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(Par Christiane Marty) Les partisans de la Constitution remarquent volontiers qu'elle n'est pas parfaite, mais ajoutent aussitôt qu'elle contient des avancées incontestables. Ils affirment que les sujets sociaux qui préoccupent à juste titre ont toute leur place dans les objectifs de l'Union européenne. Ainsi dans l'article I-3 qui définit ces objectifs, est inscrit un développement fondé sur "une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ?". Cet objectif est souvent cité comme une preuve définitive de l'intégration de la dimension sociale et il peut effectivement sembler positif. C'est pourtant un modèle de tromperie!


Quand constitution rime avec manipulation: où sont passés le plein emploi et le progrès social de l'article I-3 ?

Le 16/03/2005
Grain de sable
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es partisans de la Constitution remarquent volontiers qu'elle n'est pas parfaite, mais ajoutent aussitôt qu'elle contient des avancées incontestables. Ils affirment que les sujets sociaux qui préoccupent à juste titre ont toute leur place dans les objectifs de l'Union européenne. Ainsi dans l'article I-3 qui définit ces objectifs, est inscrit un développement fondé sur "une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ?". Cet objectif est souvent cité comme une preuve définitive de l'intégration de la dimension sociale et il peut effectivement sembler positif. C'est pourtant un modèle de tromperie !

Il faut d'abord savoir que c'est au cours des négociations finales, une fois que le corps du texte était déjà écrit, que l'économie a été qualifiée de "sociale" et que le "plein emploi" a fait son apparition dans l'article I-3. Ces ajouts n'ont été acceptés qu'en échange de l'ajout de l'expression "hautement compétitive". Ce qui est déjà assez significatif si on pense à toutes les régressions subies ces dernières années au nom de la compétitivité ! Mais surtout, cela permet de comprendre qu'il ne s'agit que d'une belle déclaration vide de tout contenu. La Constitution omet en effet totalement de préciser ensuite ce qu'est "l'économie sociale". Le "progrès social" n'a aucune traduction concrète dans le reste du texte, et le "plein emploi" en dehors de son apparition fugitive dans l'article I-3 disparaît complètement ! Le "marché" lui est une réalité tangible qui est déclinée 78 fois.

Progrès social
Le seul endroit où est repris le terme de progrès social est le préambule de la Charte des Droits fondamentaux, dans une expression d'ailleurs assez sibylline : "renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière du progrès social". Ce qui n'engage à rien. Non seulement la Constitution ne dote pas l'Union de compétences ni d'instruments contraignants pour mettre en ¦uvre le progrès social (elle le fait pourtant minutieusement pour le droit de la concurrence), mais il y a une régression dans les déclarations d'intention par rapport aux traités précédents. Les préambules des traités de Rome et de Nice assignaient en effet comme "but essentiel" à la construction européenne "l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi des peuples". La Constitution a cru bon de le supprimer. A un seul endroit, elle fait référence à "l'amélioration des conditions de vie et de travail" (article III-209) : aux côtés de la promotion de l'emploi, cette amélioration est annoncée comme devant "permettre l'égalisation dans le progrès". Mais l'illusion ne dure que quelques lignes car tout ceci est aussitôt subordonné à "la nécessité de maintenir la compétitivité de l'économie de l'Union".

Décidément, la compétitivité est le critère supérieur auquel tout progrès social est soumis. La "concurrence libre et non faussée" a le rang de guide suprême. La primauté accordée à la compétitivité est synonyme de dumping social car, étant une notion relative, la compétitivité justifiera de rabaisser toujours plus le coût du travail tant qu'il y aura quelque part de plus bas salaires. Alors quand le même article III-209 affirme un peu plus loin que l'égalisation dans le progrès "résultera du fonctionnement du marché intérieur", on ne peut que conclure à une mystification !

Plein emploi
On atteint là le comble de la manipulation. Après l'article I-3, le plein emploi disparaît complètement, même dans la section consacrée à la politique de l'emploi (articles III-203 à 208). Figure simplement l'objectif consistant à "atteindre un niveau d'emploi élevé" (article III-205). Le plein emploi est ainsi déqualifié en "niveau d'emploi élevé". Malgré ce rabais, c'est une formulation qui signifie dans le langage normal une volonté de réduire le chômage. Mais pas dans la Constitution. Pour en avoir la définition exacte, il faut se référer aux lignes directrices de l'emploi, que le Conseil adopte et dont il suit la mise en ¦uvre (article III-206). Ces lignes directrices sont définies dans la Stratégie européenne de l'emploi -très libérale- lancée en 1997. Elles montrent clairement qu'il ne s'agit pas du tout de viser la disparition du chômage. Jamais dans les lignes directrices de l'emploi ni dans la Constitution n'apparaît un objectif en terme de réduction du chômage. La Constitution ne mentionne même pas du tout le chômage !
"Atteindre un niveau d'emploi élevé" signifie simplement augmenter le "taux d'emploi", le niveau visé est ainsi d'atteindre 70% en 2010. L'objectif réel n'est pas de faire disparaître le chômage mais seulement "d'optimiser" son niveau! Comme c'est difficilement avouable, une pirouette sémantique permet de parler de niveau d'emploi élevé ! On peut remarquer qu'un taux d'emploi de 70% peut tout à fait cohabiter avec un fort taux de chômage : la Finlande a par exemple un taux d'emploi (68%) et un fort taux de chômage (9,2%). Comment peut-on admettre de parler de "niveau d'emploi élevé" avec des taux de chômage de cet ordre?

Le taux d'emploi remplace donc le taux de chômage comme indicateur pilote de la politique de l'emploi. C'est très révélateur de la stratégie libérale. Celle-ci consiste en effet à combiner l'accroissement de la main d'¦uvre avec le maintien d'un volant conséquent de chômage. L'accroissement de la main d'¦uvre doit servir à accroître la production et donc les profits. Et un certain volume de chômage est bénéfique pour faire pression à la baisse sur les exigences des salarié-es : c'est le volant "optimal" de chômage cher à la théorie libérale. Il n'y a aucune contradiction entre ces deux aspects puisque l'accroissement de main d'¦uvre vise les populations qui sont jusqu'à présent dites inactives, comme les femmes au foyer, la tranche d'âge de 55 à 64 ans et les jeunes.

Ainsi la politique contenue dans la Constitution ne recouvre absolument pas la mobilisation contre le chômage que la lecture candide de l'article I-3 laisse supposer. On peut même anticiper qu'une politique de l'emploi pilotée par l'objectif central d'augmentation du taux d'emploi justifiera plus que jamais le développement de n'importe quel type de petit boulot, puisqu'on ne trouve nulle part de définition exigeante d'une norme d'emploi. En outre la plus grande flexibilité est préconisée. C'est ainsi que l'article III-203 parle de "promouvoir une main d'¦uvre (Š) susceptible de s'adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l'évolution de l'économie". Au cas où on aurait des doutes sur la signification de cet article, les lignes directrices de l'emploi en éclairent le sens. Dans le paragraphe intitulé "Faire face aux changements et promouvoir la capacité d'adaptation au travail et la mobilité", il est précisé : "Les Etats membres (Š) réformeront les conditions trop restrictives de la législation en matière d'emploi qui affectent la dynamique du marché du travail". Voilà qui appelle clairement au démantèlement du droit du travail, le Medef peut être satisfait.

En résumé, l'objectif de l'article I-3 visant à une "économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social" se révèle vide de tout contenu progressiste. Non seulement plein emploi et progrès social s'évanouissent complètement, mais l'ensemble de la Constitution en est un démenti systématique. Le progrès social est asservi aux impératifs de compétitivité, et en réalité c'est le dumping social qui est organisé. Le "plein emploi" revisité par la stratégie européenne cohabite très bien avec un fort chômage ! Et la politique de l'emploi prescrite dans la Constitution n'est que la promesse d'une plus grande flexibilité et de la dégradation des normes d'emploi.

Finalement, la manipulation qui consiste à annoncer un objectif qui se révèle ensuite en contradiction totale avec le contenu réel de la Constitution, jette le doute sur l'ensemble des belles déclarations qui y sont inscrites. Ainsi, il ne manque pas d'affirmations de principe pour garantir un "niveau élevé": de "protection de la qualité de l'environnement" (article I-3), de "protection de la santé" (article II-95), de "protection des consommateurs" (article II-98), ou encore "d'éducation et de formation" (article III-117). En l'absence totale de définition et de transcription en mesures d'application, on est autorisé à n'y voir qu'un pur effet d'annonce.

Enfin, il est significatif de voir l'objectif d'une "économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social" régulièrement cité par Giscard d'Estaing (et beaucoup d'autres) pour prouver la préoccupation sociale de la Constitution ! Comment lui, qui n'a pas l'excuse d'ignorer le marchandage ultime sur les termes "social" et "plein emploi" et qui sait parfaitement que ces ajouts n'ont rien changé au carcan libéral du texte, comment peut-il mettre en avant cet objectif comme un argument décisif ? Est-ce que cette hypocrisie ne prouve pas au fond qu'il n'y a rien d'autre pour défendre la Constitution qu'une communication mensongère ?

Christiane Marty
membre du Conseil scientifique d'Attac

 
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