bandeau site Grain de sable
jeudi 02 mai 2024
http://www.resoo.com/graindesable
journal@attac.org

Accueil Archives Autres Ftp.pdf Liens
 
(Pascal Boniface) Européens et Américains vivent de moins en moins sur la même planète. Les premiers avaient massivement - mais seulement virtuellement - voté pour John Kerry. Les seconds, seuls électeurs qui comptent, ont triomphalement réélu George W. Bush


L'unilatéralisme est une impasse

Le 15/12/2004
Grain de sable
e


uropéens et Américains vivent de moins en moins sur la même planète. Les premiers avaient massivement - mais seulement virtuellement - voté pour John Kerry. Les seconds, seuls électeurs qui comptent, ont triomphalement réélu George W. Bush.

Quel sera l'impact de cette réélection sur les relations transatlantiques et franco-américaines ? Ne faut-il pas craindre que, disposant cette fois-ci d'une approbation claire et nette de l'électorat, Bush non seulement ne change pas de politique, mais amplifie celle qu'il a menée depuis 2002 ? Pour lui, la force prime sur le droit et l'avis du monde extérieur, y compris celui des alliés européens, ne compte pas. L'unilatéralisme, qui a tant irrité la plupart des gouvernements et l'ensemble des populations européennes, risque non pas de se calmer, mais au contraire de se déchaîner, puisque plébiscité par les Américains.

Bush peut bien sûr être tenté de poursuivre une politique certes impopulaire dans le monde, mais finalement approuvée aux États-Unis. Il ne semble pas homme habité par le doute ou la réflexion critique. Il faudra faire avec ce Président, plus que jamais sûr de lui et totalement libéré des contraintes électorales pour les quatre prochaines années. Le départ de Colin Powell, seul responsable de l'équipe Bush à être convaincu des mérites du multilatéralisme, et la nomination de Condolezza Rice pour lui succéder peut faire craindre le pire à Paris. N'est-ce pas elle qui avait proposé après la guerre d'Irak de «punir la France, d'oublier la l'Allemagne et de pardonner à la Russie»?

Aussi, la tentation est grande chez certains de suggérer de ne pas s'obstiner dans une opposition forcément stérile, de faire amende honorable pour tenter d'obtenir si ce n'est un pardon, du moins un verdict clément de la part de Washington. Pour eux, la seule attitude possible serait d'enfiler la chemise et de se passer la corde au cou à l'instar des bourgeois de Calais, avant d'aller implorer la mansuétude américaine. Mais il n'est pas certain qu'une telle attitude débouche sur des résultats probants. Ce n'est pas en mettant en ¦uvre une culture de la soumission que l'on amadouera George W. Bush. Celui-ci sera plutôt tenté de croire qu'il faut taper toujours plus fort pour obtenir encore plus d'obéissance. Nous perdrions de plus le capital d'image et de popularité - qui dépasse largement le seul monde arabo-musulman - acquis grâce à nos positions diplomatiques.

Nous n'avons en fait pas grand chose à craindre, sauf notre propre éventuelle couardise. Si la France pouvait être punie, elle l'aurait été depuis longtemps, et si elle ne l'a pas été depuis la guerre d'Irak, c'est parce que ce n'est tout simplement pas possible. En effet, ce n'est pas la France qui est isolée, ce sont les États-Unis. La France fait bloc en Europe avec l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique. Si Bush ne fait pas preuve de plus d'ouverture vis-à-vis du monde extérieur, Tony Blair sera confronté aux pires difficultés et Berlusconi pourrait perdre les prochaines élections italiennes. La Pologne elle-même commence à s'interroger sur les avantages de son suivisme à l'égard des États-Unis.

Aussi fort que soit le penchant de George W. Bush à suivre la même politique, il lui sera difficile de le faire. Il ne pourra pas maintenir cet unilatéralisme débridé qui l'a mené dans une impasse. Il n'est plus en mesure matériellement de lancer une seconde guerre, il est déjà à la limite de ses capacités militaires en Irak, et l'armée américaine connaît des problèmes de recrutement. De plus, l'occupation militaire coûte cher (80 à 100 milliards de dollars par an) et le déficit budgétaire est déjà colossal. Il lui faut surtout briser son isolement international qui est une source majeure d'affaiblissement de la puissance internationale de l'Amérique. Il ne pourra pas nier trop longtemps la réalité de son impopularité et s'il veut y remédier, il ne suffira pas d'améliorer sa politique de communication. Il lui faut avant tout amender sa politique internationale et se montrer plus actif sur le dossier israélo-palestinien. La disparition d'Arafat devrait lui permettre d'exercer
plus de pression sur Sharon. Pour sortir du bourbier irakien, George W. Bush a besoin d'une aide internationale, et il a plus besoin des Européens que les Européens n'ont besoin de lui.

On a souvent comparé George W. Bush à Ronald Reagan. Faut-il rappeler que ce dernier - qui avait dénoncé l'Empire du mal au cours de son premier mandat et avait envisagé la possibilité d'une guerre limitée en Europe -, a mis fin pendant son second mandat à la Guerre froide (grâce il est vrai à Mikhaïl Gorbatchev) et a même évoqué l'idée d'un monde sans armes nucléaires? Bush 2 pourrait donc être moins unilatéraliste que Bush 1, et s'il ne l'était pas, il affaiblirait durablement les États-Unis et accélérerait par réaction la construction européenne.

Reste aux autres nations - si elles sont déçues par le résultat de l'élection américaine - à ne pas se contenter d'avoir pour seul choix l'alignement ou la déploration, tous deux étant un aveu d'impuissance. Nier la prééminence américaine n'a pas de sens et revient à s'aveugler. En déduire qu'elle ne peut déboucher que sur la soumission n'est pas plus réaliste.

Par Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), membre du Conseil scientifique d'Attac.

 
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°493) - http://attac.org
Accès Administrateur Grain de sable
©2002-2005 resoo.com / resOOsite v.0.9.6.6-3