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(Par José Saramago, Le prix Nobel de littérature de 1998, traduction par Caroline Darrieumerlou, de Coorditrad) Le prix Nobel de littérature de 1998 José Saramago, assure, dans un entretien avec Yamid Amat que ces groupes «n'ont rien de communistes». Il ajoute que dans le monde, le pouvoir n'est pas politique mais économique. «Ils appellent mondialisation l'empire économique et financier»


«En Colombie il n'y a pas de guérillas mais des bandes armées»

Le 19/01/2005
Grain de sable
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e prix Nobel de littérature de 1998 José Saramago, assure, dans un entretien avec Yamid Amat que ces groupes «n'ont rien de communistes».

Il ajoute que dans le monde, le pouvoir n'est pas politique mais économique. «Ils appellent mondialisation l'empire économique et financier».

Cet écrivain et penseur (Portugal, 1922) jouit d'une admiration sans bornes pour un monde qui l'a consacré comme une des plus importantes figures littéraires du siècle dernier.

Saramago est le maître d'un monde particulier qu'il créa livre après livre, depuis son premier roman «terre de péché» (1947), ou ses récits «Le dieu manchot»(1982) et «Le radeau de pierre»(1986), jusqu'au scandaleux et controversé «L'évangile selon Jésus christ» (1991) ou l'indiscutable originalité de «L'aveuglement»(1996) et «La caverne»(2000).

Sceptique et intellectuel, Saramago (premier portugais a avoir eu le prix Nobel de littérature) garde une position éthique engagée avec le genre humain. Il est depuis toujours membre du parti communiste. Il se rallia à la révolution dite des oeillets qui marqua la fin de la dictature portugaise (1974).

Il vint en Colombie dans le cadre d'une tournée à travers divers pays pour promouvoir son dernier roman, «Essai sur la lucidité», sa création la plus politique, où il propose une hypothèse originale sur ce qui se passerait si 83% des électeurs d'un pays votaient blanc.

Il préfère un entretien plus orienté vers des sujets politiques, américains ou colombiens que des sujets littéraires.

Vous connaissez bien la situation colombienne. La guerilla se justifie-t-elle ?

Elle a toute sa justification dans le cadre de la résistance d'un peuple occupé par un envahisseur. Ce qui se passa en France pendant la seconde guerre mondiale ou ce qui se passe actuellement en Irak. Le concept de guerilla a quelque chose de noble, c'est à dire des citoyens qui s'organisent pour résister à l'envahisseur. Je ne crois pas que ce soit le cas de la Colombie. Ici il n'y a pas de guérilla mais des bandes armées.

Vous êtes communiste et la guerilla s'est identifiée au communisme...

Je ne peux imaginer un pays communiste qui s'adonne à la séquestration, l'assassinat et la violation des droits de l'homme. Ils ne sont pas communistes, peut être le furent ils au début, plus maintenant.

Quelle est l'alternative face aux problèmes sociaux du pays ?

D'une part une démocratie effective qui fonctionne, d'autre part le respect des droits de l'homme.
A chaque élection, les partis présentent un programme pour obtenir des voix. Si les partis, au lieu de se fatiguer à faire tant de promesses qu'ils ne tiennent jamais, se limitaient à défendre la déclaration universelle des droits de l'homme, ils auraient un programme de gouvernement.
Les droits de l'homme ne sont respectés nulle part. Droit à la vie, à une existence convenable, à manger et au travail; à la santé et à l'éducation. Le grand combat de la citoyenneté doit être la lutte pour le respect des droits de l'homme.

Pourquoi ne s'appliquent ils pas ?

La remise, le 10 décembre 1998, de mon prix Nobel a coïncidé jour pour jour avec le cinquantenaire de la signature de la déclaration des droits de l'homme. A cette occasion, il y eut partout dans le monde des événements et informations sur les droits de l'homme. L'année d'après, le 10 décembre 1999, je n'ai entendu ou lu quoi que ce soit. Je suis très attentif à ce qu'il va se passer dans quelques jours, le 10 décembre de cette année mais je suis sûr que personne n'en parlera. Les gouvernements, les multinationales et entreprises nationales ne s'y intéressent pas. Les citoyens sont apathiques. Les droits de l'homme continuent d'être une sorte de comédie; pire, une farce, pire, une tragédie, parcequ'ils servent seulement la rhétorique parlementaire ou politique quand ça arrange, mais après, on les enterre et on en parle plus.

Que faire dans un pays comme la Colombie, avec deux millions de déplacés, avec 3000 séquestrés, avec des femmes maltraitées, des filles violées, avec des enfants qui font la guerre, avec des hommes assassinés...?

Je dirai qu'en guise de consolation, aux grands maux les grands remèdes: Voter blanc.
Il faut arrêter avec cette fatalité qui consiste à dire on va voter pour un homme ou pour cet autre sans que rien ne change: la police et ses attaques, les bandes armées et ses enlèvements, le peuple avec la faim et le chômage. Le peuple doit dire: ça suffit !. Mais il ne s'agit pas de dire stop et de rester à la maison, c'est à dire s'abstenir de voter; il s'agit de dire stop et voter blanc. Je vous assure qu'on s'en apercevrait et que le système commencerait à trembler.

Vous avez déjà voté blanc ?

Non, jamais.

Si vous ne l'avez pas fait, pourquoi le prôner vous ?

Je n'en fais pas la promotion ni l'apologie. Je dis seulement que le vote blanc existe, et qu'il se peut qu'il soit, dans certaines circonstances, la seule réponse possible.

Mais vous le justifiez ?

Non, mais je vais vous dire ceci : Si j'étais colombien et avais l'occasion de voter, je voterais blanc pour la bonne et simple raison que les conditions ne me satisfont pas. J'exprimerais ainsi mon mécontentement.

Si le vote blanc gagnait, ce serait un échec pour la démocratie ?

40 ou 50% d'abstention, ce n'est pas un échec pour la démocratie ? Et ceci nous conduit à la pire des conclusions, celle des politiciens qui préfèrent l'abstention parcequ'ils s'y sont habitués, et nous avec.

Dans votre dernier livre « Essai sur la lucidité », vous racontez justement ce qui se passe dans un pays qui vote blanc. Mais vous dénoncez aussi la domination du pouvoir économique sur le pouvoir politique...

L'influence, la domination du pouvoir économique sur l'autorité politique a toujours existé. Mais de nos jours, l'empire économique, empire financier s'est emparé du monde. On appelle cela «mondialisation». Tout se fait sous couvert du pouvoir économique. Au fond les gouvernants ne gouvernent pas. Ils règlent les choses du quotidien. Mais pour le plus important, ce qui détermine la vie concrète des gens, ils ne font rien. Peut être ne peuvent ou ne veulent ils rien faire, peut être ne peuvent-ils pas mais ils ne veulent pas non plus. Certains hommes se placent au dessus de ça et, j'ai envie de le dire, au dessus du bien. Ils ne se placent pas au dessus du mal, seulement au dessus du bien, du bien commun. Nous vivons dans une ploutocratie, le gouvernement des riches.

Et la démocratie ?

La démocratie...! Le pouvoir politique n'a aucun moyen de contrôle sur les abus du pouvoir économique qui sont innombrables. Nous vivons dans un système dit «démocratique», où le citoyen ne peut rien faire d'autre que de défaire un gouvernement et en mettre un autre à la place mais ça ne change rien. Je veux juste donner un exemple très simple : il n'y a pas très longtemps on parlait du bon emploi, du plein emploi. C'est terminé et nous vivons dans ce que nous appelons maintenant d'une manière euphémique «mobilité sociale». C'est une insulte que d'appeler « mobilité sociale » cette situation de précarité de l'emploi partout dans le monde.

Mais cette situation n'est pas imputable aux gouvernements ?

Non. Aucun gouvernement n'en aurait l'idée. C'est le pouvoir économique qui a crée cette nouvelle conception du travail. Le pouvoir économique a dit: faites les lois nécessaires à la flexibilité du marché de l'emploi et que tout fonctionne selon notre bon vouloir. Peut on encore parler de démocratie dans une telle situation ?

Vos relations avec Cuba et Fidel Castro sont elles toujours rompues ?

J'ai dit en avril de l'année dernière, après l'exécution des trois cubains qui avaient pris un ferry en otage à La Havane que Cuba n'avait rien gagné en les fusillant, mais qu'ils avaient en revanche perdu ma confiance, enterré mes espérances, brisé mes rêves. Je continue à penser la même chose. J'ai dit qu'à partir de ce moment, Cuba continuait sa route et moi je restais. Je l'ai dit et je m'y tiens toujours.

Croyez vous que vos opinions ont influencé de quelque manière l'attribution du Nobel ?

Non. Non, le Nobel s'attribue seulement sur critères littéraires. Et avant d'avoir le Nobel, je disais la même chose. Ce qui se passe, c'est que le Nobel est comme une espèce de porte parole. Mais le Nobel ne m'a pas fait dire ce que je ne disais pas avant, parce que je le disais, ni ne m'a fait taire parce que je n'ai jamais caché ce que j'avais à dire.

Il est compréhensible qu'un jeune de 17 ans soit communiste, mais est ce que ça l'est aussi pour un homme de votre âge ?

Vous connaissez le dicton «qui n'est pas révolutionnaire à 20 ans n'a pas de coeur, et qui continue de l'être à 40 ans n'a pas de tête» ? Je continue à avoir un coeur et une tête. Pour autant je suis toujours celui que j'ai été. On peut continuer avec la même illusion à 82 ans.

Mais vous avez une terrible réputation de pessimiste...

C'est que les pessimistes sont les seuls à vouloir changer le monde puisque les optimistes sont contents de ce qu'ils ont.

Croyez vous que les américains, en ré-élisant le président Bush se montrent enchantés de ce qu'ils ont ?

Bush est stupide et il faut avoir de la patience avec les imbéciles. Pour être président des Etats-Unis, il faut avoir de l'argent, parce qu'il n'y a pas de souvenir de président issu de la classe ouvrière et qui aurait eu le soutien de la grande industrie pétrolière et des armes, qui mettent à la tête du gouvernement un de leur représentant. Bush est un homme qui ment sans scrupule.

En plus des problèmes déjà mentionnés en Colombie, nous sommes en train de perdre nos indigènes puisque la guerilla, mais aussi paramilitaires et narco trafiquants les assassinent...

Ce lent génocide contre les véritables propriétaires de la terre américaine commença en 1492 et continue implacablement. Je ne parle pas seulement de la Colombie, également des indigènes de Chenalho aux Chiapas (Mexique) ou des Mapuches du sud. L'indifférence des gens ne m'étonne pas; c'est la marque de fabrique du colonisateur. En continuant ainsi, les indigènes disparaîtront totalement comme une espèce d'animal en voie de disparition, et les gens diront : «Ce fut un crime de plus, à rajouter à ceux déjà commis contre les indigènes.»

Vers quoi va le monde ?

Il y a quelques semaines nous déjeunions ma femme et moi avec Umberto Eco à Milan. A un moment il me dit «j'ai peur de ce que l'avenir réserve à mon petit-fils». Si vous analysez mes propos dans ce reportage, je trouverais que nous devons tous avoir peur de l'avenir.

 
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