grilles de lecture que celles de la gauche traditionnelle. Une grande partie des conflits et tensions que nous avons vécus dans le passé avec certains courants de la gauche française refont donc logiquement surface dans le cadre du FSE par exemple. Nous connaissons très bien ce problème pour l'avoir vécu à de nombreuses reprises avec toutes ces personnes qui pensaient qu'il fallait montrer patte blanche devant la laicité et les valeurs de la République, et qui nous donnaient le sentiment humiliant, lorsque nous débattions avec eux, que nous étions en comparution devant des juges. Notre premier contact avec Attac s'est par exemple soldé par un débat de deux heures sur la question de la laicité et non pas sur la taxe Tobin. Tout ceci est symptomatique des vieux travers dont la gauche française a du mal à se départir.

NB. Quel rôle a joué l'émergence du mouvement anti-guerre dans cette évolution ?

PK. Il a servi de catalyseur et d'accélérateur des processus dans le sens où l'existence dans les grands pays capitalistes développés, de forts mouvements anti-guerre, en Angleterre, en Italie et même en France, dans la dernière période, a permis de déjouer le piège du "choc des civilisations" en pointant la responsabilité des Etats-Unis dans la situation actuelle. Le mouvement anti-guerre, soutenu massivement par l'opinion publique, a montré aux musulmans du monde entier et en particulier aux populations occidentales issues de l'immigration musulmane que nous refusions toute nouvelle croisade, même si elle se paraît des oripeaux de la lutte contre le terrorisme.

Cela a également concrètement permis au mouvement altermondialiste qui a joué un rôle décisif dans les mobilisations anti-guerre, de tisser des liens plus importants avec un certain nombre d'associations pour qui la question de la guerre était essentielle étant donné les liens de ces dernières aux questions liées à l'immigration, la Palestine et le Proche-Orient plus généralement.

On ne peut dissocier la lutte contre la mondialisation libérale de celle contre les orientations de l'administration américaine. Ce sont des luttes qui, même si elles ne se recoupent pas entièrement, sont très liées l'une à l'autre, les desseins des Etats-Unis étant d'occuper une place hégémonique dans le cadre de la mondialisation libérale et d'imposer leurs orientations au reste de la planète. La lutte contre l'hégémonie américaine est une question centrale pour le mouvement altermondialiste et dans cette perspective, la lutte contre la guerre, ou du moins sa menace, qui est maintenant un des axes permanents de la politique américaine également. Si le mouvement altermondialiste avait été absent de cette campagne, il se serait coupé de l'une de ses racines. Ce n'est pas un hasard si dans tous les pays, et en Europe en particulier, le mouvement altermondialiste a été le fer de lance des mobilisations contre la guerre car cela renvoyait à des coordonnées fondatrices de ce mouvement: lutter contre la domination américaine c'est lutter contre la puissance qui donne sa direction à la mondialisation libérale.

YM. Pour nombre d'organisations musulmanes, la question de la guerre a été capitale et a constitué un véritable tournant. Qu'on le comprenne ou non, l'Iraq, la Palestine, les pays arabes, l'Afrique, représentent une partie de notre mémoire, beaucoup d'entre nous ont encore de la famille dans les pays du Sud. Nous avions jusqu'ici toujours entendu: " faites votre choix, vous êtes français ou vous êtes algérien/ marocain. ", ou " parce que vous êtes d'ici vous devez oublier ce qui se passe là-bas, ne le mettez pas toujours en avant. ". A ces incantations, le mouvement altermondialiste oppose la vision suivante: " parce que nous sommes d'ici nous devons être solidaires de là-bas, parce que nous sommes français il est de notre devoir d'être solidaires des populations qui subissent l'humiliation et l'injustice au nom de la préservation des intérêts des puissances occidentales. en notre nom ! ".

Ces mouvements anti-guerre, au sein du mouvement altermondialiste, qui affirment la résistance aux nouvelles politiques colonialistes au Moyen-Orient mais également en Afrique (parce que je ne vois pas de différence fondamentale entre l'attitude américaine en Iraq et celle de la France en Côte d'Ivoire), ont attiré l'attention de nombreuses organisations musulmanes et aussi de jeunes issus des quartiers populaires.

Nous savons que les politiques du FMI tuent plus qu'une guerre en Iraq. Cependant, il est plus aisé, dans un premier temps, de mobiliser nos militants et les citoyens musulmans ou issus de l'immigration en général, en s'appuyant sur leur révolte face à une guerre impérialiste, imposée et injuste, que de leur faire réaliser l'ampleur des ravages causés par les politiques du FMI et de la Banque Mondiale dans les pays du Sud: les conséquences d'une guerre, éclatent aux yeux de tous devant le spectacle de l'horreur prise sur le vif. Les mobilisations anti-guerre ont souvent permis un premier niveau de conscientisation politique et c'est dans ces moments-là que l'on a pu le mieux expliquer quelle était la logique d'ensemble qui se cachait derrière ces catastrophes. C'est ainsi par exemple que le boycott d'un symbole américain, MacDonald's, se transforme en débat sur l'hygiène alimentaire, puis sur les OGM etc.

NB. La France est à nouveau le théâtre de débats passionnés, autour du thème de la laïcité, qui se cristallisent, comme il y a quinze ans, sur le port du foulard à l'école et même dans l'espace public. La présence dans le secrétariat du FSE d'organisations musulmanes a-t-elle également suscité des débats au sein des instances organisatrices et dans le mouvement plus généralement ?

PK. Il y a eu des débats plus ou moins larvés sur ce sujet en sachant que personne n'a osé défendre l'idée, que les organisations qui se réclamaient de l'islam n'avaient pas le droit d'être là. Une telle position aurait été une façon de stigmatiser l'islam en tant que religion alors qu'on acceptait des organisations chrétiennes et des organisations juives. La question ne pouvait pas se poser comme ça, tout au moins publiquement.

La question de la laïcité est une spécificité française liée aux rapports de classe particuliers issus de la révolution française, même si des processus similaires de sécularisation ont eu lieu dans le monde occidental. Que la laïcité soit en crise est une évidence car il y a une crise globale du modèle d'intégration républicain, dans le sens où ce modèle ne repose pas simplement sur la notion de la séparation des Eglises et de l'Etat ou sur le fait de reléguer la religion dans le cadre privé. Ce modèle est également porteur de l'idée d'intégration sociale, et notamment la possibilité pour les couches sociales les plus opprimées de voir leur préoccupations prises en compte. Cette idée, qui comme tout mythe fondateur ne correspond pas totalement à l'histoire réelle, est mise en crise par les politiques néolibérales depuis maintenant au moins un quart de siècle.

Dans ce cadre, cela n'a pas de sens de focaliser la question de la laicité sur la question du voile ou sur les rapports avec la religion, quand il y a 30% ou 40% de chômeurs dans les quartiers populaires et que parmi ces 40%, il y a une majorité d'immigrés ou de français issus de l'immigration et de culture musulmane. Refonder un modèle républicain d'intégration suppose avant tout de transformer radicalement la situation de ces populations et donc de rompre radicalement avec les politiques néolibérales.

Mais cela ne veut pas dire que la question de la laicité au sens restreint du terme, c'est à dire le rapport à la religion, est une question dépassée, au contraire c'est une question tout à fait réelle en France. Le combat historique progressiste a été un combat qui visait à reléguer la religion dans l'espace privé pour ne pas lui permettre d'intervenir ni dans le domaine social et encore moins dans le domaine politique, ce qui explique aujourd'hui les débats qu'il y a autour du voile.

Au delà de ce que l'on peut penser sur ce que signifie pour des jeunes filles le fait de porter le voile, c'est un mauvais combat que de vouloir l'interdire par une mesure administrative. C'est quelque chose qui au lieu d'être intégrateur dans la société française sera excluant. Focaliser la bataille sur le port du voile, c'est faire le jeu des intégristes qui ont besoin de combats symboliques et de martyrs pour se faire entendre. Il faut au contraire faire en sorte qu 'il y ait un processus d'intégration nouveau qui se mette en place et qui tienne compte du fait que la religion musulmane est la deuxième religion en France. Il faut trouver les formes qui permettent à des musulmans de s'intégrer dans la société française.

Mais cela veut aussi dire qu'il y ait de la part de ceux qui se réclament de l'Islam une acceptation globale des règles du jeu. Par exemple, le droit musulman ne peut pas être la source du droit en France, y compris pour les musulmans. Les lois en France sont les mêmes pour tous. Elles peuvent être combattues et remises en question, mais elles s'appliquent à tout le monde. C'est l'un des problèmes qui devra peut-être être discuté avec les organisations musulmanes présentes dans le cadre du FSE. Il ne peut pas y avoir de règles différentes pour les musulmans, les chrétiens, les juifs, les athées. Je pense que ce type de question pose problème chez ceux qui se réclament de l'Islam politique et qu'elle doit être clarifiée.

J'ai lu récemment un article de Tariq Ramadan (dans la revue Pouvoir) qui traitait de la mondialisation libérale et de l'Islam dans lequel l 'auteur expliquait que les valeurs de l'islam étaient contradictoires avec la logique du profit, la mondialisation libérale etc. Je ne suis pas musulman, je n'ai donc pas à juger de la validité ou pas de tels propos. De même des chrétiens ou des juifs argumentent de leur foi pour s'engager dans un combat progressiste. L'auteur suggérait aussi (je cite de mémoire) qu'il fallait que les chrétiens, les juifs, les musulmans et les humanistes passent une alliance contre la mondialisation libérale mais que dans le cadre de cette alliance on ne pouvait pas demander aux musulmans de renier ce qui fait leur " être profond " et leurs " fondamentaux ". Le problème est de deux ordres: d'abord le mot athée n'était même pas prononcé, c'est à dire que dans l'imaginaire de cet auteur, dans sa vision du monde, le terme athée ne peut pas être écrit, il est remplacé par humaniste. Ensuite on ne sait jamais, et j'ai lu plusieurs articles de Tariq Ramadan, qu'est-ce qui fait son "être profond", ni même ce que "nos fondamentaux" signifient. Qu'est-ce que les musulmans progressistes considèrent être le noyau dur sur lequel il n'y a aucune discussion possible? C'est probablement ce genre de débats que l'on peut avoir dans le cadre du FSE.

YM. La masse des exclus constituée en partie par des populations musulmanes et/ou issues de l'immigration qui vivent dans les quartiers populaires avec parfois 40% de chômeurs, (soit le double, voire le triple de la moyenne nationale) n'a jamais réellement été le grand souci des cadres actuels du FSE. Ces gens-là sont en rupture. Le mouvement altermondialiste, ils ne savent souvent même pas de quoi il s'agit: comment causeraient-ils le moindre désagrément à ceux qui, au sein du mouvement, tiennent le gouvernail ? Ce qui agace véritablement ces petites assemblées, ce sont les acteurs indépendants issus de l'immigration et/ou musulmans qui ne se posent plus la question de l'intégration mais celle de la contribution et qui maîtrisent aussi bien que tout le monde les outils. Croit-on sérieusement qu'il soit sacrilège pour un intellectuel musulman européen, de prononcer le terme «athée» ? Qu'est-ce qui trouble rééllement dans les expressions «nos fondamentaux» et «notre être profond» ? Ces expressions n'ont rien de spécifiques à l'islam, il s'agit simplement, comme dans toute religion, du rapport de chaque musulman à la spiritualité, au transcendant. On nage vraiment en plein délire, à moins qu'il ne s'agisse d'une volonté de porter le débat sur des questions qui cantonnent les musulmans dans le rôle d'acteurs condamnés à se justifier à l'infini.

En réalité, le véritable problème d'intégration ne se situe pas là où beaucoup le pensent: les responsables associatifs traditionnels ne sont pas habitués à ces types de positionnement de la part des " basanés ". Il y a une nouvelle réalité militante sociologique et beaucoup de cadres ont du mal à accepter que, parmi les mouvements de résistance, certains s'inspirent de l'islam: ce serait tellement plus simple si ces musulmans pouvaient rester entre eux...

De notre côté, nous sommes très conscients, bien plus qu'il y a une dizaine d'années, de la mémoire collective française, et de l'émancipation qui s'est réalisée contre l'oppression cléricale. Au regard de cette mémoire collective, nous arrivons à relativiser les propos aux accents anti-religieux lancés par certains laïcs. Ceci étant dit, nous n'oublierons jamais que la laïcité, de 1905 à 1962, n'a pas été appliquée dans les départements français d'Algérie. C'est-à-dire que ces lois laïques, synonymes d'émancipation individuelle et sociale pour certains, n'ont pas bénéficié aux peuples qui étaient sous la tutelle du gouvernement français ; et, jusqu'en 1962, les imams en Algérie étaient des salariés de l'Etat français. De cela aussi, nous sommes conscients. C'est pourquoi le débat portant sur la compatibilité entre l'islam et la laïcité nous paraît vicié à la source: malgré quelques notes de sincérité, on entend souvent que derrière la musique tambourine une forme de double-standard.

A ceux qui nous chantent la rengaine du problème entre les musulmans et laïcité, nous répondons que celle-ci et son corollaire, soit la non-ingérence du politique dans la gestion des affaires du culte musulman, constitueraient, en France, la meilleure protection pour que l'on puisse s'émanciper, si seulement ses laudateurs veillaient à la respecter eux-mêmes. Quand se rendront-ils compte qu'étant, en France, la " communauté " religieuse la plus faible, nous serions les premiers à en supporter les conséquences, si les principes de la laïcité devaient y être remis en question.

La loi est la même pour tous? Mais nous ne demandons que cela: nous ne voulons pas de loi d'exception ! Celle que certains cherchent actuellement à faire voter pour régir le port du foulard est une loi d 'exception, exception non pas territoriale comme du temps de l'Algérie française, mais ethnique, exception stigmatisant des individus au milieu de leur peuple, tous nés sur le même sol. De ces mêmes principes de traitements différenciés sont issues les lois sécuritaires de Mr Sarkozy... Il est tout de même aberrant que l'on en soit encore à ce stade, alors que le Conseil d'Etat, l'instance juridique suprême en France, s'est déjà prononcé contre l'interdiction du port du foulard en milieu scolaire. Il a en effet estimé que le devoir d'indépendance incombait au corps enseignant, que le foulard n'était pas anti-laïque en soit et que seuls étaient interdits un comportement prosélyte, laxiste ou dangereux de la part des femmes qui le portaient. Quand Mr Sarkozy sur un plateau de télévision dit " moi quand je rentre dans une mosquée, j'enlève mes chaussures ; les élèves quand ils rentrent dans une école ils doivent enlever leur foulard ", il met sur un même pied d'égalité la mosquée et l'école: une religion contre une autre en somme ! C'est vraiment le meilleur moyen de former des musulmans anti-laïcs et des laïcs anti-musulmans.

NB. Dans quelle mesure ces débats concernent-ils le mouvement altermondialiste qui est un mouvement internationaliste, et dont l'un des leitmotivs a été jusqu'à présent la convergence dans la diversité? La participation des différentes forces sociales s'opérant sur la base d'un rejet des politiques néolibérales dans le cadre de la Charte des Principes.

PK. Le mouvement altermondialiste est un mouvement qui lutte pour l'émancipation de l'humanité. La question du rapport aux religions fait donc partie des problèmes à traiter. Un des grands apports des combats du passé a été de considérer que le sort des êtres humains dépend d'eux-mêmes, que la société fait ses propres lois (bonnes ou mauvaises), qu'elle peut donc en changer, et que celles-ci ne sont issues d'aucun livre aussi considéré comme sacré soit-il. C'est cette vision du monde qui est à la racine du combat contre l'emprise du religieux sur la vie publique. Ce combat a pris certes des formes particulières en France avec la laïcité, mais il s'est déroulé dans tous les pays européens. Il est loin d'être terminé quand on voit aujourd'hui la remontée des fondamentalismes, musulman, mais aussi chrétien et juif.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas travailler avec des organisations se réclamant d'une religion. Aujourd'hui, comme hier, les pensées politiques issues d'une religion sont très hétérogènes et il serait absurde de traiter par exemple de la même façon Témoignage chrétien, qui est membre fondateur d'Attac, et les intégristes disciples de Mgr Lefevre. Cependant au nom de la lutte contre la mondialisation libérale, nous ne pouvons accepter de fermer les yeux sur un certain nombre de projets, comportements ou déclarations totalement opposés aux valeurs démocratiques d'émancipation et d'égalité, notamment entre hommes et femmes, qui sont celles du mouvement altermondialiste. L'ennemi de mon ennemi n'est pas toujours mon ami.

YM. Le rapport des différents courants de la gauche aux mouvements de résistance religieux est très différent d'un pays européen à l'autre, et nous le percevons clairement dans le cadre des réunions préparatoires européennes du FSE. Ces divergences seraient davantage prononcées encore si on faisait le parallèle entre les points de vue prédominants sur cette question en France et ceux d'Amérique latine ou d'Asie. Quand l'Assemblée des mouvements sociaux à Porto Alegre s'ouvre sur une représentation théâtrale à forte connotation biblique, cela ne suscite pas le moindre émoi parmi les nombreux apôtres de la laicité présents dans la salle. La présence relativement ancienne des courants d'inspiration chrétienne dans la mouvance altermondialiste n'a jamais eu l'air de perturber la sérénité de ces belles âmes. Nous ne nous faisons pas d'illusion, ce regain d'intérêt chez certains sur la question du rapport du mouvement à la religion alors que cette question a quasiment été ignorée à Florence et dans les précédents forums est révélateur du malaise suscitée par la présence totalement nouvelle des mouvements de résistance d'inspiration musulmane. Mais nous ne pouvons que nous féliciter que cette thématique soit abordée au prochain FSE, il faut que les différents points de vue s'expriment et que ce débat dépasse le cadre franco-français dans lequel il est enlisé.

NB. Quels sont les défis majeurs qui se posent au mouvement altermondialiste, dans la perspective du FSE à Paris St Denis en Novembre prochain ?

PK. Le premier défi pour le mouvement altermondialiste en Europe, est précisément la question de l'Europe. On est peu présent sur ce terrain même si c'est en train de changer. Aujourd'hui la vie de tous les citoyens européens et des peuples d'Europe, est surdéterminée par les politiques de l'Union Européenne. Le combat contre l'Europe libérale est central. Les politiques de libéralisation, de destruction de droits sociaux qui sont menées à l'échelle européenne, sont un défi majeur du mouvement altermondialiste. C'est en s'inscrivant dans ce combat que le mouvement altermondialiste fera la preuve de son utilité.

Le second défi est celui de la diversité. Il faut que l'on soit capable à la fois d'avoir un mouvement qui s'élargisse et donc puisse intégrer de nouvelles forces, et un mouvement qui permette également aux forces qui le désirent de mener les batailles qu'elles pensent être les plus importantes. Il faut des espaces de débats et d'échanges qui permettent que se créent petit à petit dans le mouvement une culture commune, des réflexes communs et une confiance politique. Mais il faut aussi être en capacité de mener dans le mouvement altermondialiste une politique de "coopération renforcée", et que ceux qui le désirent puissent agir, avec l'approbation nécessaire au moins tacite des autres, sur tel ou tel terrain, parce qu'on n'arrivera pas à se mettre tous d'accord sur tout.

YM. L'un des principaux défis du mouvement altermondialiste est celui de la diversité culturelle. Les meneurs actuels sont et resteront des gens issus des classes favorisées du Nord, le niveau de vie et la relative " paix sociale " dans les pays industrialisés permettant une meilleure et plus rapide structuration du mouvement. Si le mouvement ne veut pas se condamner à une mort prématurée, il doit éviter de devenir le mouvement des prêcheurs du Nord venant apporter la bonne parole au Sud. Il doit également éviter de retomber dans les mêmes travers que les mouvements socialistes, communistes ou tiers-mondistes d'antan, qui ont parfois justifié l'injustifiable.

Si, dans le Nord, le mouvement s'avère incapable d'établir des ponts avec les populations résidentes issues du Sud, alors c'est un mouvement mort-né. Je ne vois pas comment un français dit " de souche ", s'il éprouve de grosses difficultés à communiquer avec un français issu de l'immigration et/ou musulman dans le Nord, simplement à cause de leurs différences ethniques et religieuses, alors qu'ils ont tous deux été dans les mêmes écoles, les mêmes universités et parfois vécu les mêmes galères. Si ça lui est impossible, alors non, je ne vois pas comment il pourrait prendre part à un authentique dialogue avec les arabes et les musulmans du Sud.

Il faut bien comprendre que le combat altermondialiste se joue à tous les niveaux, qu'il nécessite des exigences d'ouverture et de dialogue, aussi bien au niveau local que mondial. Certes, nous travaillons pour une cause, mais la lutte altermondialiste exige une considération d'égalité entre les partenaires: on travaille avec les hommes et les femmes, jamais pour eux sinon ce serait trahir une certaine vision de notre travail et de notre cause.

Contact pour cet article. naimabouteldja@onetel.net.uk

 
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