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(Par Albert Richez) Le prochain sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce aura lieu à Hong-Kong du 13 au 18 décembre 2005. Et l'OMC est l'institution internationale, qui illustre le mieux le caractère libéral des politiques commerciales d'aujourd'hui; un objectif prime tout: supprimer les entraves au libre échange, sans qu'aucun pouvoir ne puisse s'y opposer ! Dans cette logique, le sommet de Hong-Kong a pour objet de donner, par une coordination accrue des politiques libre échangistes, plus d'efficacité aux décisions, qui y seront prises sur quatre dossiers clefs, censés servir le développement. Pour comprendre les enjeux de ce sommet, interrogeons l'histoire et l'actualité de l'OMC à travers trois entrées : les principes directeurs de la politique de l'OMC, les domaines décisifs où cette institution veut «avancer», les enjeux de cette prochaine conférence inter ministérielle



Le sommet de l'OMC à Hong-Kong

Le 12/10/2005
Grain de sable
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e prochain sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce aura lieu à Hong-Kong du 13 au 18 décembre 2005. Et l'OMC est l'institution internationale, qui illustre le mieux le caractère libéral des politiques commerciales d'aujourd'hui; un objectif prime tout: supprimer les entraves au libre échange, sans qu'aucun pouvoir ne puisse s'y opposer ! Dans cette logique, le sommet de Hong-Kong a pour objet de donner, par une coordination accrue des politiques libre échangistes, plus d'efficacité aux décisions, qui y seront prises sur quatre dossiers clefs, censés servir le développement. Pour comprendre les enjeux de ce sommet, interrogeons l'histoire et l'actualité de l'OMC à travers trois entrées : les principes directeurs de la politique de l'OMC, les domaines décisifs où cette institution veut «avancer», les enjeux de cette prochaine conférence inter ministérielle.

Principes directeurs

L'OMC a été voulue par les pays développés et les Sociétés Transnationales (STN) originaires de ces pays et associées à toutes les négociations de l'Organisation. Elle a succédé, le 1er Janvier 1995, au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), simple accord douanier, qui ne couvrait que les produits industriels et ne pouvait arbitrer aucun litige. En avril 1994 à Marrakech, les pays riches transforment le GATT en OMC afin que la nouvelle institution puisse traiter, en plus des biens industriels, des services, de l'agriculture et de la propriété intellectuelle; et ils instaurent l'Organe des Différends (ORD), tribunal de l'OMC, dont les décisions autorisent l'application de sanctions d'ordre commercial ou financier. Et l'OMC ouvre ses portes dans les anciens locaux du siège du GATT à Genève le 1° Janvier 1995 ! Aujourd'hui, quelques 150 pays sont membres de l'OMC, ce qui leur donne le «droit théorique» de participer à ses négociations et à ses décisions selon le principe «un pays-une voix»; mais, dans bien des cas, par manque de moyens pour assurer une permanence politique et juridique à Genève, ils ne peuvent suivre, avec l'assiduité nécessaire, les négociations qui s'y déroulent en permanence. En fait, à quoi sert l'OMC si ce n'est à satisfaire aux exigences d'extension commerciale des STN (les 2/3 du commerce mondial a lieu soit au sein d'une même STN, soit entre STN) ? Pour parvenir à cette fin, l'OMC s'est donc dotée de principes et de règles, conformes à l'idéologie libérale. Du côté des principes, le marché prime tout; l'environnement, la démocratie, les lois sociales des Etats et même leur compétence à édicter des lois sont reléguées au second plan, relativement à l'objectif «d'un laisser-faire - laisser passer» commercial intégral, qui permettrait aux STN d'obtenir des rendements majeurs avec des produits de moindre coût, les valeurs d'ajustement du marché étant des salaires bas et un environnement totalement à la disposition des prélèvements de matières premières nécessaires à la production et au marché; les services seraient fournis sur une base commerciale et tout serait breveté, y compris le vivant ! Du côté de la réglementation, qui concerne tous les niveaux de décisions, dans un Etat donné, du municipal au national, 3 règles encadrent les pratiques commerciales :

 o  d'abord «la clause de la nation la plus favorisée» (NPF) (2) , selon laquelle un pays membre de l'OMC ne peut accorder une faveur à un autre membre sans qu'il l'accorde à tous - et les subventions sont concernées par ce dispositif -;

 o  la seconde règle concerne «l'accès au marché» : une instance décisionnelle (Etat, Conseil Général ou Régional, Commune ou Communauté de Communes, par exemple) ne doit limiter ni le nombre de ses fournisseurs ni le montant de leurs investissements ou le volume de leurs transactions ;

 o  enfin, avec «le traitement national», les mêmes décideurs s'engagent à traiter les fournisseurs étrangers au moins aussi bien que les fournisseurs nationaux.

Ainsi, si l'on applique ces 3 règles au marché des services, l'on parvient à l'Accord sur le Commerce Général des Services (AGCS), dont les statuts figurent en annexe de ceux de l'OMC ! Et, pour les services publics, l'on arrive aux conséquences suivantes: «ouverture de leur capital au privé» et mise en concurrence, puis, à terme, privatisation ! Par ce seul exemple, l'on voit l'incidence de l'emprise de l'OMC sur la vie politique, qui devient servante d'un libre-échange généralisé !

Domaines décisifs

Trois domaines, étroitement imbriqués dans l'ensemble des négociations apparaissent décisifs pour permettre à l'OMC de parvenir à Hong-Kong à un accord global, qui lui avait échappé à Cancun en 2003: l'agriculture, l'accès au marché des produits non agricoles (désignés par l'abréviation «NAMA») et les services. Précisons que, selon les domaines, les parties prenantes ont des intérêts divergents et que divers pays se sont constitués en alliances ; ainsi, pour le seul domaine agricole, l'on dénombre 7 alliances ponctuelles, qui associent, entre autres cas de figure, ou des pays riches exportateurs aidant leurs agriculteurs par des subventions ou des pays pauvres exportateurs mais ne pouvant s'introduire sur le marché international en raison de leurs coûts de production trop élevés. Et, dans la négociation globale, il est clair qu'une concession dans l'un des domaines peut faciliter une négociation sur d'autres !

Précisons donc les points sensibles du « marchandage » :

 o  Dans le domaine agricole, le «bras de fer» tourne autour des subventions et des barrières que l'UE comme les USA ne veulent pas réduire. Cela donne un avantage décisif à leurs exportations et limite leurs importations. Ce qui pèse, lourdement, à la fois sur l'économie de pays agricoles aux technologies moins avancées et aux coûts de production élevés, et sur des pays au fort potentiel d'exportation agricole mais sans capacité de subventionner.

 o  Les NAMAS visent la réduction des tarifs douaniers des produits non agricoles. A Cancun, l'écrasante majorité des pays du Sud avait refusé toute discussion sur ce sujet ; mais, malgré cette opposition massive, certains pays, développés ou émergents, ont continué à négocier à Genève et font maintenant porter le débat sur des coefficients de baisse des tarifs douaniers variables selon la situation de tel ou tel pays. Bien évidemment, les Etats des pays en développement tirant des ressources non négligeables de tarifs douaniers élevés demeurent hostiles à toute évolution de cette clause commerciale, qui correspond néanmoins à l'un des principes de l'OMC: «l'accès au marché».

 o  Enfin, l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) revient en force à la table des négociations de Hong-Kong, avec des perspectives de négociation accrues dans la mesure où les pays du Sud sont maintenant divisés entre des Etats qui continuent de refuser de proposer des libéralisations de services et d'autres qui, comme le l'Inde ou les Philippines, n'en font plus une opposition de principe et utilisent à leur profit le «mode 4» de cet accord, qui, notamment, risque d'internationaliser la clause du «pays d'origine» de la directive Bolkestein ; ainsi est facilitée «l'exportation» de leurs ressortissants par «la levée d'obstacles à la concurrence» sur le marché du travail des services ! Et il est évident que les USA comme l'UE joueront de cette division pour parvenir à un accord à Hong-Kong! Ainsi pourquoi, par exemple, ne pas favoriser un «mode 4» pour obtenir plus de souplesse sur les coefficients des droits de douane dans le domaine des NAMA ?
Quant au développement, objectif affiché de «la libre concurrence», il n'en sera jamais question de manière spécifique, puisqu'il est censé résulter du règlement positif de l'ensemble de la négociation !

Enjeux

L'OMC ne peut se permettre un nouvel échec après ceux de Seattle en 1999 et de Cancun en 2003; aussi peut-on compter sur Pascal Lamy, nouveau directeur général de l'OMC, pour user de son expérience et de sa force de négociateur pour parvenir à un accord à Hong-Kong : il l'a d'ailleurs rappelé lors de la réunion du Comité des Négociations commerciales de l'OMC du 14 septembre, qu'il présidait : il faut remplir l'intégralité du contrat fixé à Doha et d'ici 2006, date limite prévue! Et diviser comme trouver des arguments contraignants font partie des instruments que Pascal Lamy sait utiliser ! Bien sûr, malgré les énormes pressions exercées par le Nord sur le Sud lors des nombreuses réunions préparatoires au sommet de Hong-Kong, la partie reste encore ouverte, mais les enjeux de pouvoir sont tels qu'un échec de l'OMC à Hong-Kong signerait probablement son déclin institutionnel ! Alors, le grand marchandage va commencer ; ainsi, le Brésil, qui fait partie du Groupe des 20 (G 20) qui avait fortement contribué à l'échec de Cancun, aurait-il déjà accepté de s'engager sur l'AGCS si l'UE et les USA répondaient aux demandes expresses du G20 de supprimer les subventions agricoles ! Mais sur quelle échéance exacte UE et USA s'engagent-ils ? Si, par exemple, ils échelonnent la suppression des subventions agricoles, cette mesure transitoire n'ayant aucun effet immédiat sur l'économie des pays du Sud, peut-on penser qu'elle sera suffisante pour amoindrir les réserves, voire l'hostilité, du Sud vis à vis du Nord ?

Réserves et hostilité, qui dépassent largement les négociations commerciales ! Car les pays du Sud, qui n'ont jusqu'alors guère étaient gagnants dans le jeu du libre-échange mais qui ne peuvent se placer hors du jeu des échanges commerciaux de l'OMC s'ils veulent se développer, ces mêmes pays savent bien que l'enjeu est plus global ! Ils ont bien mesuré qu'au delà des négociations commerciales c'est de la domination du Monde qu'il s'agit ! Car « ouvrir leurs marchés », c'est permettre à ceux qui ont quelque chose à exporter de les envahir toujours plus de leurs produits au détriment de leurs propres productions locales ; ils vérifient donc, tous les jours, que « ceux qui ont besoin le plus sont en fait ceux qui perdent le plus » (citation de Carin Smaller, de l'Institute for Agriculture and tade Policy) ! Ils savent aussi qu'ils perdront, après la maîtrise de leurs marchés, le bénéfice politique de l'émancipation issue de la décolonisation ! Car « accroître le libre échange », c'est permettre aux STN, qui contrôlent déjà économiquement et donc politiquement les pays du Nord, de développer toujours plus leur « force de frappe » financière sur l'ensemble de la planète! Ainsi, grâce aux règles de l'OMC, qui visent à restreindre le pouvoir des Etats au contrôle de leur sécurité, donneront-ils à ces mêmes multinationales un pouvoir suffisant pour supprimer leur souveraineté !

En Conclusion, il n'est pas difficile de percevoir l'ampleur de l'enjeu qui va se nouer ou se dénouer à Hong-Kong ! Comme citoyens avertis, nous devons dévoiler les enjeux et les risques de ce sommet décisif dans la partie d'échecs mondiale : non, contrairement au matraquage du complexe politico-médiatique au service des STN, le libre échange n'a jamais profité à l'ensemble de l'humanité mais à un cercle restreint de possédants ! Leur politique de « prix bas » et de destruction des obstacles à la concurrence vise à accroître indéfiniment leurs rendements commerciaux sans égards pour l'amont (l'environnement pillé) et pour l'aval (des salaires et un accompagnement social de plus en plus réduits) ! Au jeu du libre échange, il existe donc bien des gagnants et des perdants : la fracture sociale, loin de s'atténuer, s'accentue ; et la facture environnementale s'alourdit incommensurablement ; quant au développement, il n'est plus qu'une chimère et un slogan mensonger, dont nous percevons, chaque jour, les contre exemples !

Le Monde n'est pas à vendre ! alors, citoyennes, citoyens, laisserons nous mourir le Monde ?

Notes (2) Aujourd'hui remise en cause par l'Union européenne, dans le cadre des négociations de l'AGCS, dans le but de débloquer les négociations, secteur par secteur, à l'aide d'accords plurilatéraux sectoriels couvrant de vastes zones économiques ouvertes, mais exclusivement, aux exportations et aux STN des pays issues de ces zones.

Par Albert Richez, membre du Conseil scientifique d'Attac France.

 
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