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(Par Stuart Hodkinson) La campagne "Faire de la pauvreté de l'histoire ancienne" pourrait passer pour un succès sans précédent dans la politique britannique du développement. Associant syndicats, organismes caritatifs et ONG ainsi qu'une multitude de célébrités, cette campagne est omniprésente dans les médias, partout à travers le monde on porte son symbolique bracelet blanc. Mais alors, au moment où le sommet du G8 approche, pourquoi ses responsables s'attaquent-ils à tour de rôle dans la presse et pourquoi les mouvements sociaux africains déclarent-ils «rien sur nous : sans nous»? Stuart Hodkinson enquête


Dans les eaux troubles de la campagne britannique "Faire de la pauvreté de l'histoire ancienne"

Le 07/09/2005
Grain de sable
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PH : Make poverty history


La campagne "Faire de la pauvreté de l'histoire ancienne" pourrait passer pour un succès sans précédent dans la politique britannique du développement. Associant syndicats, organismes caritatifs et ONG ainsi qu'une multitude de célébrités, cette campagne est omniprésente dans les médias, partout à travers le monde on porte son symbolique bracelet blanc. Mais alors, au moment où le sommet du G8 approche, pourquoi ses responsables s'attaquent-ils à tour de rôle dans la presse et pourquoi les mouvements sociaux africains déclarent-ils «rien sur nous : sans nous»? Stuart Hodkinson enquête.

Par ce beau vendredi ensoleillé de la fin du mois de mai, un vent de panique inhabituel souffle sur le Congrès des Syndicats britanniques (TUC : British Trade Union Congress) parmi les participants à l'assemblée mensuelle de la campagne MPH. Des officiels donnent les instructions de sécurité de dernière minute au personnel d'accueil : «assurez-vous que seuls les membres de MPH soient autorisés à entrer». «Le meeting est ouvert au public, mais seulement aux membres des organisations adhérentes de MPH».

La nervosité ambiante est compréhensible : en effet deux révélations accablantes pour MPH sont sur le point de paraître dans la presse nationale britannique. A la une de l'hebdomadaire britannique de centre-gauche «le New Stateman» un article intitulé «pourquoi Oxfam fait défaut à l'Afrique» met en évidence la profonde colère qui anime les membres de la coalition MPH, due aux pratiques d'Oxfam. Ils dénoncent les étroites relations de cette ONG avec le gouvernement britannique et sa politique ; ils l'accusent de permettre aux deux hommes politiques les plus puissants de Grande-Bretagne, le premier ministre Tony Blair et le chancelier Gordon Brown, de faire de MPH la façade de la très contestable politique du New Labour en matière de lutte contre la pauvreté.

L'hebdomadaire de droite «Sunday Telegraph» a entre temps révélé en exclusivité qu'un grand nombre de ces omniprésents bracelets blancs - le symbole même de la campagne - ont été achetés à des «sweatshops» chinois en toute connaissance de cause et avec la bénédiction d'Oxfam.

Au sein de MPH, toutefois, ces révélations embarrassantes ne surprennent pas. Dans les six derniers mois, quelques unes des principales ONG britanniques qui oeuvrent pour le développement et l'environnement ont exprimé de plus en plus ouvertement leur malaise face à une campagne forte en célébrités mais pauvre en politique. Un membre de la coalition actif dans un groupe de travail clé de la campagne MPH déclare qu'il y a souvent eu «divergence complète entre le message de campagne démocratiquement décidé et l'image qui en a été donnée à l'extérieur».

Il est très mécontent: «Nos véritables revendications concernant le commerce, l'aide au développement et la dette ainsi que nos critiques de la politique du gouvernement britannique dans les pays en voie de développement ont été systématiquement reléguées à l'arrière-plan par les bracelets blancs, les célébrités engagées et l'amoncellement de louanges adressées à Blair et Brown, présentés comme très en avance sur les autres dirigeants pour ces questions».


L'ascension de la coalition MPH

Ce n'est certainement pas ce que les militants avaient à l'esprit à la fin 2003, quand Oxfam lança une série de rencontres informelles avec des organisations caritatives et des groupes de pression : il s'agissait de réfléchir à la fondation en 2005 d'une coalition sans précédent contre la pauvreté. Cette date avait été choisie afin de coïncider avec plusieurs événements: la présidence britannique à la fois de la Commission européenne et du sommet du G8, la première évaluation à cinq ans du Programme de l'ONU «Objectifs du Millénaire pour le Développement» lancé en 2000, la sixième rencontre de l'OMC à Hong Kong et le vingtième anniversaire de l'association Live Aid.

En septembre 2004, la coalition MPH fut officiellement lancée en tant que mobilisation britannique d'une coalition internationale, Appel Mondial à l'Action contre la Pauvreté (Global Call to Action against poverty, G-CAP), conduite par Oxfam International, Action Aid et DATA. Ce dernier organisme caritatif controversé qui oeuvre en Afrique a été mis sur pied par le leader de U2, Bono, et par les multimilliardaires Georges Soros et Bill Gates (deuxième fortune mondiale avec presque 50 milliards de dollars).

Depuis, la campagne MPH a réuni une impressionnante coalition, affichant fièrement plus de 460 organisations membres, dont les syndicats les plus importants, le TUC (Trade Union Congress, qui rassemble la grande majorité des syndicats britanniques), des ONG spécialisées dans le développement, des associations caritatives, les églises ainsi que plusieurs groupes religieux ou relevant de diverses diasporas.
Cocktail réussi de célébrités engagées et de message contre la pauvreté, le mouvement a attiré l'attention de la classe politique et des médias. Il a également profité de la quasi hystérie qui a suivi l'annonce faite par Bob Geldorf, vétéran du rock et partisan actif de la cause africaine, d'une série de concerts gratuits organisés à Londres, Paris, Philadelphie, Rome et Berlin sous la bannière de «Live 8» afin de s'associer à MPH pour faire pression sur le sommet du GB réuni en juillet à Gleneagles en Ecosse.

Mais malgré son succès, l'image publique de la campagne ainsi que son attitude trop amicale envers Blair et Brown suscitent un large mécontentement au sein même de la coalition. Les critiques soulignent que les revendications de MPH auprès du gouvernement sont très radicales, du moins sur le papier. Ainsi l'appel pour «un commerce juste et non un libre commerce» exige que les pays membres du G8 et de l'Union européenne (notamment le Royaume-Uni) arrêtent d'imposer aux pays pauvres des politiques de marché libre intégrées aux plans d'aides, d'accords commerciaux et d'allègement de la dette. MPH affirme également que les pays riches doivent doubler immédiatement leur aide, pour la porter à 50 milliards de $ par an, et tenir enfin leur promesse vieille de 35 ans de consacrer 0,7% de leur PIB au développement. Une aide plus importante et mieux composée devrait aussi être assortie de l'annulation des dettes irrécupérables des pays les plus pauvres, grâce à «un processus international équitable et transparent» reposant sur une augmentation des fonds alloués et non pas sur la réduction des budgets d'aide. A cela s'ajoutent des appels à la régulation des multinationales et à la démocratisation du FMI et de la Banque Mondiale. John Hilary, directeur de campagne de l'ONG britannique pour le développement «War on Want (Guerre à la misère)» marque un point quand il note que ces demandes de MPH «frappent au coeur même de l'agenda néo-libéral».

En pratique cependant ces propositions politiques sont présentées au public de telle manière qu'il est difficile de les distinguer de celles du gouvernement britannique. Ceci pose un problème qui est apparu très clairement en mars dernier, lorsque la très contestée Commission pour l'Afrique de Tony Blair a exposé sous les mêmes en-têtes que ceux de MPH - «pour un commerce juste», «annulons la dette» et «une aide plus importante et plus efficace» - son plan à caractère néo-libéral qui mettrait en place le pillage par les entreprises des ressources humaines et naturelles de l'Afrique. La plupart des membres de MPH, menés par Oxfam et le TUC, ont accueilli chaleureusement le rapport de la Commission. De son côté, la société civile africaine est nettement moins séduite comme l'a clairement exprimé le Ghanéen Yao Graham dans le numéro de juillet du magazine indépendant «Red Pepper» : il estime que le plan décrit dans le rapport institue «une nouvelle ruée sur les richesses de l'Afrique».


Des relations très étroites avec le New Labour

Selon l'hebdomadaire « New Statesman », c'est Oxfam, l'ONG pour le développement la plus importante et la plus puissante au Royaume-Uni, qui de par sa position de leader est largement responsable de cette situation. En dépit de l'image d'amie des déshérités dont elle bénéficie dans le monde entier, Oxfam est devenue au cours des deux dernières décennies le vivier de conseillers particuliers du gouvernement britannique et de cadres de la Banque mondiale, et entretient des relations étroites avec le New Labour. Le conseiller particulier de Blair pour le développement international, Justin Forsyth, est un ancien directeur de campagne à Oxfam. Son équivalent au Trésor, Shriti Vadera, est aussi membre du conseil d'administration d'Oxfam : cette ex-directrice de la banque américaine US Warburg est une spécialiste des partenariats public-privé, option qui est à la base même du rapport de la Commission sur l'Afrique. Moins connu, John Clark a quitté Oxfam en 1992 pour un poste à la Banque Mondiale où il était responsable de la stratégie de travail de la Banque avec la société civile ; il a ensuite conseillé Tony Blair en 2000 sur son « Initiative de Partenariat avec l'Afrique » qui a conduit directement au Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) en 2001. Au sein de MPH on trouve aussi Sarah Kline d'Oxfam, une ancienne responsable à la Banque Mondiale qui défend la ligne dite du « dialogue constructif » avec le FMI et la Banque Mondiale.
L'indépendance politique d'Oxfam par rapport à la gouvernance néo-libérale est également compromise par les quelque 40 millions de £ qui lui sont versés chaque année sur fonds publics. Sur cette somme, près de 14 millions proviennent du Département du Développement International (DFID), grand champion de la privatisation et de ses bienfaits pour les entreprises britanniques dans les pays en voie de développement. Oxfam est loin d'être un cas isolé - presque toutes les ONG britanniques de développement sont subventionnées par le DFID. S'il est sans doute possible d'accepter et d'utiliser l'argent public tout en restant critique à l'égard de la politique de son bailleur de fonds, un financement d'Etat aussi élevé influence inévitablement la capacité d'Oxfam à manifester son indépendance politique, compte tenu du risque de voir se tarir la source de financement.

Les ressources financières inégalées d'Oxfam et son image publique en font de loin l'organisation la plus puissante de MPH. L'an dernier le revenu annuel d'Oxfam a dépassé les 180 millions de livres sterling - soit 3 fois le montant reçu par son plus proche rival Christian Aid, elle éclipse ainsi très largement des ONG à orientation plus sociale comme WDM (World Development Movement - Mouvement pour un Développement Mondial) et War on Want (Guerre à la Misère), qui pèsent chacune à peine plus d'un million de livres, somme dont elles tirent pourtant le meilleur parti. Une telle disparité de richesse influe inévitablement sur la politique de la coalition, en particulier sur son image publique. Oxfam possède une armée d'attachés de presse, de chercheurs et de responsables de campagne qui peuvent naturellement tirer avantage des possibilités exceptionnelles offertes par les médias dans le cadre de cette campagne.

Cependant, en faisant d'Oxfam le bouc émissaire de la cooptation de MPH par le New Labour, on laisse de côté le rôle clé joué par l'organisation caritative Comic Relief et son celèbre co-fondateur, le réalisateur Richard Curtis. Curtis, l'un des scénaristes de comédies les plus brillants et les plus prolifiques de Grande-Bretagne, est devenu célèbre dans les années 80 grâce à la série télévisée Blackadder (La vipère noire), aux réussites qui l'ont suivie telles que Mister Bean ou Le Vicaire de Dibley, et au gigantesque succès «Quatre mariages et un enterrement». La gloire et la richesse se sont accompagnées pour lui d'une énorme influence politique. En 2001, le quotidien de centre gauche The Guardian l'a classé au dixième rang des personnalités les plus influentes de l'industrie des médias britanniques devant tous les rédacteurs en chef nationaux à l'exception de Paul Dacre du Daily Mail.

L'engagement personnel de Curtis dans la recherche de financements pour l'Afrique remonte à 1985 quand, au plus fort de la famine que connait alors l'Ethiopie, il visite des camps de réfugiés en tant qu'invité d'Oxfam. Cette expérience change sa vie et à son retour à Londres il convainc ses amis du monde du spectacle de mettre sur pied l'association Comic Relief. Cet organisme caritatif dirigé par des célébrités utilise la comédie afin d'éveiller la sensibilité du public à la pauvreté, la famine et la maladie en Afrique, et de lever d'énormes financements pour ces causes.

Malgré son incroyable réussite dans le domaine financier - plus de 337 millions de £ depuis sa création- les shows télévisés en direct du Comic Relief qui ont lieu tous les deux ans sont critiqués pour leur manque évident de contenu politique ; de plus, ils dépeignent de façon erronée l'Afrique comme un pays-continent ravagé par les désastres naturels et les guerres tribales, sans aborder la responsabilité du colonialisme, des programmes d'ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale et des multinationales occidentales.


La machine MPH et les médias

L'approche apolitique de l'Afrique par Comic Relief joue un rôle important dans le débat entre fractions au MPH. En effet, si Bono et Geldof sont directement sous les projecteurs et qu'Oxfam domine l'agenda politique, c'est Richard Curtis qui pilote la machine publicitaire si fondamentale pour MPH.

Le pouvoir de Curtis réside en partie dans les ressources humaines et financières qu'il apporte à la campagne. Il a personnellement assuré le financement de MPH en convainquant l'homme d'affaires écossais et multimillionnaire Sir Tom Hunter de faire don d'un million de £ à la campagne MPH, et en conseillant avec succès aux responsables ad hoc de donner plus de 4 millions de £ de temps d'antenne gratuit. Ceci lui a permis de diffuser dans le monde entier sa publicité «Click». On y voit des vedettes mondiales comme George Clooney, Bono et Kylie Minogue, portant l'uniforme complet - tee-shirt blanc et bracelet blanc - claquer des doigts toutes les trois secondes pour marquer la mort d'un enfant en Afrique. Curtis dispose d'un carnet d'adresses inégalé qu'il a utilisé si bien que la plateforme d'actions de MPH, les évènements liés et l'ensemble de sa stratégie débordent littéralement de célébrités.

La plupart des membres de MPH accueillent avec gratitude l'aide de Curtis, dont la célébrité a joué un rôle fondamental dans la réussite phénoménale de la diffusion marketing de la campagne (les ventes du bracelet blanc de MPH approchent les 4 millions et le site web est consulté des milliers de fois par minute). Certains pensent toutefois que le prix à payer est trop lourd. Il y a tout d'abord le rôle trouble de Sir Tom Hunter, qui n'a rien d'un philanthrope ordinaire. Sa fondation de charité Hunter Foundation qui pèse 678 millions de £ est une force d'évangélisation qui promeut des partenariats public-privé et le développement de l'esprit d'entreprise chez les enfants en Ecosse. Depuis 2001, cette Fondation contribue à financer le «Scottish Executive's Schools Enterprise Programme» qui permet au secteur privé faciliter l'initiation des enfants à partir de 5 ans aux merveilles du monde des affaires.

Ewan Hunter, PDG de la Fondation Hunter, rejette cette description de son programme qui est selon lui «complètement erronée» et le présente au contraire comme une «initiative pilote au niveau mondial» qui encourage l'esprit de réussite chez les enfants. «Il faut savoir que nous consultons largement les parties prenantes: syndicats, communes, gouvernements, professeurs et enfants avant de signer un accord d'investissement dans l'éducation». Notons qu'il ne nie pas instaurer en fait une relation enfants-milieu des affaires.

Tom Hunter a récemment soulevé une tempête jusque dans la presse tabloïde de droite en vendant des éditions spéciales de bracelets blancs MPH portant les logos de six marques de prêt-à-porter internationales, dont Hilfinger Denim : le propriétaire de Hilfinger Denim est accusé par des défenseurs des droits du travailleur de se fournir en vêtements en Amérique latine et en Asie de l'est dans des « sweatshops » ennemis des syndicats.

Selon Stephen Coats, Directeur Exécutif du projet « US/ Labor Education in the Americas project » basé à Chicago qui suit et soutient les droits de base des travailleurs en Amérique latine, les conditions de travail chez Hilfiger ne respectent même pas les garanties sociales minimum:

"Nous avons pu constater que Tommy Hilfiger refuse toute responsabilité concernant les conditions de travail. »

En octobre 2003, la société fut accusée par les militants du droit du travail de ne pas assumer et même de fuir ses responsabilités envers les travailleurs alors que des preuves d'abus étaient fournies à l'usine de blue-jeans Tarrant d'Ajalpan (Mexique).

Ces révélations ont une fois de plus indigné les militants de MPH, qui ont vu un idéal élevé terni par cette relation avec des sociétés qui ne respectent pas les droits des travailleurs. John Hilary, de «Guerre à la Misère» (War on Want), exprime la pensée de nombreux militants de MPH quand il explique qu'à moins d'un amendement soudain de Hilfiger dont ils ne seraient pas informés, «ce n'est pas le genre d'associé dont nous voulons».

Vient ensuite Abbot Mead Vickers (AMV), la plus grande agence publicitaire du Royaume Uni, qui a auparavant travaillé pour le Comic Relief et a été introduite dans le mouvement pour participer à sa stratégie de communication. Parmi les nombreuses propositions «politiquement incorrectes» de AMV qui ont été rejetées par des membres indignés de MPH, on relève une proposition de panneau d'affichage où les images de Gandhi et de Nelson Mandela figurent aux côtés de Gordon Brown avec la légende : «2005,...?». Le message de cette affiche est clair: 2005 pourrait être l'année où Brown lui-même deviendrait une «figure historique» en trouvant les arguments capables de convaincre le G8 de faire un sacrifice suprême : supprimer la dette de l'Afrique. Il prendrait ainsi place aux côtés des deux martyrs de l'anti-colonialisme.

Cette proposition ridicule présente sur le même plan ceux qui ont consacré leur vie au combat contre la suprématie impérialiste blanche et un homme qui souhaite faire de l'Afrique une zone géante de libre échange pour le compte de multinationales occidentales. Il n'est pas surprenant qu'elle ait été bloquée par plusieurs membres indignés de MPH. Mais un tel cynisme est naturel chez AMV : parmi ses clients on figurent non seulement les sociétés Pepsi Cola, Pfizer, Sainsbury, Camelot et The Economist, mais aussi, ironie du sort, Diageo, la multinationale de la boisson qui se trouve posséder le Gleneagles Hotel où les dirigeants du G8 se rencontreront et qui est par ailleurs un investisseur majeur en Afrique.

Selon Lucy Michaels de Corporate Watch, un organisme de recherche militant basé au Royaume-Uni, Diageo est connu pour son lobbying auprès de l'OCDE et des pays du G8, qui vise à promouvoir la libéralisation de l'investissement dans les pays en voie de développement ; en outre, sa politique commerciale en Afrique est l'objet de vives controverses.

"Diageo emploie des méthodes agressives pour la promotion de ses produits en Afrique : il s'attaque à l'une des principales micro-industries du continent qu'est la brasserie domestique de bière. Ainsi, le rapport annuel sur la Citoyenneté d'entreprise en Afrique de l'est publié récemment par l'entreprise accuse l'alcool domestique de représenter « un grave danger sur le plan sanitaire et social » sans tenir compte de l'enquête du Centre International des Politiques sur l'Alcool ( fondé soit dit en passant par Diageo) qui établit que « la brasserie domestique » est généralement de bonne qualité et qu'elle est vitale tant pour les foyers que pour l'économie locale ».

Epurer le message de MPH

Selon ses détracteurs, l'aspect le plus destructif de l'implication de Curtis est bien son intervention personnelle dans la communication publique de MPH : celle-ci a en effet systématiquement éclipsé l'aspect politique du projet au profit d'une stratégie totalement irresponsable d'influence personnelle sur le G8. « La philosophie de Richard est apparue dans toute son évidence aux membres consternés de MPH », dit un de ses adversaires. « Il pense qu'il nous faut appuyer les efforts du gouvernement britannique afin amener d'autres pays du G8 à adopter sa ligne directrice concernant l'aide et la dette, et refuse absolument d'admettre que Brown et Blair puissent être critiqués ».

La tension a atteint son paroxysme il y a quelques mois lorsque des membres du mouvement montrèrent du doigt le fossé qui sépare les positions sur lesquelles les membres de MPH se sont accordés et la tournure progouvernementale que prend la campagne publique. A cela, un haut responsable du Comic Relief répondit que Curtis « éprouvait quelques difficultés » à attaquer le gouvernement en raison de son amitié personnelle avec Gordon Brown. L'étendue de la relation Curtis-Brown a été révélée dans le film de Curtis « la Fille dans le Café », diffusé en prime time sur la chaîne nationale BBC 1 le samedi 25 juin ( et largement diffusé en Afrique, comme c'est étrangeŠ).

Le film décrit l'histoire d'amour de Gina, jeune militante idéaliste, et Lawrence, conseiller d'un Chancelier rude mais sensible qui n'est pas sans rappeler Gordon Brown. Le chancelier aide le jeune amoureux à obtenir une audience auprès des leaders mondiaux réunis en Islande lors d'un sommet fictif du G8 et convainc le gouvernement britannique de s'engager pour «faire de la Pauvreté de l'Histoire ancienne ». Brown a même assisté à la première du film au cours d'une cérémonie organisée au mois de mai en Ecosse par le responsable financier de MPH, Tom Hunter, qui a été depuis anobli sur la Liste d'honneur de l'anniversaire de la Reine.

Compte tenu de cet arrière plan, il n'est pas étonnant qu'un certain nombre d'ONG de MPH aient récemment ressenti le besoin d'affaiblir l'axe Oxfam-Curtis-Brown en exprimant leur mécontentement à travers la presse. Ils se sont rapidement mis d'accord sur la nécessité de prendre de la distance par rapport au gouvernement et ont avancé de plusieurs semaines la publication d'un rapport critique sur sa politique. Cependant, leur répit a été de courte durée. Le coup de grâce fut l'annonce de l'invitation de Gordon Brown au rassemblement d'Edimbourg du 2 juillet.

La frustration ne serait peut-être pas aussi intense s'il existait au sein de MPH une démocratie et un pluralisme réels. Mais à l'approche du G8 les apparatchiks de MPH multiplient leurs efforts pour s'assurer qu'au jour de la réunion du 2 juillet à Edimbourg, seul le message officiel et le message monolithique de MPH soient entendus.


Don't mention the war / Ne parlez pas de la guerre

Le site web de MPH ne mentionne ni les protestations ni les groupes comme Dissent, Trident Ploughshares ou G8 alternatives, qui pourtant appellent à assister à la réunion du 2 juillet et à la soutenir.
Par ailleurs, l'équipe de coordination de MPH qui comprend Oxfam, Comic relief et le TUC, a opposé à deux reprises son veto unanime à la proposition du STWC (Stop the War Coalition : Coalition Halte à la guerre)de rejoindre MPH, invoquant un motif orwellien : les questions de justice économique et de développement n'auraient rien de commun avec celle de la guerre, une participation de STWC le 2 juillet à la réunion d'Edimbourg risquerait donc de brouiller le message. Il sera donc intéressant de voir si Oxfam se bannit elle-même - Oxfam mène en effet actuellement une campagne générale pour un traité international sur l'armement puisque « l'armement incontrôlé alimente la pauvreté et la souffrance ».

Depuis, STWC est exclu si bien que l'association ne dispose pas même de stand à la réunion de MPH. Une fuite a fait savoir que dans un email adressé fin mai à MPH, Milipedia, la société organisatrice « d'événements éthiques » qui a aidé à organiser la réunion de MPH, a demandé à la coalition de « réfléchir à l'opportunité d'interdire l'accès à notre réunion à quiconque voudrait monter des stands ou des installations indésirables, ou tout autre événement non souhaité » et d'établir une liste « des personnes susceptibles d'infiltrer la réunion » en décidant « de ce que nous sommes disposés à tolérer, d'où nous situons la ligne rouge, et de quelle action nous voulons entreprendre ». Ceci suit une information selon laquelle le parti socialiste (soit l'ancienne Tendance Militante, un parti à orientation trotskyste) envisage de vendre son journal à la réunion d'Edimbourg, de crier des slogans par mégaphone et de porter des tee-shirts rouges portant l'inscription « Make Capitalism History » ( faire du capitalisme de l'histoire ancienne ») et des bracelets. ( NB : Les partisans de Red Pepper, l'organe de la Gauche socialiste et des Verts, porteront ce jour-là des tee-shirts marqués « Faire du G8 de l'histoire ancienne »).

L'email rapporte aussi que suite à l'annonce par la coalition Stop the War de son intention de tenir une réunion concurrente à 16h30 le 2 juillet, la municipalité locale, la police et les organisateurs de MPH oeuvrent actuellement de concert pour s'assurer que STWC n'ait pas de site ce jour-là, dans le but de conserver « notre propriété de l'événement et notre message clé ».

Il ne s'agit pas là que de domination politique. Une part du souci de MPH tient à la menace perçue à l'encontre de son monopole sur les échanges commerciaux de ce jour - la coalition a pris une licence exclusive de commerce pour le 2 juillet, qui bénéficiera uniquement à ses membres et donnera à MPH le pouvoir de faire évacuer du site tous les commerçants illégaux, y compris les activistes politiques. De plus, Comic Relief a enregistré le slogan MPH comme marque déposée en Union européenne et menace d'entreprendre des actions contre « tout usage illégal de cette marque ».

Mais les motifs d'inquiétude dans MPH sont beaucoup plus profonds que les simples divisions politiques dans le monde britannique du développement. La question la plus évidente, soulevée par les journalistes les plus en vue, est de savoir où sont les voix de la société civile africaine ou d'autres mouvements sociaux du Sud dans une campagne qui est censée leur être consacrée.

"Rien à notre sujet, donc sans nous"
Kofi Maluwi Klu, un activiste ghanéen panafricain de premier plan qui a coordonné de la campagne internationale « Jubilee 2000 Africa » à la fin des années 1990, n'accepte pas le manque de représentativité de MPH. « Nous avons un dicton dans le mouvement de libération africain »,dit-il, « rien à notre sujet, donc sans nous ». MPH représente un grand pas en arrière, même vis-à-vis de Jubilee 2000. La campagne est dirigée dans son écrasante majorité par des ONG du nord et son message de base est de présenter des popstars millionnaires blanches qui sauvent les déshérités d'Afrique. Les mouvements politiques qui combattent encore pour la libération sur le terrain sont totalement ignorés ».

L'absence du Sud de la direction de MPH se répercute inévitablement sur la politique de la campagne. Par exemple, Les ONG et les mouvements du sud répugnent de manière générale à l'idée de demander quelque chose au G8 : «Le G8 est une institution de gouvernance globale totalement illégitime et irresponsable, les pays qui en font partie et leurs entreprises sont historiquement responsables de la plupart des problèmes des pays en voie de développement et le demeurent aujourd'hui. » dit Nicola Bullard, de « Focus on the Global South » ( Regard sur les pays du Sud), une ONG internationale respectée de recherche en matière de développement basée à Bangkok. «Faire du lobbying auprès du G8 contredit l'appel protester contre le sommet du G8, émis cette année par des centaines de mouvements sociaux, d'ONG et de syndicats ouvriers du Sud et du Nord réunis au Forum Social Mondial».

Ceci vaut également pour les politiques demandées par MPH. Si les mouvements du Sud font un accueil favorable à un agenda de travail plus large que celui de Jubilee 2000, qui se concentrait sur l'allègement de la dette, ils pensent que ses positions sur la dette contredisent les demandes faites par les responsables de campagne de l'Afrique et d'autres pays du sud. « MPH appelle à une annulation totale de la dette pour les pays les plus pauvres qui ne peuvent la rembourser, c'est aussi la position du gouvernement britannique », explique Brian Ashley de Jubilee South. « Mais tout cela est sans rapport avec l'illégitimité de la dette qui découle soit du fait que la dette de beaucoup de pays du sud est un héritage de la période coloniale, soit de l'énorme augmentation qu'ont connu les taux d'intérêt pendant les années 1970 et 1980, qui a mené à la situation actuelle où les dettes ont été remboursées plusieurs fois et le Sud est en fait créditeur du Nord. Nous demandons l'annulation totale, inconditionnelle et immédiate de toutes les dettes des pays du sud, et pas seulement de celles des pays les plus pauvres comme le préconise MPH ».

Pour les responsables de la dette du Sud, le débat est presque identique à celui qui a conduit en 1999 à un divorce Nord/Sud au sein le mouvement de Jubilee 2000 et à la création du réseau Jubilee Sud. Jubilee Sud rassemble aujourd'hui sur la question de la dette plus de 80 organisations et mouvements sociaux originaires de plus de 40 pays d'Amérique latine, des Caraïbes, d'Afrique et d'Asie/Pacifique. Les principes fondateurs de Jubilee South sont de renforcer la solidarité Sud/Sud et du même coup la voix, la présence et le leadership du Sud dans le mouvement international de la dette, mais aussi de poser les fondations d'une transformation sociale globale qui parte de la base.

Alors que MPH fait partie de « l'Appel Mondial à l'Action contre la Pauvreté » (Global Call for Action on Poverty : G-CAP) dont la direction inclut quelques représentants du Sud, des douzaines de groupes basés dans des pays en voie de développement dont Jubilee South et Focus on the Global South ont refusé de faire partie du G-CAP. Ils ont décliné l'invitation d'Oxfam et d'Action Aid au meeting de lancement de la coalition programmé en septembre 2004 à Johannesburg. « Jubilee South a décidé de ne pas y participer pour la simple et bonne raison que l'on ne peut lancer une campagne au bénéfice des pays du Sud sans avoir au préalable consulté, informé, et associé pleinement des réseaux du Sud», dit Brian Ashley. Nicola Bullard approuve et ajoute que « Focus on Global South considère le meeting de Johannesburg comme un moyen d'attirer un grand nombre de groupes radicaux et de mouvements de terrain afin de légitimer une campagne prédéterminée et conduite par le Nord. Nous pensons au contraire qu'il faut se mobiliser pour construire les mouvements de bas en haut ».

Le plus grand danger que présentent la confusion du message de MPH avec celui du gouvernement et l'exclusion de représentants critiques du Nord comme du Sud est peut-être que ceci permet à l'Etat et aux médias d'opposer nettement deux camps : d'un côté celui des « bons protestataires » - soit ceux qui assistent à la réunion d'Edimbourg du 2 juillet et de l'autre celui des « mauvais protestataires » - soit ceux qui envisagent la désobéissance civile contre une institution après tout illégitime et contre un ensemble de gouvernements responsables de la mort de millions de personnes innocentes chaque année.


MPH : une machine à sous

Les ONG de développement britanniques qui n'approuvent pas la direction de MPH le savent très bien, mais ils refusent de quitter publiquement une campagne qui dévoie pourtant le mouvement mondial pour la justice dans les rapports Nord/Sud. Cela peut paraître cynique, mais la raison en est simple. L'histoire de MPH est celle d'une machine à faire de l'argent. « Bien que nous haïssions l'image donnée par MPH et l'exploitation commerciale de la campagne, quelques ONG tirent des milliers de livres de la vente des bracelets », admet un critique pourtant sévère. « Notre base de données compte un nombre important de nouveaux venus intéressés par nos campagnes ; les questions du commerce, de la dette et de l'aide au développement sont brusquement redevenues très attirantes et nous avons de nouveaux bailleurs de fond potentiels qui nous contactent pour financer des projets et des recherches. MPH m'assure un salaire pour les trois années à venir. »

En fin de compte, c'est un point central pour certaines ONG et c'est toute l'histoire de MPH : aider les pauvres du monde de telle sorte que la survie de l'organisation soit garantie. En chevauchant ce tigre faiseur d'argent dans l'espoir de devenir plus fortes, les ONG de développement les plus respectées comme Christian Aid, War on War ( Guerre à la Guerre) et World Development Movement ( Mouvement pour le Développement Mondial) risquent de se détacher complètement de leurs camarades africains à un moment pourtant crucial où il faudrait s'unir contre le New Labour, le G8 et leur intention d'extraire les richesses naturelles de l'Afrique pour le compte des grandes firmes occidentales.

Nous ne devons pas laisser faire un tel scandale. Il encore temps que les voix dissidentes de MPH quittent en masse la coalition et utilisent ce pouvoir symbolique afin d'inciter les millions de membres de MPH à résister au G8, et de pousser Geldof, Bono, Curtis et compagnie à au moins utiliser leur influence dans les médias pour faire entendre les critiques de la politique du G8. Autrement, la seule chose qu'ils rangeront éventuellement dans les placards de l'histoire est l'Afrique elle-même.

Stuart Hodkinson est rédacteur en chef associé de Red pepper, militant et chercheur actif, stuart@redpepper.org.uk

Red Pepper tient par ailleurs un blog mis à jour en temps réel tout au long du sommet du G8.
Accédez-y sur : http://www.redpepper.org.uk

Traductrices : Maryse Moll and Claire Lochet coorditrad@attac.org

 
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