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(Par Bernard Cassen) En 2006, il n'y aura pas de Forum social mondial (FSM) unique, comme il y en avait eu les 5 années précédentes : 4 à Porto Alegre au Brésil et un (en 2004) à Mumbai en Inde. En attendant 2007, où un sixième Forum de ce type est prévu en Afrique, un consensus s'est dégagé au sein du Conseil international du FSM pour organiser, à sa place, et dans plusieurs pays, une série de rencontres s'inscrivant dans le concept générique de «Forum social mondial polycentrique». Le plus important d'entre eux sera certainement celui de Caracas, prévu du 24 au 29 janvier, et qui aura en même temps le statut de Deuxième Forum social des Amériques


Le «manifeste de Porto Alegre» et l'avenir des forums sociaux mondiaux (première partie)

Le 29/06/2005
Grain de sable
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n 2006, il n'y aura pas de Forum social mondial (FSM) unique, comme il y en avait eu les 5 années précédentes : 4 à Porto Alegre au Brésil et un (en 2004) à Mumbai en Inde. En attendant 2007, où un sixième Forum de ce type est prévu en Afrique, un consensus s'est dégagé au sein du Conseil international du FSM pour organiser, à sa place, et dans plusieurs pays, une série de rencontres s'inscrivant dans le concept générique de «Forum social mondial polycentrique».
Le plus important d'entre eux sera certainement celui de Caracas, prévu du 24 au 29 janvier, et qui aura en même temps le statut de Deuxième Forum social des Amériques.


Les dates ainsi décidées pour le Venezuela correspondent à celles du World Economic Forum (WEF) de Davos, afin de reprendre une tradition qui avait seulement été rompue pour le Forum de Mumbai. La raison est simple : ne pas laisser aux « maîtres du monde » le privilège médiatique d'exprimer, sans contestation et à chaque début d'année, leur vision de l'avenir de la planète. Comme l'expérience l'a prouvé, cette simultanéité entre les deux Forums constitue un atout important. Et c'est le fondateur et président de Davos, Klaus Schwab, qui en fit lui-même l'aveu, non sans un profond agacement. S'exprimant devant des journalistes à Buenos Aires, le 21 mars 2001 (soit deux mois après le premier FSM), il déclara en effet que le FSM avait commis "un détournement négatif" de la renommée du WEF. " Cela brouille les cartes, poursuivait-il : "De manière très intelligente, vous mettez votre nom à côté d'un autre, mondialement connu, comme celui du Forum de Davos, et vous devenez connu". En termes de logiques de la communication, la conclusion de M. Schwab était en partie exacte : "Sans Davos, personne n'aurait jamais entendu parler de Porto Alegre". L'affirmation est certes très exagérée, mais il faut bien reconnaître que nous avons su exploiter au maximum la concomitance des dates des deux Forums.


Dès le premier FSM, en 2001, il était apparu que la ville de Porto Alegre ne pouvait pas à elle seule concentrer, une fois l'an, l'ensemble du mouvement international de résistance et d'élaboration d'alternatives à la mondialisation libérale, ce que l'on a depuis appelé le mouvement «altermondialiste». Lors de la séance de clôture, au cours de laquelle fut annoncé le maintien de la capitale de l'Etat de Rio Grande do Sul comme ville d'accueil du FSM 2002, il fut précisé que ce Forum devrait aussi se mondialiser géographiquement. En fait, cette mondialisation ne commença réellement que l'année suivante avec la tenue de Forums sociaux thématiques et continentaux (également appelés régionaux, en termes de régions du monde), notamment des Forums sociaux européens (FSE) de Florence (2002), de Paris et Saint-Denis (2003) et de Londres (2004). Vinrent également les Forums nationaux et les Forums locaux dont la liste serait trop longue à citer.
Les patrons de transnationales, banquiers et dirigeants politiques disposent de multiples occasions de se rencontrer informellement tout au long de l'année, que ce soit à Davos et dans ses variantes locales, dans le cadre de la Commission trilatérale, de la Table ronde des industriels européens (ERT), du Transatlantic Business Dialogue, du World Business Council for Sustainable Development, du Groupe de Bilderberg ou dans les multiples symposiums organisés par des fondations américaines et européennes. Dans l'atmosphère feutrée de ces conclaves, on fait le point sur la situation de la mondialisation libérale, sur les dangers qui pèsent sur elle, sur les forces de la contestation et sur les façons de lui répondre. Nul besoin de publier des communiqués : l'information et les stratégies, actualisées en permanence, circulent de bouche à oreille, d'autant que des liens personnels se tissent au sein de ces directoires du monde. On en trouve aussi l'écho dans des articles de revues, dans des documents de travail à diffusion restreinte et parfois dans des comptes rendus de journalistes triés sur le volet pour assister à ces tractations discrètes.


Du côté des mouvements sociaux, rien de semblable. Certes les syndicats, à travers leurs structures internationales, les innombrables campagnes, réseaux associatifs, confessionnels, universitaires, humanitaires, etc., ont des occasions de se retrouver périodiquement, mais l'expérience prouve que, de leurs réunions sectorielles, il sort peu d'actions globales concertées. Précisément parce qu'elles sont sectorielles. Ce qui manquait, c'était un espace où le maximum d'acteurs sociaux, dont les précédents, en général dépourvus de moyens et souvent géographiquement isolés, puissent se retrouver, échanger, fédérer et articuler leurs luttes.


Les Rencontres internationales de Saint-Denis de juin 1999, organisées par Attac France (dont j'étais à l'époque le président) avaient, encore modestement, constitué un premier espace de préfiguration. Dans mon intervention d'ouverture, j'avais indiqué que «l'un des mérites de notre rassemblement , c'est de donner une visibilité globale à des combats qui restent atomisés et qui s'ignorent les uns des autres. C'est aussi de montrer leur cohérence et leur convergence. Au cours de ces trois journées, nous allons analyser, nous allons échanger nos expériences, et nous allons élaborer des propositions d'action pour les mois et les années à venir. Surtout, nous allons apprendre à nous connaître au sein d'un même pays, au sein d'un même continent et entre continents. Nous allons jeter des passerelles et des ponts entre nous». J'ignorais évidemment, à l'époque, que se mettrait en place, moins de deux ans plus tard, mais sur une bien plus grande échelle, un espace permettant de répondre à cette ambition : le FSM. Un espace où pourraient graduellement s'élaborer des consensus, et où se ferait également l'inventaire des accords et divergences sur les questions encore en débat entre des mouvements de tous types. Un espace aussi où se définiraient des stratégies communes.


La radicale nouveauté du FSM, c'est, en effet, d'être passé, tout en l'intégrant, d'une culture du «non» - celle qui s'était spectaculairement traduite par les manifestations de Seattle contre l'OMC, en 1999, et dans celles qui allaient suivre - à une culture du «oui», implicite dans le mot d'ordre «Un autre monde est possible». C'est aussi, pour l'élaboration d'alternatives, d'avoir esquissé les contours de coalitions planétaires, continentales, voire nationales, regroupant des acteurs et mouvements sociaux aux logiques pas toujours spontanément convergentes, loin s'en faut - syndicats et associations -, également des structures comme les Eglises, voire des regroupements de petites et moyennes en reprises (PME), et aussi les élus nationaux ou locaux du suffrage universel, selon des modalités originales.


Dès ses premiers textes, et surtout dans le document de référence qu'est sa Charte de principes élaborée en juin 2001 afin de «cadrer» les futurs Forums, le FSM se définit à la fois comme un espace et un processus, et absolument pas comme une entité. Il s'agit bien, en effet, dès Porto Alegre 1 (janvier 2001), de ménager un lieu d'échanges, de dialogue, d'élaboration de propositions, de mise en place de stratégies d'action et de constitution de coalitions de tous les acteurs sociaux qui refusent la mondialisation libérale - ce refus étant la condition sine qua non de la participation à ses activités. Mais chacune de ces démarches n'engage que les organisations qui veulent s'y impliquer, et non pas l'ensemble de celles présentes au Forum.


Comme le rappelle Chico Whitaker dans sa contribution à cet ouvrage, le FSM ne prend donc pas de positions en tant que tel, il n'y a pas de «communiqué final» de ses réunions ; il y a seulement des textes adoptés lors du FSM, mais pas de textes du FSM, mis à part ceux, précisément, qui fixent ces règles du jeu. Cela vaut non seulement pour le FSM lui-même, mais aussi pour la plupart de ses déclinaisons continentales (comme les Forums sociaux européens), ainsi que pour sa structure de pilotage qu'est son Conseil international. Cela vaut aussi pour les différents appels dits «des mouvements sociaux» élaborés pendant les différentes sessions du FSM .


Ce statut n'a pas toujours été compris par les observateurs : pour eux, il était difficile d'admettre qu'un Forum se termine sans propositions et déclarations officielles  ; d'où leur tendance à affirmer que nous étions incapables de «positiver», que nous abandonnions le terrain dès qu'il fallait se colleter à la réalité. Il leur aurait pourtant suffi de se promener dans quelques-uns des centaines d'ateliers ou séminaires des FSM, de 2001 à 2005, pour constater que les propositions fourmillaient.


Le processus du FSM me paraît doublement constituer une bifurcation historique :

 o  d'abord, par l'élaboration progressive, aux niveaux local, national et mondial, d'un corpus de plus en plus largement partagé par les acteurs sociaux (avec les précautions de méthode que je viens d'évoquer) d'analyses et de propositions en rupture avec les politiques néolibérales ;

 o  ensuite, par la multipolarité géographique de ses forces et acteurs, dont le choix d'une ville du Brésil, donc du Sud, comme premier porte-drapeau, est la concrétisation symbolique.


Une autre caractéristique positive des Forums, malheureusement sous-estimée par la grande majorité des mouvements sociaux, ainsi que par le secrétariat international et le Conseil international du FSM (instances dans lesquelles le sujet n'a jamais été débattu), est l'inclusion des élus dans le processus. Le rapport entre les mouvements sociaux et la sphère politique constitue un sempiternel objet de débat théorique et pratique, dont les termes varient d'ailleurs considérablement d'un pays à l'autre. Pour ma part, j'ai toujours pensé que nous n'avions nullement besoin, comme s'il s'agissait du Diable, d'une longue cuillère pour dialoguer avec les partis et les élus. Il suffit de garder en tête quelques principes simples et quelques règles de travail et de respect mutuel.


Dans la Charte des principes, il est précisé que « ne pourront participer au Forum, en tant que tels, les représentations des partis, ni les organisations militaires. Pourront être invités à y participer, à titre personnel, les gouvernants et parlementaires qui assument les engagements de la présente Charte ». En ce qui concerne les partis et responsables politiques, certains - c'est surtout le cas pour la France - ont pu voir une contradiction entre ces principes et la présence très médiatisée de dirigeants et même de ministres lors des 5 FSM. Cette présence s'explique, mais pour une partie seulement, par la tenue, à la veille d'un Forum ou en même temps que lui, de deux autres types de Forums : celui des autorités locales pour l'inclusion, et celui des parlementaires. Dans ces deux rencontres, députés, sénateurs, ministres, etc., prennent la parole ès-qualités. Ils ont ensuite toute latitude pour participer, non pas comme délégués, mais comme observateurs, aux séminaires et ateliers du FSM.


Ce télescopage des réunions a eu au moins deux grands mérites : celui d'incorporer les élus dans le mouvement d'ensemble du FSM, et celui de permettre des contacts entre eux et des militants associatifs et syndicaux. A titre d'anecdote, c'est parce que, pendant le FSM 2002, j'avais «sous la main» à quelques tables de distance du bar de l'hôtel Plaza Sao Rafael, Bertrand Delanoé, maire de Paris, et Patrick Braouzec, maire de Saint-Denis, que j'ai pu obtenir sur place leur accord pour l'accueil conjoint, par leurs deux villes, du Forum social européen en 2002, reporté ensuite en 2003.


Autre retombée très positive : les documents finaux des Forums des autorités locales et des parlementaires, qui marquent une inflexion notable dans l'implication des élus dans la lutte contre la mondialisation libérale et, pour les parlementaires, en faveur notamment de la taxe Tobin, contre l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC (in English : General Agreement on Trade in Services (GATS), contre la guerre en Irak, etc.

(A suivre dans le n°521)


Par Bernard Cassen, membre du Conseil international du Forum social mondial ; journaliste et directeur général du Monde diplomatique ; président d'honneur d'Attac France ; auteur de Tout a commencé à Porto Alegre, 1001 nuits, Paris, 2003.

 
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