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(par Christian Jacquiau) La grande distribution va recruter 26500 personnes en 2005. Un chiffre qui ne dit pourtant rien des emplois détruits dans le commerce, des jobs délocalisés dans l'industrie ni de la pauvreté dans l'agriculture


Comment des hypers détruisent des milliers d'emplois

Le 16/02/2005
Grain de sable
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haque jour qui passe égrène son chapelet de délocalisations. Dans ce climat morose, la distribution annonce plus de 26500 postes à pourvoir en 2005 ! La presse reprend en choeur : 7 000 chez Carrefour, 5 000 chez Auchan, 1000 chez ED... Ce discours de conquête masque une tout autre réalité : celle de recrutements motivés pour l'essentiel par un turn-over ultrarapide, véritable maladie endémique de la grande distribution. Mais aussi par un accroissement du nombre de points de ventes autorisés, aboutissant à accroître chaque année la surface de vente de quelques 3 millions de mètres carrés !

On détruit en silence d'un côté, on communique sur les recrutements liés aux nouvelles implantations de l'autre. Pourtant, " recrutement " ne signifie pas toujours " création d'emploi " . Pour preuve, Monoprix recrute pour faire face à une forte croissance... de départs en retraite prévue entre 2004 et 2008. Dans son étude d'impact du projet de centre commercial d'Aubervilliers, un fief communiste, la délégation de Paris de la chambre de commerce estimait en septembre 2000 que 4 commerces sur 10 pourraient disparaître et que 1130 emplois seraient menacés. Pour ne parler que des suppressions directes. Un emploi créé en grande surface, c'est 3 à 5 emplois détruits ailleurs. Destruction dont on ne parle jamais. Pour le seul troisième trimestre 2003, 4900 emplois ont disparu dans le commerce de détail dans l'ensemble du pays (voir tableau).

Face à ces destructions massives, l'argument de la création de postes d'hôtesses de caisse fait de moins en moins illusion. D'autant qu'elles s'accompagnent, dans le même temps, d'une véritable désertification industrielle : entre 1985 et 2004, l'industrie a perdu 1 million de postes (de 4,8 à 3,8 millions).

Une situation d'abus de position dominante

De combien d'emplois détruits la grande distribution est-elle responsable ? Personne n'a jamais cherché aie savoir, alors même qu'elle a refondé toute la chaîne producteur-consommateur sur un seul et unique critère : le prix. Voilà, par exemple, ce qu'écrit le sénateur UDF Jean Arthuis, ancien ministre des Finances, dans la revue Futuribles : "Le combat permanent pour casser les prix d'achat à travers des centrales d'achats [...] permet d'écraser les prétentions de leurs fournisseurs, tout en ménageant les marges des distributeurs. Les pratiques les plus contestables se répandent, marges arrière exorbitantes, menaces de déréférencement, chantages sordides. Nous sommes en face de véritables abus déposition dominante. Les pouvoirs publics ne s'en émeuvent pas, car les prix vont baisser et les consommateurs, à défaut de travailler pour produire ce qu'ils consomment, se réjouiront de ces aubaines. [...] Les industriels tentent de résister, recherchent désespérément des gains de productivité, puis disparaissent ou délocalisent." Le monde agricole, lui, subit des crises à répétition qui ne sont pas que conjoncturelles : 25 % des paysans ont un revenu inférieur au RMI, 40 % disposent de moins du Smic pour vivre ! Toutes les vingt minutes, un paysan français doit quitter sa ferme, toutes les trois minutes en Europe. Pendant ce temps, la PAC (Politique agricole commune) subventionne les plus nantis. En Espagne, 150 000 clandestins travaillent pour une rémunération horaire de 2,41 EUR.

"De Forcalquier à Gap, une quasi-monoculture de la pomme est née après la construction du barrage de Serre-Ponçon et le début de l'irrigation. Ce système de production intensif et spécialisé est assis sur une main-d'¦uvre abondante, sous-payée et disponible en permanence pour de courtes périodes", rappelle Patrick Herman [1] dans les colonnes du Monde Diplomatique. Et d'ajouter : "Dans les Bouches-du-Rhône, le système d'emploi agricole se recompose avec le recours massif aux travailleurs immigrés, dans le cadre des contrats contrôlés par l'Office des migrations internationales (OMI), qui donne l'autorisation d'embaucher à l'étranger un ouvrier saisonnier."
Ces contrats dits "contrats OMI", qui ne concernent que le Maroc, la Tunisie, la Pologne, donnent lieu à toute sorte de trafics.
Rapidement, les Marocains fournissent les gros bataillons des saisonniers. Habitués à de dures conditions de vie, ils vont désormais disparaître, engloutis dans ce triangle des Bermudes social qui va de Berre à Châteaurenard et Saint-Martin-de-Crau, devenus fantômes dans cette plaine où les chemins qui se croisent ne portent même pas de pancarte...
Rares sont ceux qui osent témoigner "du patron qui ponctionne les salaires, du travail par 50 degrés sous des serres où flottent les pesticides pulvérisés sans protection..."
Tout ça pour alimenter les linéaires de nos distributeurs préférés. L'effet est ravageur.

Dans les hypermarchés et les supermarchés, la situation n'est guère plus enviable. Déjà précarisées et sous- payées, soumises à des contraintes horaires insupportables, les caissières (qui représentent aujourd'hui l'essentiel des effectifs de la distribution) devraient être amenées, elles aussi, à disparaître. Remplacées par des caisses automatiques. Une puce électronique a déjà pris place sur les étiquettes des produits que nous achetons. Officiellement pour éviter le vol. En fait pour permettre au client de se débrouiller sans caissière. La puce contient bien plus d'informations que les codes-barres. Finies, les manipulations à la caisse. On arrête son Caddie sur l'espace repéré au sol. Des rayons le traversent de part en part. Et l'addition est faite. Parallèlement, un nouveau concept, baptisé "magasin de convenience" , fonctionnant sans aucune intervention humaine, apparaît çà et là au c¦ur de nos villes. Ils fleuriront bientôt dans nos campagnes. Ces énormes distributeurs automatiques n'ont besoin que 35 m2 et de 5 m de vitrine pour trouver leur place dans notre paysage quotidien. La garantie, pour les exploitants, de ne pas débourser un seul centime en charges sociales. En deux ans, l'investissement est rentabilisé !

Une régression sociale sans précédent

La grande distribution est un formidable accélérateur de la mondialisation néolibérale. Au nom de la libre concurrence et des prix bas, nous en sommes arrivés à accepter, sans broncher, une régression sociale sans précédent. Après soixante années de croissance et de création de richesse... la France n'aurait plus les moyens de sa protection sociale : trou de la Sécu, excédents de charges et trop-plein de dépenses publiques. Mais au fait, quel est le problème ? Trop de prestations ou... trop peu de recettes ? Moins de commerçants et d'artisans, moins de paysans, moins d'emplois dans les entreprises, c'est au final moins de cotisations salariales et patronales. Donc moins de retraites, moins de prestations sociales et moins de services au public. Commerce, industrie, agriculture, services... les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nous sommes loin du débat poujadiste opposant le petit au grand commerce. Le sujet de la grande distribution est transversal. Désormais, étudiants, retraités, fonctionnaires, professions libérales, paysans, commerçants, artisans et chefs d'entreprise sont sur le même bateau. Il s'agit là d'un véritable choix de société. Un jeu dans lequel le chacun pour soi ne peut que conduire au naufrage collectif. Mais le capitaine, comme l'équipage, regarde ailleurs. Et l'orchestre, inlassablement, continue à jouer "l'hymne à la consommation" . Son unique partition.

première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004

Notes :
[1] VOYAGE AU PAYS DES HOMMES INVISIBLES - Fruits et légumes au goût amer - Le Monde Diplomatique - avril 2003 - http://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/HERMAN/10088


 
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