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(Michel Lasserre) Le phénomène des délocalisations d'entreprises a commencé à prendre de l'ampleur à partir des années 80, ceci en lien direct avec la politique de libéralisation globale qui s'est mise en place à la même époque sous la pression des lobbies financiers et industriels. Il fut facilité par une forte baisse du coût des communications et des transports, permise par le progrès technologique et une demande croissante pour ce type de service. Depuis, les délocalisations d'entreprises n'ont cessé de prendre de l'ampleur


Quelles limites aux délocalisations d'entreprises?

Le 08/12/2004
Grain de sable
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e phénomène des délocalisations d'entreprises a commencé à prendre de l'ampleur à partir des années 80, ceci en lien direct avec la politique de libéralisation globale qui s'est mise en place à la même époque sous la pression des lobbies financiers et industriels. Il fut facilité par une forte baisse du coût des communications et des transports, permise par le progrès technologique et une demande croissante pour ce type de service. Depuis, les délocalisations d'entreprises n'ont cessé de prendre de l'ampleur.

Du point de vue des propriétaires des entreprises, seuls véritables décideurs en cette affaire, le prétexte aux délocalisations est sans ambiguïté : il s'agit essentiellement de baisser les coûts de production via la baisse du coût du travail. En effet, les choix de chaque entreprises sont déterminés en fonction de mécanismes micro-économiques dont un élément principal est la concurrence. Dans son secteur, chaque entreprise doit augmenter ses parts de marchés, ce qui passe inévitablement par une baisse des coûts de production. Pour y arriver, la baisse de la masse salariale devient rapidement un objectif incontournable, et la délocalisation un moyen des plus efficaces. Les délocalisations sont donc ici perçues comme un phénomène positif.

Du côté des salariés, le point de vue est tout à fait différent. Les délocalisations correspondent à des pertes d'emploi, donc de revenus. Elles aboutissent dans certaines régions à des désertifications industrielles, à des taux de chômage importants et à une misère économique et sociale croissante. D'autre part, elles sont de plus en plus à l'origine d'un odieux chantage à l'emploi, aboutissant à une dégradation des conditions de travail et des salaires.

Du point de vue des gouvernements, la situation est beaucoup moins claire. D'un côté, les délocalisations peuvent permettre la croissance extérieure d'entreprises nationales, ainsi qu'une tendance à la baisse des prix. Mais d'un autre, elles sont susceptibles d'entraîner des difficultés d'ordre macro-économiques car elles ont un impact négatif sur la croissance, sur les chiffres du chômage, ainsi que sur la balance du commerce extérieur. Elles sont aussi à l'origine d'un mécontentement social aux incidences électorales peu favorables. Même si certaines études ont semblé montrer que les délocalisations pouvaient créer plus d'emplois qu'elles n'en supprimaient, personne ne semble dupe et l'inquiétude apparaît de plus en plus dans les discours politiques. Des mesures sont d'ailleurs envisagées, et c'est ainsi que le gouvernement Raffarin prévoit la création de "pôles de compétitivité" où les entreprises bénéficieraient d'allègement fiscaux.

Face aux délocalisations, c'est donc l'inquiétude qui se répand. Ceci d'autant plus que ce phénomène ne concerne plus seulement les productions de biens à faible technologie, mais aussi les services, ainsi que les biens de haute technologie ou même la recherche et le développement. C'est Airbus qui, en 2005, va mettre en place un centre d'ingénierie en Chine pour travailler sur des avions de nouvelle génération. Les questions qui se posent alors le plus souvent sont de deux types:

- que peut-on faire pour enrayer le phénomène des délocalisations ?

- quelles conséquences pourrait entraîner une généralisation des délocalisations ?

Pour stopper les délocalisations, dans le contexte d'un système économique libéral et mondialisé, il est devenu pratiquement impossible d'envisager des mesures contraignantes nationales. En effet, des interdictions, ou des mesures fiscales dissuasives, pénaliseraient d'autant plus nos propres entreprises face à la concurrence étrangère. C'est certes un argument de droite, mais il reste néanmoins incontournable. De telles mesures ne peuvent être conçues que d'un point de vue global, et les contradictions d'intérêts nationaux ne permettent guère de l'envisager dans le contexte actuel. Quant aux "mesures d'attractivité", tels les fameux pôles de compétitivité raffariniens : d'une part, ce type de mesures institutionnalise le dumping économique et social contre lequel il prétend lutter, d'autre part, si cette mesure peut empêcher temporairement certaines délocalisations, rien n'indique qu'elle pourra avoir un effet durable et que les entreprises concernées ne seront pas ultérieurement amenées à délocaliser pour rester toujours compétitives. D'ailleurs, on a déjà plusieurs exemples d'entreprises délocalisant après avoir bénéficié d'aides publiques. En fait, il semble très difficile d'enrayer le mécanisme des délocalisations, et, en dehors de nombreux voeux pieux, personne n'a de solution vraiment efficace. Pour l'instant, comme l'a récemment déclaré M. Seillères à propos des délocalisations : "nous ne sommes pas encore confrontés à un phénomène qui puisse peser durablement sur la croissance de notre pays". Non, pas encore, mais la délocalisation de la production n'est pas une simple conséquence de la mondialisation, elle en est un élément constitutif, et les délocalisations ne peuvent donc que logiquement se poursuivre avec la poursuite de la mondialisation.

Dans un premier temps, grâce à la baisse des coûts de production induite par une délocalisation, une entreprise peut voir croître ses parts de marchés et ses profits. Seulement, la concurrence ne va pas rester sans réagir et va inévitablement devoir mettre en oeuvre des mesures similaires. Dans un deuxième temps, les avantages concurrenciels permis par la délocalisation vont donc se voir annulés. C'est ainsi que les entreprises états-uniennes ayant profité des délocalisations au Mexique partent maintenant en Chine pour pouvoir diminuer encore leurs coûts de production. Chaque délocalisation en appelle donc d'autres, et nous avons alors affaire à une spirale qui a toutes les raisons de s'amplifier. Ce sont alors nos emplois qui vont être de plus en plus touchés, notre croissance, la consommation des ménages, bref tout sur quoi reposent nos grands équilibres macro-économiques nationaux. Comment pourrait-on concevoir une délocalisation sans cesse croissante de notre production, sans envisager quelque part l'existence d'un seuil de rupture de ces grands équilibres?

Du point de vue de l'économie des pays développés, le phénomène des délocalisations montre donc qu'il existe une limite bien réelle à la mondialisation.

Par Michel Lasserre
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