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Ignorance vraie ou feinte ? "Lorsque l'on est une superpuissance, l'ignorance n'est pas un bienfait; elle constitue une menace [...] pour l'humanité toute entière". Les attentats succèdent aux attentats, les condoléances officielles succèdent aux condoléances officielles, les déclarations martiales aux déclarations martiales. On s'affole devant des menaces protéiformes qu'on ne sait ni prévoir ni conjurer. Alors on se donne le change avec le show politique du "tout sécuritaire". Comme si le théâtre que l'on se joue pouvait calmer notre anxiété et apporter une solution aux problèmes qui naissent de la pauvreté et de l'injustice et qui causent le désespoir..! Jeffrey Sachs, directeur de l'Institut de la Terre à l'Université Columbia, avait écrit en 2004 le texte suivant à propos des Etats-Unis. Nos gouvernants, tous autant qu'ils sont, devraient bien le lire ou le relire et le méditer: l'objet de ce texte dépasse largement les seuls Etats-Unis et reste d'une actualité brulante.


L'ignorance de l'Amérique : une menace pour l'humanité

Le 07/09/2005
Grain de sable
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ourquoi il faut se préoccuper de la pauvreté

NEW YORK La démission de George Tenet la semaine dernière a fait suite aux échecs des services de renseignement au cours de la guerre en Iraq et durant la période qui a précédé les attentats du 11 septembre. Mais les carences du renseignement américain sont loin de ne concerner que la CIA et les pays où l'Amérique est en guerre ou poursuit des terroristes.

Dans les régions les plus pauvres du monde, de l'Amérique du Sud jusqu'en Asie centrale, le gouvernement des Etats-Unis semble intervenir quasiment à l'aveuglette, face à des problèmes qu'il ne comprend absolument pas et que, de ce fait, il ne peut résoudre.

Ce problème ne date pas du gouvernement Bush, bien qu'ignorance et arrogance combinées dans la politique étrangère du Président Georges W. Bush aient eues des conséquences particulièrement désastreuses.

Depuis le début des années 1980, les programmes de développement américains sont sabrés, de sorte que les milieux institutionnels comprennent très mal les problèmes qui agitent les sociétés touchées par le chômage de masse, une croissance démographique rapide, des maladies omniprésentes et la faim chronique.

Que l'on s'intéresse au Conseil national de sécurité, au Trésor, au Conseil économique, à l'Agence américaine pour le développement international (USAID) ou aux membres des comités du Congrès concernés, on a le plus grand mal à trouver des personnes ayant une bonne connaissance des pays pauvres.

C'est d'autant plus regrettable que les pauvres (grosso modo, ceux qui vivent et meurent avec moins de 2 dollars par jour) représentent la moitié de l'humanité - et se trouvent dans la plupart des endroits où des troupes américaines ont combattu et péri au cours des dernières décennies.

Lorsque j'ai approché des responsables du gouvernement Bush en 2001 pour tenter de les convaincre de renforcer la lutte contre la pandémie du SIDA, je me suis trouvé devant des interlocuteurs qui étaient des juristes, des responsables restés en fonction depuis la guerre froide ainsi que des hommes politiques.

L'expertise spécialiste faisait entièrement défaut. Elle était remisée dans les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies et les Instituts nationaux de la Santé, ni les uns ni les autres ne s'étant vu confier la conduite de la politique de lutte contre le SIDA. Le programme USAID n'était pas mieux loti. Dès 2001, son budget et ses compétences étaient tellement affaiblis qu'il y demeurait très peu d'esprits indépendants, et moins encore de personnes ayant une idée précise de ce que représentait la catastrophe du SIDA en Afrique.

Bien qu'il y ait au sein du gouvernement de Bush une réelle volonté de lutter contre le SIDA, trop de considérations politiques et trop peu de professionnalisme ont eu pour effet de retarder de plusieurs années le lancement de l'initiative mondiale de lutte contre le SIDA de Bush, ce qui s'est traduit par la mort de millions de personnes. On a déjà constaté ces déplorables pertes de temps et ces occasions manquées dans d'autres circonstances.

Ces dernières années, à chaque fois qu'il a fallu faire face en urgence à des problèmes découlant de la pauvreté en Afrique, de l'instabilité politique en Amérique latine ou de catastrophes naturelles en Asie, nous n'avions pratiquement pas d'interlocuteurs dans les hautes sphères du gouvernement américain.

Ainsi, lorsque la crise économique a provoqué la chute du gouvernement démocratiquement élu en Bolivie l'année dernière, les responsables américains chargés de l'Amérique du Sud ont brillé par leur incapacité absolue à faire face.

Le fait est que se préoccuper d'endroits comme la Bolivie ou l'Ethiopie est considéré dans les hautes sphères du pouvoir comme une marque de faiblesse ou comme politiquement non pertinent - jusqu'à ce que la catastrophe survienne. Cette attitude est ce qui permet de comprendre pourquoi le gouvernement américain a été incapable d'anticiper et de prévenir les désastres survenus en Afghanistan, au Cambodge, en Haïti, au Nicaragua, en Somalie, au Vietnam et dans bien d'autres endroits où les Etats-Unis ont gaspillé des vies et des ressources.

La déconfiture de la politique étrangère des Etats-Unis se lit dans les chiffres du budget. Il est bien révolu le temps du Plan Marshall, où l'Amérique consacrait plusieurs points de pourcentage de son Produit intérieur brut à la reconstruction européenne. Cette année, les Etats-Unis vont consacrer environ 450 milliards de dollars aux dépenses militaires, contre seulement 15 milliards à l'aide publique au développement.

Ce ratio de 30 à 1 trouve son pendant dans un déséquilibre comparable des modes de pensée américains. Les compétences militaires américaines sont incontestées. La capacité de l'Amérique à comprendre ce qui se passe avant et après les guerres dans les pays pauvres est pratiquement inexistante.

Pour remédier à tout cela, il faudra faire bien plus que reconnaître les erreurs commises lors de la guerre en Iraq. Un bon point de départ serait de reconstruire l'USAID pour en faire une institution de premier plan, capable de comprendre les catastrophes humaines et les menaces pour la sécurité qui découlent de l'extrême pauvreté, et capable d'y répondre.

Cette institution a besoin d'être dotée d'une direction et d'un personnel compétents et non politisés, d'un nouveau mandat élargi à l'étude d'une économie mondiale faite de criantes inégalités, de moyens financiers accrus pour venir en aide à des pays fragiles et qui s'appauvrissent avant que ceux-ci ne sombrent dans le chaos, et d'être promue au rang de département ministériel afin que ses experts puissent se faire entendre des centres du pouvoir. Les efforts américains devront cependant aller au delà de cette seule institution. Les Etats-Unis ont besoin de dirigeants qui reconnaissent que les problèmes des pauvres ne sont pas des bagatelles à laisser aux bonnes âmes, mais des questions stratégiques de première importance. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, l'Amérique doit se donner les moyens de comprendre des problèmes tels que les maladies tropicales ou la malnutrition par exemple, qui sont méconnus des Américains alors que ce sont des sujets de préoccupation urgents pour des milliards de personnes ailleurs dans le monde.

Lorsque l'on est une superpuissance, l'ignorance n'est pas un bienfait; elle constitue une menace pour les Américains et pour l'humanité toute entière.


Jeffrey D. Sachs est directeur de l'Institut de la Terre à l'Université de Columbia.

Traductrices : Flora Pelegrin et Geneviève Bernard coorditrad@attac.org

 
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