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(Par Vincent Drezet) L'annonce de la prochaine réforme de l'impôt sur le revenu en France aura au moins eu le mérite de montrer au grand jour quelle était la réalité de la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne. Annoncées à grands renforts de communication sur l'air de la simplification et de l'adaptation aux contraintes de l'économie dite moderne, la refonte du barème de l'impôt sur le revenu et les mesures concomitantes (le plafonnement de l'imposition à 60% des revenus notamment) montrent la volonté du gouvernement de prendre une longueur d'avance dans la concurrence fiscale européenne


Vers une accélération de la concurrence fiscale

Le 19/10/2005
Grain de sable
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'annonce de la prochaine réforme de l'impôt sur le revenu en France aura au moins eu le mérite de montrer au grand jour quelle était la réalité de la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne. Annoncées à grands renforts de communication sur l'air de la simplification et de l'adaptation aux contraintes de l'économie dite moderne, la refonte du barème de l'impôt sur le revenu et les mesures concomitantes (le plafonnement de l'imposition à 60% des revenus notamment) montrent la volonté du gouvernement de prendre une longueur d'avance dans la concurrence fiscale européenne. Ces mesures sont annoncées au moment où le débat sur la fiscalité en Allemagne met en lumière des velléités similaires. La campagne législative outre-rhin a en effet assez largement porté sur la fiscalité, les deux principaux partis politiques évoquant conjointement la nécessité de baisser l'impôt sur les sociétés, le CDU allant même jusqu'à évoquer la perspective d'un impôt unique, version à peine plus modérée de la Flat Tax. En France, le débat fiscal montre pour le moins un net recul de la notion de justice fiscale : la TVA est présentée de plus en plus comme l'impôt idéal et, plus généralement, de moins en moins de responsables remettent en cause le principe d'une baisse de l'imposition des sociétés et/ou des revenus. Cette simultanéité des débats ne doit malheureusement rien au hasard. Déjà, lors des discussions portant sur le budget de l'Union européenne pour la période 2007-2013, la France et l'Allemagne, montrant l'absence de volonté commune de proposer des règles visant à contrer la logique concurrentielle, ont demandé la limitation du budget communautaire à environ 1% du montant total du revenu national brut des Etats membres alors que la limite est de 1,24% [1].

Le signal adressé par deux des plus éminents fondateurs et moteurs de la construction de l'Union européenne aux autres Etats membres est clair et inquiétant : en actant le principe du chacun pour soi et de la guerre économique globale, on ne peut que faire la joie de ceux qui peuvent se déplacer et optimiser le jeu des différentes législations fiscales et de l'évolution à la baisse de l'imposition des revenus, des bénéfices et du patrimoine. Quant aux autres, contribuables immobiles donc captifs des choix fiscaux, ils en subiront les conséquences : hausse des impôts indirects, paupérisation, voire privatisation, des services publics...

La concurrence fiscale a plusieurs effets. Au niveau de l'imposition des sociétés, qu'il s'agisse de mesures relatives aux taux ou aux assiettes, les Etats ont multiplié les mesures en faveur des entreprises pour favoriser les conditions de l'offre : exonération des dividendes ici, régimes privilégiés des holdings là, le tout sur fond de convergence générale des taux à la baisse. La moyenne européenne des taux nominaux est passée de 45/50 % au milieu des années 70 à 25 voire 20% aujourd'hui. En matière d'imposition des revenus, dans de nombreux pays, les barèmes ont été revus à la baisse, notamment les taux supérieurs qui affectent les hauts revenus. Entre 1986 et 2002, cette baisse a atteint 10 points en Espagne, 11 points en Italie, 12 points aux Pays Bas, 15 points en France et en Allemagne, 18 points en Belgique, et 20 points en Grande Bretagne. La fiscalité du patrimoine est dans la même spirale : en Italie, Berlusconi a purement et simplement supprimé les droits de succession et de donation (sauf très rares cas) et, en France, on a multiplié les mesures en matière de transmission du patrimoine (donations, successions). Pour la TVA, la coordination s'effectue en revanche par le haut, soit autour de 20% en ce qui concerne le taux normal alors que ce taux était partout inférieur lors de l'introduction de la TVA dans les Etats membres. Quant aux nouveaux entrants, qui ne seront pas assez aidés par le budget européen, ils sont de plus en plus tentés de se tourner vers la forme d'impôt la plus simple et la plus injuste, la Flat tax (un taux unique d'imposition sur les revenus, les bénéfices et la consommation). Du fait de leur situation économique et sociale et de l'éloignement de la zone centrale du marché européen, attirer des localisations d'activités ou de bénéfices [2] passe pour eux par un dumping accru. Au sein de l'Union européenne, le constat est donc clair : la concurrence fiscale se traduit par une surenchère à la baisse des taux de prélèvement, par une dégradation des biens et des services publics et par un transfert de la charge fiscale sur les bases les moins « mobiles » (via les impôts indirects) notamment les salariés, les chômeurs, les retraités...

Il est donc vital de progresser vers l'harmonisation des systèmes fiscaux, ce qui impose de rapprocher les règles d'assiette et d'instituer des taux minimums pour éviter une concurrence sur les seuls taux. Pour y parvenir, il pourrait être institué un « serpent fiscal européen » qui, progressivement, limiterait puis diminuerait les écarts entre fiscalités et, ainsi, entraînerait une harmonisation « par le haut » [3]. Ce serpent fiscal serait constitué d'un ensemble de mesures visant à instituer des taux moyens d'imposition « plancher » pour les impôts directs (sur les revenus, les patrimoines et les sociétés) et, a contrario, « plafond » pour les impôts indirects (TVA, accises), à intensifier la coopération entre autorités publiques contre l'évasion et la fraude fiscales internationales, à rapprocher les règles juridiques en matière de droit des sociétés ou encore à automatiser les échanges d'informations entre autorités publiques. Ce dernier point est important : il doit permettre de parvenir à lever le secret bancaire ainsi que diverses formes d'obstacles juridiques relatifs, par exemple, aux sociétés écrans. Enfin, l'élargissement a rendu la question du budget européen également sensible, on l'a vu : le limiter conduit à maintenir les nouveaux Etats dans une logique de dumping, puisqu'en l'absence de solidarités, il ne leur reste comme stratégie de développement que leur stratégie fiscale. Le budget est l'acte politique majeur dans une démocratie : pour prendre en charge les besoins européens et financer les solidarités européennes, renverser la tendance actuelle est indispensable. Cela consisterait dans un premier temps à utiliser toutes les marges de man¦uvre existantes [4] pour dépasser la limite actuelle et développer une véritable politique budgétaire européenne.

D'autres pistes existent [5]. L'une d'elles concernerait le financement du budget européen. Le budget communautaire est actuellement alimenté par quatre ressources : des droits de douane à l'importation de pays tiers, des prélèvements sur les importations de produits agricoles, une ressource calculée sur l'assiette de la TVA et un prélèvement sur les budgets nationaux. Ces deux dernières ressources émanent directement des budgets nationaux et représentent environ 85% du budget européen. Il n'existe donc pas d'impôt européen qui pourrait favoriser l'identification et la responsabilisation de l'Europe et constituer ainsi un pas « politique » important [6]. Un impôt européen sur les sociétés présenterait par exemple plusieurs avantages : il permettrait à la fois de constituer un niveau d'imposition minimum des sociétés et de rapprocher, voire d'harmoniser, les règles actuelles de détermination de l'assiette de l'impôt sur les sociétés retenue par chaque Etat membre. Enfin, il forcerait les Etats membres à coopérer et ainsi à intensifier une lutte contre la fraude aujourd'hui bien atone [7]. Par ailleurs, plusieurs taxes globales pourraient être également mises en place au niveau de l'Union européenne qui gagnerait ainsi un rôle nouveau se répercutant au-delà de ses frontières : qu'il s'agisse de la taxation des transactions ou de la mise en place d'écotaxes, l'Union européenne est le niveau adéquat d'une telle fiscalité internationale.
Il est souvent avancé que la France, seule, ne pourrait procéder à une évolution de sa fiscalité à sens contraire des autres Etats membres. Au-delà du paradoxe consistant à observer la perte progressive de sa souveraineté fiscale alors qu'au Conseil, les décisions fiscales relèvent de l'unanimité (pour précisément, ne pas entamer la souveraineté des Etats membres !), il est important d'affirmer que, pour une économie globalement peu ouverte comme l'est l'Union européenne, donc capable de définir ses propres règles du jeu, le rapprochement des législations fiscales est tout à fait possible. Par ailleurs, une telle orientation vers plus de justice fiscale et sociale aurait un impact international éminemment plus positif que la logique concurrentielle dévastatrice actuelle.

Les chantiers fiscaux européens sont certes immenses et le grand soir fiscal n'est pas vraisemblablement pas à l'ordre du jour. Il n'en demeure pas moins qu'une évidence s'impose : la marche vers l'harmonisation fiscale européenne est légitime et nécessaire. Elle attend désormais une véritable impulsion politique.

Notes :
[1] Le plafond des ressources propres a été fixé par la décision du Conseil du 29 Septembre 2000. Initialement fixé à 1,27% du Produit National Brut (PNB) des Etats membres, le taux plafond est désormais de 1,24% du Revenu National Brut, une mesure différente du PNB. Il y a cependant équivalence entre les deux taux plafonds.

[2] Moins visibles, les délocalisations fiscales constituent un must des stratégies fiscales des multinationales. Le principe est simple : réaliser un bénéfice dans un pays offrant des biens et des services publics de qualité et transférer le bénéfice dans un pays à la fiscalité plus réduite. Mais face à des opérations de plus en plus complexes, l'administration fiscale apparaît bien mal armée...

[3] SNUI, Pour un serpent fiscal européen, Syllepse, Paris, 2004.

[4] L'enjeu de l'enveloppe budgétaire de la période 2007/213 porte sur un montant allant de 800 à 1 000 milliards d'euros.

[5] Il est paradoxal de constater que la Commission est parfois plus volontariste que les Etats membres (voir la Communication de la Commission)

[6] Cette question n'est pas récente : une résolution du parlement du 21 Avril 1994 portait sur ce sujet épineux que le Ministre des finances belge avait remis à l'ordre du jour, sans succès, en Juillet 2001.

[7] La lecture du rapport de la Commission du 16 Avril 2004 est à ce titre alarmante ; il y est précisé que la fraude à la TVA représente dans tous les Etats membres environ 10% des recettes nettes de cet impôt. Pour la France, cela représente environ 14 milliards d'euros. Notons au passage que ce chiffre confirme l'estimation du SNUI pour qui, plus globalement, la fraude à tous les impôts s'élève, en France, à plus de 50 milliards d'euros par an.

Par Vincent Drezet, secrétaire national du SNUI, membre du Conseil scientifique d'Attac

 
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