bandeau site Grain de sable
jeudi 02 mai 2024
http://www.resoo.com/graindesable
journal@attac.org

Accueil Archives Autres Ftp.pdf Liens
 
Ces derniers mois, la question de la dette des pays du Sud a fait son retour sur le devant de la scène médiatique.
Par Sébastien Fourmy, chargé de Campagne programme pour la réforme des institutions financières internationales.. Agir ici


Vers une annulation de 100 % de la dette multilatérale des pays en développement?

Le 27/10/2004
Grain de sable
c


es derniers mois, la question de la dette des pays du Sud a fait son retour sur le devant de la scène médiatique. Tout part du "cas irakien" et de la pression américaine pour convaincre les pays créanciers d'annuler au moins 80% de la dette du pays pour permettre sa reconstruction. La réponse de M. Chirac lors du G8 de Sea Island en juin 2004 avait été claire : "Comment expliquerez-vous aux pays pauvres très endettés, comme le Nigeria, qu'on va faire en trois mois pour l'Irak plus qu'on a fait en dix ans pour les plus pauvres du monde ? Ce n'est pas convenable." Une annulation "substantielle" de 50 % avait alors été proposée par Paris. Avec ce différent, les Etats-Unis ont aidé malgré eux les militants pour l'annulation de la dette des pays en développement à reprendre du poil de la bête.

En effet, comment argumenter, comme l'ont fait les Etats-Unis, que la population irakienne n'avait pas à rembourser la dette contractée sous la dictature de Saddam Hussein sans établir de parallèle avec d'autres pays, africains notamment ? Comment argumenter, comme l'a fait une étude du FMI, que l'économie irakienne ne se relèvera pas sans une annulation de 80% de sa dette et ne pas évoquer le marasme qui touche des dizaines de pays pauvres?
Poussés par des ONG, les débats sur la "dette illégitime" et plus largement sur la question de la viabilité de la dette trouvaient un écho dans les médias. Si le concept de la dette odieuse a toujours été rejeté par les pouvoirs publics, les initiatives et les négociations sur les annulations de dette se sont néanmoins multipliées.

A l'approche du G7 finances et des Assemblées annuelles des institutions financières internationales (IFI), à Washington du 1 au 3 octobre 2004, un nouveau "coup de pouce" des Etats-Unis a ainsi contraint certains gouvernements des pays riches à prendre position : face au refus français, les autorités américaines ont évoqué une annulation de 100% de la dette multilatérale pour une trentaine de pays. Mais cette proposition, restée dans les couloirs des ministères des Finances et jamais officiellement annoncée, posait plus de problème qu'elle n'en résolvait. Financée par les fonds en faveur des pays pauvres de la Banque mondiale et du FMI, une telle annulation aurait permis au gouvernement américain de faire coup double:
forcer la main pour annuler la dette irakienne et réduire la capacité financière des IFI. Bien qu'à quelques blocks du Trésor à Washington, ces institutions demeurent, en effet, une contrainte multilatérale aux yeux des faucons américains. D'abord muet sur la question, le ministère français des Finances a finalement reconnu l'existence de cette proposition américaine avant de la rejeter clairement. Selon Bercy, outre le fait qu'elle sapait l'activité des IFI dans la lutte contre la pauvreté, elle excluait toute ressource additionnelle pour les pays en développement.

De son côté, le gouvernement britannique a contrecarré la proposition américaine. Quelques jours avant la réunion du G7 finances, le chancelier de l'Echiquier, Gordon Brown, annonçait que la Grande-Bretagne annulait la part de la dette multilatérale des pays pauvres lui revenant (environ 10% du total). Son pays s'engageant à effectuer les paiements à leur place à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement. Enfin, Brown a également proposé une réévaluation des stocks d'or du FMI afin de financer une annulation complète de la dette multilatérale et a appelé les autres pays membres du G7 à suivre son initiative.

Au final, aucun accord ne sera trouvé. Le communiqué du G7 Finances du 1er octobre est déconcertant tant il est vague : "Nous nous engageons maintenant à nous occuper de la viabilité de la dette des pays les plus pauvres en progressant sur l'allègement de la dette et le financement de dons. Nous allons préparer un rapport sur les efforts entrepris d'ici la fin de l'année." En soutenant l'initiative de la Grande-Bretagne, les pays du G7 pouvaient s'engager dès à présent à annuler la dette multilatérale des pays les plus pauvres. Ils ont à nouveau sorti leurs calepins à la place de leurs chéquiers. Les institutions financières internationales et ses actionnaires majoritaires se sont contentés de prolonger de deux ans l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Une initiative pourtant très critiquée : trop peu de pays en bénéficie, les allégements sont trop faibles, et le processus est beaucoup trop lent.
La réaction de la France à la proposition de Brown est toujours attendue.
Durant le G7 finances et les Assemblées annuelles des IFI, Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos avait la tête ailleurs. Leur mandat était simple:
promouvoir par tous les moyens les taxations internationales. Surprise par l'annonce britannique, la France n'a pas su réagir à temps. Les deux initiatives sont pourtant complémentaires. A court terme, les annulations de dettes sont un moyen efficace pour lutter contre la pauvreté et rapidement acceptable par l'ensemble des pays riches. Mais pour financer le développement, les annulations de dette ne suffiront pas et tous les moyens pour y parvenir sont à explorer (augmentation de l'aide publique au développement, taxations internationales, facilité de financement internationale).

La France doit aujourd'hui répondre au plus vite aux engagements britanniques en annonçant à son tour une annulation de la part de dette des pays les plus pauvres lui revenant et en se prononçant sur la réévaluation des stocks d'or du FMI. Ce dernier détient aujourd'hui 103,4 millions d'onces (3 217 tonnes) d'or aujourd'hui absurdement évaluée à 8,5 milliards de dollars, alors qu'au prix courant du marché à la date du 31 août 2004, ces avoirs se chiffraient à 42,2 milliards de dollars. En ne réévaluant ne serait-ce que 5% de l'or du FMI, les 2,1 milliards de dollars nécessaires pour espérer mettre en place l'éducation universelle d'ici à 2015 en Afrique sub-saharienne seraient dégagés. Une étude de la coalition dette et développement irlandaise explore les moyens de réévaluer ou vendre cet or du FMI sans affecter les prix mondiaux et rendre une telle opération acceptable par tous (voir http://www.debtireland.org/)

Les créanciers sont désormais face à leurs responsabilités. Même si la liste des pays concernés par l'initiative britannique et les montants réellement engagés restent vagues, cette proposition va dans le bon sens. Mieux, au regard des déclarations officielles à l'issue des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, il semble désormais acquis que la question n'est plus de savoir s'il faut oui ou non annuler la dette mais à quelle hauteur et quand.

Or, en repoussant à plus tard la décision d'annuler 100% de la dette multilatérale, les pays riches vont laisser les pays à faibles revenus rembourser chaque jour 100 millions de dollars. Le message est clair : en matière de santé et d'éducation, les plus démunis attendront.

Il est aujourd'hui plus qu'urgent d'annuler la dette multilatérale. Plus précisément, il faut s'assurer qu'elle ne concerne pas qu'une poignée de pays triés sur le volet, que les critères déterminant la viabilité d'une dette ne soient plus définis par les seuls pays créanciers avec la complicité du FMI, et enfin qu'elle ne se fasse pas au détriment d'une augmentation radicale de l'aide aux pays en développement.

Un rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), publié le 30 septembre 2004, devrait achever de convaincre les plus sceptiques. Selon la CNUCED, entre 1970 et 2002 l'Afrique subsaharienne a reçu près de 294 milliards de dollars et a payé 268 milliards de dollars au titre du service de sa dette, mais reste avec un fardeau de quelque 210 milliards de dollars. Une situation "absurde" pour Carlos Fortin, du secrétariat général de la CNUCED, qui empêche les pays africains de se développer.

Ce constat nous rappelle que les initiatives officielles, pour intéressantes qu'elles apparaissent, doivent impérativement s'insérer dans une réflexion plus large sur les mécanismes économiques et politiques qui entretiennent l'endettement. A ce titre, les annulations de dette ne doivent pas être considérées comme un geste de charité mais de justice. Une solution durable et équitable à l'endettement des pays du Sud est incontournable pour lutter efficacement contre la pauvreté.


Sébastien Fourmy
Chargé de Campagne programme pour la réforme des institutions financières internationales.
Agir ici

 
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°486) - http://attac.org
Accès Administrateur Grain de sable
©2002-2005 resoo.com / resOOsite v.0.9.6.6-3