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(Jean-Marie Harribey) Qu'est-ce qui pousse un rapporteur à écrire autant d'âneries? Une obsession: élargir à tout prix la sphère d'activités marchandes. Et on comprend que le corollaire en soit de travailler toujours davantage. Car seul le travail... rapporte au capital


Les rapporteurs

Le 05/01/2005
Grain de sable
l


es rapporteurs rapportent. C'est leur métier. Mais quelle productivité ! Pour la seule année 2004, le rendement moyen est d'environ un rapport par mois sur les questions du travail, de l'emploi et des réformes «structurelles» à entreprendre pour diminuer le chômage. Nous avons été instruits par les rapports officiels De Virville, Camdessus, Cahuc et Kramarz, plusieurs rapports du Conseil d'analyse économique, ceux du FMI et de l'OCDE, la résolution Novelli réclamant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les conséquences des 35 heures, et aussi les études et avis de nombreux cercles patronaux ou académiques, toujours qualifiés d'indépendants même si, simple coïncidence, tous concluent dans le même sens, relayés avec complaisance par les medias et leurs éditorialistes appointés.


N'aurait-on pas assez flexibilisé («fluidifié», dixit Wyplosz) le marché du travail ? Il convient, selon De Virville, de créer des contrats de mission limités à 3 ou 5 ans. Ou bien, surenchérit Camdessus, d'instituer un contrat de travail unique à protection progressive. Les employeurs pourront ainsi licencier avant que trop de garanties dues à l'ancienneté ne se soient accumulées.


La France «tomberait-elle», «décrocherait-elle» ? C'est à cause d'une productivité par tête insuffisante, répètent à l'envi Baverez et Camdessus. Les travailleurs français seraient-ils moins efficaces que les américains ? Non puisque leur productivité horaire est supérieure. Alors ? Réponse unanime : ils ne travaillent pas assez longtemps, à la semaine (haro sur les 35 heures), à l'année (trop de congés), durant la vie (retraite trop précoce). Comment Camdessus juge-t-il la RTT qui partage le travail ? C'est «jouer en défense» et «pour la cinquième puissance économique du monde, quelque peu débilitant» (p. 39-40). Qu'on se le dise: la productivité horaire française est l'une des plus élevées au monde, mais elle progresse moins vite qu'ailleurs. Un rapporteur ne sait-il donc pas que plus on monte en altitude, plus cela devient difficile de grimper encore ? Il ne peut imaginer que produire toujours plus ne constitue pas le seul ni le meilleur indice de bien-être et qu'une moindre productivité par tête associée à la RTT peut signifier un choix de société vers moins de gaspillages et plus de temps pour soi et les autres.
Pourquoi tant de roueries dans ces rapports clones les uns des autres ? Parce que tout rapporteur, même (et peut-être surtout) libéral, a compris où se situait le point névralgique : à salaire égal, travailler moins longtemps modifie le partage du gâteau en faveur des salariés, travailler davantage le modifie dans l'autre sens. Tout rapporteur est contraint de reconnaître que seul le travail produit de la valeur économique, comme l'annone maintenant l'inénarrable Raffarin et comme le distille Baverez qui assimile le travail forcé accru à la «revanche du travail». [1]


Les brèches ouvertes dans le droit du travail et la vacuité des politiques libérales de l'emploi sont devenues trop voyantes. La précarisation du travail est alors désignée par sa figure inversée, la réhabilitation, antiphrase par excellence. Les recommandations pleuvent et dénotent une imagination débordante. Pour résoudre le chômage qui frappe près de trois millions de salariés, il faut, préconisent Cahuc et Kramarz, «lever les barrières réglementaires» à l'entrée des professions de vétérinaire, expert-comptable, notaire, taxi, kinésithérapeute, coiffeur et hôtelier. Si vous êtes chômeur, achetez-vous une étude notariale ou un hôtel trois étoiles...


La palme revient au rapport Debonneuil sur les services aux particuliers : «D'une part, il suffirait que les consommateurs externalisent 20% des services domestiques qu'ils se rendent à eux-mêmes pour que le PIB marchand augmente d'environ 10%. [...] D'autre part, il suffirait que chaque famille en France consomme trois heures de ces services par semaine pour créer deux millions d'emplois. [...] On voit qu'il suffirait qu'elle dépense 20 ou 30 euros par semaine pour éliminer le chômage !» (p. 12-14). En guise d'emplois de services, on a des emplois de serviteurs dénoncés autrefois par André Gorz. Voilà où mène l'idéologie de la croissance du PIB marchand supposée apporter un mieux-être. A la limite, si deux chômeurs se rencontrent, que se disent-ils ? Je viens chez toi faire le ménage et toi tu viens chez moi : non seulement le problème du chômage est réglé mais nos besoins de propreté sont mieux satisfaits...


Qu'est-ce qui pousse un rapporteur à écrire autant d'âneries ? Une obsession: élargir à tout prix la sphère d'activités marchandes. Et on comprend que le corollaire en soit de travailler toujours davantage. Car seul le travail... rapporte au capital.

Notes :
[1] Voir ma tribune dans L'Humanité, 2 novembre 2004,
http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/travail/vengeance.pdf

Jean-Marie Harribey, membre du Conseil scientifique d'Attac France.
Tribune publiée dans Politis n° 828, 2 décembre 2004.

 
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