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(William Gasparini) Les dommages collatéraux d'une Constitution contestée


Services publics et laïcité des institutions

Le 01/12/2004
Grain de sable
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n cet automne 2004, deux frondes ont défrayé la chronique. En apparence éloignées, elles sont pourtant les symptômes d'une même dérive en germe dans l'Europe qui se dessine. La première concerne nos élus locaux ; 263 d'entre eux, originaires de la Creuse, ont démissionné fin octobre pour protester contre le démantèlement des services publics de proximité (écoles, bureaux de poste, perceptions) dans leur département . Quelques jours plus tard, ce sont 600 collectivités territoriales (régions, départements, agglomérations, villes) qui ont dénoncé l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). Négocié à l'insu de leurs représentants dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cet accord libéralise le plus largement possible les activités de services. S'il est finalisé, nos collectivités ne pourront plus assurer un certain nombre de services publics ni subventionner des activités qui seraient en concurrence avec celles du marché (restauration scolaire, distribution de l'eau, crèches, etc.). Réunis en assemblée générale à Bobigny les 13 et 14 novembre, la majorité des édiles de ces collectivités se sont déclarés symboliquement «zone hors AGCS». Enfin, le récent congrès de l'Association des Maires de France (AMF) a été l'occasion pour de nombreux maires de communes rurales en colère de dénoncer la décentralisation «sans moyens» prévue par J-P. Raffarin ainsi que la suppression de nombreux postes de fonctionnaires d'Etat.

Le deuxième épisode met en scène les parlementaires européens qui se sont opposés à la composition de la commission Barroso après le tollé provoqué par les déclarations homophobes et sexistes de l'Italien Rocco Buttiglione. Ce proche du Vatican s'est cru autorisé à affirmer publiquement ses convictions catholiques radicales.

A l'heure où le débat sur la Constitution européenne s'engage (et pas seulement au PS), il est légitime de s'interroger sur la capacité de ce texte, dans sa version actuelle, à apporter des réponses sur le terrain des solidarités territoriales et sur la question, très sensible, de la laïcité. D'inspiration clairement anglo-saxonne, l'article II-70 de ce Traité garantit la liberté de religion (préférée à la liberté de conscience) et autorise son expression par l'enseignement, les rites, tant dans l'espace public que privé. Aucune restriction ne s'applique aux représentants des institutions et rien n'interdirait demain, dans l'hypothèse d'une ratification, à tel ou tel investi d'une fonction, de condamner publiquement au nom de ses valeurs religieuses l'avortement, le contenu d'un enseignement, voire la loi sur l'interdiction des signes religieux à l'école récemment adoptée en France. Ainsi, le rejet de R. Buttiglione n'est pas une victoire prometteuse de la laïcité qu'aucun article ne garantit par ailleurs, mais, comme l'écrit (candidement) B. Poignant, président de la délégation socialiste française au Parlement européen : la punition « par les protestants, anglicans du péché d'arrogance, du catholicisme qui se prétend tout le christianisme ». Pauvre victoire en vérité qui prépare d'autres déconvenues et nous dessine une société où le communautarisme s'insinue dans les failles ouvertes par ce texte.

Quelle vision de l'Europe et du monde ce texte nous propose-t-il ? Un modèle économique où «la concurrence libre et non faussée» reste le principe dominant répété à satiété et un modèle de régulation sociale où les communautés (et leurs associations caritatives) pourront prendre la relève de l'Etat social réduit à l'impuissance, qui n'aura ni les moyens législatifs ni la volonté politique d'assurer la solidarité et la protection des citoyens.

Les procédés du marketing politique et médiatique sont massivement mis à l'oeuvre par les partisans du «oui» au traité pour imposer l'idée selon laquelle il n'y aurait d'autre alternative que son adoption, que cela constituerait même une avancée dans la voie d'une « modernité » associant efficacité et compétitivité à l'entreprise privée et reléguant la notion de service public non marchand au rang d'archaïsme. Les habitants de communes rurales (dont de nombreuses personnes âgées) qui voient disparaître bureaux de poste, hôpitaux au nom de la rentabilité et les couches les plus démunies de la société en seront les premières victimes. La raison d'être d'un rassemblement des peuples et des citoyens des pays d'Europe réside dans la création d'un espace de démocratie, de solidarité et de justice sociale. Au contraire, la mise en place de cette zone de libre échange prévue par le Traité constitutionnel, soumise aux pressions communautaristes, constituerait une fin de non recevoir aux espoirs des défenseurs de l'Europe sociale.

Par William Gasparini
maître de conférences à l'Université Marc Bloch, membre du Conseil scientifique d'Attac

 
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