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(par Sven Giegold) Une analyse de la défaite de la droite allemande du point de vue de la justice fiscale. Juste avant les législatives du 18 septembre, presque tout le monde en était sûr : les conservateurs menés par Angela Merkel sortiraient vainqueurs des élections avec une longueur d'avance significative et chasseraient du pouvoir la coalition rouge-verte. Deux semaines avant les élections, les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU menaient dans les sondages avec une avance confortable de 12 % devant les sociaux-démocrates du SPD. Mais deux semaines seulement de débat fiscal acharné suffirent pour que la CDU/CSU de Merkel perdent 8 % des voix : l'écart séparant les chrétiens-démocrates et le SPD n'atteignait alors plus que 0,9 %. C'est ainsi que la majorité tant espérée par les chrétiens démocrates et les libéraux au Bundestag fut perdue. Quelles sont les raisons de cette défaite ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?


Les élections allemandes sous le signe de l'impôt unique

Le 05/10/2005
Grain de sable
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ne analyse de la défaite de la droite allemande du point de vue de la justice fiscale.
Juste avant les législatives du 18 septembre, presque tout le monde en était sûr : les conservateurs menés par Angela Merkel sortiraient vainqueurs des élections avec une longueur d'avance significative et chasseraient du pouvoir la coalition rouge-verte. Deux semaines avant les élections, les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU menaient dans les sondages avec une avance confortable de 12% devant les sociaux-démocrates du SPD. Mais deux semaines seulement de débat fiscal acharné suffirent pour que la CDU/CSU de Merkel perdent 8% des voix : l'écart séparant les chrétiens-démocrates et le SPD n'atteignait alors plus que 0,9%. C'est ainsi que la majorité tant espérée par les chrétiens démocrates et les libéraux au Bundestag fut perdue. Quelles sont les raisons de cette défaite ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?

La majorité des Allemands était persuadée que Gerhardt Schröder et sa coalition rouge-verte étaient finis et qu'ils avaient suffisamment montré leur incapacité à faire sortir l'Allemagne de la crise. L'avance de Merkel dans les sondages était restée stable durant de nombreux mois bien que les conservateurs eurent annoncé une série de réformes sévères. Une dose de médecine néolibérale encore plus forte devait être administrée alors que celle déjà prescrite par Schröder et son gouvernement s'était avérée inefficace. Pour ce qui est de la politique fiscale, Merkel entendait relever le taux de la TVA de 2%, cette dernière devant alors atteindre 18%, baisser le taux d'imposition des revenus les plus hauts de 42% à 39% et supprimer une série d'exceptions fiscales, avant tout avantageuses pour les contribuables à revenus faibles et moyens. Ces avantages fiscaux regroupent l'exonération fiscale des majorations pour le travail de nuit, durant les jours fériés et pour le travail posté ainsi que la réduction des forfaits de déplacement. Schröder avec sa réduction du taux d'imposition maximal de 53% à 42% serait ainsi battu.

Malgré ce programme pas des plus tendres, Merkel et quelques libéraux radicaux de son parti n'entendaient pas en rester là. Encouragée par les bons résultats des sondages, la candidate à la chancellerie fit de Paul Kirchhof le responsable en matière de finances de son «équipe de compétence» et elle lui promit le portefeuille des finances.

Paul Kirchhof est professeur de droit fiscal à l'université de Heidelberg et ancien juge suprême de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Dans une série de décisions controversées, il eut une influence capitale sur la législation fiscale allemande. Les Allemands lui doivent notamment le principe selon lequel la charge fiscale ne doit pas dépasser 50% du revenu annuel («Halbteilungsgrundsatz») - principe dont on a beaucoup parlé outre-Rhin lors de son introduction. Comme ce principe englobe aussi bien l'impôt sur le revenu que l'impôt sur la fortune, il limite la possibilité de redistribution via le système fiscal. Bien que contesté de manière virulente dans le débat juridique allemand, il limita très fortement la créativité des politiques chargés des affaires fiscales. Trop grande est la crainte qu'une réforme fiscale adoptée soit invalidée par la Cour constitutionnelle. Après avoir été un juge très actif, Kirchhof fit de la réforme fiscale son nouveau cheval de bataille et vanta pendant plus de 5 ans les avantages de l'impôt unique. Non seulement il diffusa cette idée mais il regroupa également plusieurs experts fiscaux libéraux qui rédigèrent un projet de réforme fiscale touchant l'imposition des revenus et des sociétés. Personnage charismatique proche des Eglises chrétiennes, il réussit à trouver dans la sphère politique un grand nombre d'alliés approuvant ses propositions.

Le modèle proposé par Kirchhof tourne autour de trois idées centrales. D'une part, Kirchhof souhaiterait baisser le taux d'imposition sur les revenus les plus hauts à 25%. D'autre part, il a pour objectif l'annulation de plus ou moins tous les avantages fiscaux. Enfin, il veut introduire deux tranches fiscales inférieures pour les revenus faibles afin de rendre son programme plus acceptable socialement. Cette mesure entraînerait des taux moyens d'imposition effectifs pour les revenus bas ressemblant à un impôt progressif. Le projet de Kirchhof se révèle donc être une forme modérée du modèle de l'impôt unique en place dans plusieurs pays de l'Europe de l'Est.

Le projet de Kirchhof entre en nette contradiction avec le programme électoral des conservateurs et a fortement altéré la clarté des débats. Quelle serait la ligne de Kirchhof s'il devenait ministre des Finances ? Celle du parti ou la sienne ? En outre, la CDU/CSU se refusait à publier la liste des «cas à rayer» : plus de 400 «exceptions fiscales» que Kirchhof aimerait supprimer, ce qui ajoutait encore à l'incertitude. Mais ce qui joua un rôle décisif auprès des électeurs et électrices fut le caractère profondément injuste, à leurs yeux, du projet de Kirchhof. Si la majoité des Allemands ne voyait pas que le Kirchhof avait fait un compromis en faveur des bas revenus, tout le monde comprenait parfaitement que, pour les riches, le taux d'imposition ne dépasserait pas 25%. L'impôt unique était tout simplement perçu comme une nouvelle réforme destinée à faire payer les pauvres pour avantager les riches.

Le projet de Kirchhof permit au SPD et aux Verts, depuis longtemps à la recherche d'un thème porteur, de lancer une vigoureuse campagne électorale en polarisant leurs attaques sur la question sociale. Les sondages montrent invariablement que plus de 70% des citoyen-ne-s sont très attaché-e-s à l'Etat-providence. C'est pourquoi l'affirmation du SPD- nos réformes sont au service de la justice sociale, alors que celles des conservateurs sont un crime contre elle- possède un potentiel politique élevé.
Au début, la majorité des médias établis soutenait l'impôt unique. Mais la vigoureuse discussion publique engagée à ce sujet fit émerger des doutes de plus en plus forts, renforçant encore la méfiance des électeurs et électrices. Ainsi, le modèle fiscal de Kirchhof entraînerait chaque année un manque à gagner de 20 milliards d'euros dans les caisses de l'État. La CDU/CSU ne fut pas en mesure d'expliquer comment elle comblerait ce trou. En outre, l'Institut allemand de recherches économiques (DIW) ainsi qu'Attac Allemagne réfutèrent l'affirmation de Kirchhof selon laquelle on supprimait aux riches tant de réductions fiscales que malgré la baisse des taux ils paieraient en fait plus d'impôts qu'à l'heure actuelle. Les études montrent clairement que l'immense majorité des riches sera beaucoup mieux lotie avec le système de l'impôt unique qu'à l'heure actuelle. Enfin le remplacement du terme de «flat tax» qu'employait Kirchhof par celui d'« impôt unique » s'avéra très opportun. «Flat tax» - voilà une expression anglo-saxonne et donc moderne ; «impôt unique», voilà un terme ringard qui sent son «tous dans le même sac!»

Le 18 septembre, jour des élections et deux semaines après l'entrée de Kirchhof dans l'équipe des «ministérables», Merkel et les conservateurs perdaient 8% des voix et remportèrent moins de suffrages (35,2%) qu'Helmut Kohl en 1998, jusque-là «la» défaite historique de la CDU/CSU. Deux jours après les élections, Kirchhof annonça/annonçait publiquement son retrait de la vie politique. Espérons qu'il s'écoulera au moins vingt ans avant qu'un parti politique ose remettre l'impôt unique sur le tapis.

Quels enseignements les militants pour la justice fiscale peuvent-ils en tirer ?
On peut empêcher par la voie politique l'établissement d'un impôt unique tel qu'il s'impose progressivement en Europe de l'Est. Dans les démocraties occidentales, la progressivité de l'impôt est fortement ancrée dans la conscience publique. L'opinion publique est facile à mobiliser si toutes les ressources d'une vaste coalition - instituts d'études économiques, syndicats, partis, Eglises, ainsi que le mouvement altermondialiste - sont jetées dans la balance. Soumettre tous les contribuables au même taux d'imposition est un symbole d'injustice politiquement très fort. Une injustice que la majorité des Allemands n'accepte pas.

Car une charge fiscale égale à 25% des revenus pèse incomparablement plus lourd sur un budget moyen que sur des revenus élevés. En outre l'«impôt unique» n'a pas bénéficié de l'incapacité où se trouvent beaucoup d'électeurs et électrices à distinguer entre taux d'imposition identique (impôt unique) et sommes à payer identiques (impôt par tête.) Les élections allemandes au coeur desquelles se trouvait l'impôt unique» montrent que le grand public est susceptible de mobilisation même dans le domaine relativement abstrait de la politique fiscale. Une observation tout particulièrement valable lorsque les néolibéraux s'attaquent à un symbole, comme dans le cas de l'impôt unique. Les partisans de l' «impôt unique» prétendent qu'il favorise la croissance économique et que des taux d'imposition faibles sont indispensables pour participer au dur combat de la concurrence internationale. Ces deux affirmations sont faciles à réfuter. Il n'existe aucune étude établissant un lien significatif entre taux maximaux d'imposition d'une part et croissance économique ou taux d'activité de l'autre. Le dumping fiscal, lui, est en revanche un fait bien réel. Tant que les mêmes élites politiques et économiques qui réclament dans leur pays des taux d'imposition faibles ne prendront pas de mesures énergiques contre l'évasion fiscale et le dumping fiscal, leurs arguments resteront peu convaincants et peu crédibles.

Par Sven Giegold, Attac Allemagne
traduit par par Ute Retzlaff et Marie Leblanc de coorditrad

 
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