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(par Christian Jacquiau) C'est l'histoire d'une taxe de 2 milliards d'euros, payée par les clients à la caisse des grandes surfaces au moment où sévissait la crise de la vache folle, et que Bercy doit aujourd'hui rembourser... aux grandes surfaces!


Le scandale de la taxe d'équarissage, un hold-up à 2 milliards d'euros

Le 16/02/2005
Grain de sable
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ous sommes en 1996. L'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), dite "maladie de la vache folle" , fait des ravages. Philippe Vasseur, ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation du gouvernement Juppé 2, ne veut pas se retrouver avec des farines animales sur les mains. Une nouvelle taxe (l'"équarri-taxe") est alors instaurée, dans l'urgence, pour financer le stockage et la destruction des farines animales. A chaque fois qu'un bifteck passe en caisse, les supermarchés et les hypermarchés prélèvent une taxe qu'ils reversent ensuite à l'Etat. Simple. Sauf que, dans la précipitation, le gouvernement a omis de soumettre sa nouvelle taxe à l'avis de Bruxelles. Le savait-il ou a-t-il feint de l'ignorer ? Toujours est-il que son équarri-taxe n'est pas eurocompatible !

Cette petite étourderie, chiffrée à 2 milliards d'euros, pourrait bien se transformer en autant de bénéfices inattendus pour nos champions de la grande distribution.

Avec la bienveillance de Bercy. En toute logique, c'est le consommateur qui aurait dû être remboursé. N'est-ce pas lui qui, à l'époque, a payé la taxe ? Certes. Mais comme il n'a pas conservé ses tickets de caisse, ce sont les grandes surfaces qui rafleront le pactole ! Combien ? De 100 000 à 300 000 EUR pour un supermarché. Plus de 2 millions pour les plus gros hypermarchés. Un scandale, un vrai !

Créée en 1997, la taxe d'équarrissage n'a rapporté, au cours de la période 1997-2000, que 100 millions d'euros par an.

Elle a été remplacée, dès 2001, par un nouvel impôt censé mieux répondre aux exigences de Bruxelles. Au passage, le prélèvement fiscal a subi une petite inflation de... 500 %, transformant les 100 millions d'euros de taxe annuelle en 500 millions d'euros d'impôt nouveau. En tout : autour de 2 milliards d'euros sur la période 1997-2003 ! L'enveloppe, pour l'ensemble des acteurs de la grande distribution, équivaut aux résultats nets cumulés des groupes Carrefour et Casino pour la seule année 2003 ou, si l'on préfère cette comparaison, à la somme débloquée pour les recalculés de l'Assedic au printemps dernier ! Pour le seul groupe Carrefour, les 400 millions d'euros escomptés pourraient augmenter " artificiellement" son résultat de 20 à 25 % ! Un beau cadeau de Noël en effet...

Un vent de panique souffle sur Bercy

Un vent de panique souffle alors sur Bercy. Nicolas Sarkozy fait subitement machine arrière : "D'accord pour rembourser la taxe prélevée de 1997 à 2000. Mais pas celle de 2001 à 2003 !" Dans la matinée du 30 septembre 2004, l'ordre est donné aux directions régionales des impôts de bloquer les demandes de remboursement. Pis encore : les agents du ministère sont invités à faire du porte-à-porte pour aller récupérer, point de vente par point de vente, les sommes remboursées dans la précipitation. Tout cela, évidemment, dans la plus grande discrétion. On imagine le pataquès si, par malheur, l'affaire avait été ébruitée au moment même où le ministre communiquait sur ces 2 % de baisse de prix, arrachés de haute lutte aux grands distributeurs après d'interminables "nuits de négociations".

Bien qu'ils se soient empressés de répercuter auprès du consommateur la fameuse taxe, les distributeurs ont saisi la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Laquelle, dans son jugement du 20 novembre 2003, a considéré la taxe comme "une aide au secteur agricole, non conforme au droit européen" devant être remboursée aux distributeurs. Dans un premier temps, Bercy a joué profil bas, confirmant le 15 octobre 2004 avoir "intégré 1,4 milliard d'euros de remboursements au budget 2004", laissant au passage filer le reste sur le budget 2005... Quelques jours plus tard, le 8 novembre, les services de Nicolas Sarkozy ont contesté leurs propres chiffres, ne reconnaissant plus que 400 millions de dettes (100 millions par an de 1997 à 2000). "Autrement dit, Bercy avait mal lu l'avis rendu plus d'un an auparavant par la CJCE" , ironise Bertrand Gobin, le journaliste du magazine Linéaires qui, avec Marianne (n° 365, du 19 avril 2004), a révélé l'affaire.

Ce revirement est d'autant plus étonnant que le juriste Me Goulard évaluait devant le Conseil d'Etat, le 15 juillet dernier, le contentieux en cours à environ 1,8 milliard d'euros. Pour cet avocat spécialisé, interrogé par le magazine Linéaires, "Bercy cherche à gagner du temps, car il faudra bien finir par rembourser les distributeurs".
Qui, en toute logique, devraient les reverser aux consommateurs. Las. Les géants de la distribution, entourés des meilleurs fiscalistes, fourbissent leurs armes pour arracher à Bercy, c'est-à-dire aux contribuables, ces 2 milliards d'euros.

Des recours qui finissent par payer

Pour parvenir à leurs fins, ils vont de nouveau déposer des réclamations, saisir les tribunaux administratifs, faire appel des décisions puis, vraisemblablement, saisir de nouveau la CJCE. Or, l'Etat a de grandes chances de perdre et de se voir infliger de lourdes pénalités. Certes, tout cela va prendre du temps, deux ou trois ans sans doute. Mais ce report est tout bénéfice pour les distributeurs ! Pour au moins deux raisons :

 o  1) les intérêts moratoires courent, cela en faveur des distributeurs, à un taux voisin de 12 %, c'est mieux que la Caisse d'épargne ou les sicav monétaires ;
 o  2) les distributeurs pourront ainsi étaler dans le temps des surprofits qui feraient mauvais effet en pleine campagne de baisse des prix.

Bref, c'est encore le contribuable consommateur, auquel on annonce sans rire une baisse des prix, qui paiera la note. Pourquoi une telle erreur ? Nicolas Sarkozy a d'abord négocié avec la grande distribution au moment où celle-ci pensait recevoir la manne de la taxe. Avant, une fois l'accord signé, de suspendre le remboursement et d'éviter le scandale d'une taxe acquittée deux fois par les consommateurs ! Car c'est bien de cela qu'il s'agit : au moment où la grande distribution communique sur le commerce équitable et les prix prétendument bas, ces 2 milliards payés par les consommateurs à la caisse des supermarchés vont l'être à nouveau par les consommateurs contribuables pour "rembourser" aux distributeurs une taxe qui, au final, ne leur a jamais rien coûté !

première publication : Marianne n° 400 Semaine du 18 décembre 2004 au 24 décembre 2004

 
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