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(Interview de Souleymane Sow, représentant de la Banque mondiale à Kinshasa) Pour l'instant, très peu d'argent entre dans ce pays. Le système bancaire est en lambeaux et n'octroie quasiment aucun crédit, car les taux d'intérêt sont très élevés. Les échanges sont également très faibles et dans de nombreuses régions du pays, on constate un retour au troc. Or, qui dit absence de banques dit absence de traces des mouvements de fonds. La situation est dès lors difficilement contrôlable


"Je me dis que c'est impossible"

Le 10/10/2003
Grain de sable
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nterview de Souleymane Sow, représentant de la Banque mondiale à Kinshasa

Comment se déroulent les réformes structurelles et sectorielles chapeautées par la Banque mondiale en RDC?

Les réformes commencent à avancer après une période d'immobilisme s' expliquant par le fait que le gouvernement a été fort pris par la réunification du pays et par les réformes économiques et sociales.

Cependant, tout reste fragile d'un point de vue économique. Le problème est que les pouvoirs publics ont très peu de moyens. C'est pourquoi nous mettons en ouvre toute une série de réformes qui visent à attirer les investissements privés internationaux.

En quoi consistent ces réformes?

D'abord, de nouveaux codes ont été mis en ouvre pour l'exploitation des mines et des forêts. Ensuite, un programme de développement du secteur privé et de la compétitivité, basé sur la privatisation et la restructuration d'entreprises publiques, a été lancé. La mise en place d'un cadre juridique pour les investissements privés étrangers et nationaux (protection des investissements, facilités administratives, diminution et simplification des taxes) et une réforme du système bancaire sont également prévus. Enfin, les chaînes de dépenses seront automatisées, ce qui permettra une vérification stricte du budget et constitue un outil important dans la lutte contre la corruption. Cette réforme est en cours mais nous connaissons certains problèmes en matière de technologies.

Plusieurs de ces réformes font déjà grincer des dents à Kinshasa, à commencer par les plans sociaux dans les entreprises publiques à privatiser. Que répondez-vous à ces critiques?

Le programme de privatisation et de restructuration, co-financé par les Etats-Unis et la France, implique un programme de réinsertion. Par exemple, le plan social à la Gecamines qui prévoit 11 000 licenciements et qui a débuté le 11 août 2003 permet aux anciens travailleurs qui n'ont pas envie de partir à la retraite de suivre une formation et de se faire financer, via un micro-crédit, un éventuel projet. Un nouvel organisme, la COPELEP, sera créé en septembre à cet effet en remplacement de la BCECO, très critiquée. L'OCPT connaîtra également un plan social par la suite et la liquidation de trois banques est en cours, mais cela prend du temps avec les bailleurs de fonds, les syndicats, l'administration. Ces mesures sont inévitables, car on ne veut pas que le gouvernement injecte le peu de moyens qu'il a dans des entreprises publiques mal gérées et mises sous tutelle par l'Etat, comme cela a été le cas un peu partout ailleurs en Afrique.

Quelles sont les garanties apportées par le code forestier pour éviter que la forêt, jusqu'ici inexploitée et qui représente un des poumons de la planète, ne soit détruite à terme?

Une étude a été réalisée pour analyser le type de concessions et le rythme d'exploitation compatibles avec le rythme de régénération de la forêt. Une formation est également prévue pour impliquer les populations locales dans ces exploitations et assurer un contrôle des sites.

Les moyens disponibles pour la mise en ouvre de la stratégie de réduction de la pauvreté laissent également à désirer. Quelle est votre analyse de la situation?

Pour l'instant, très peu d'argent entre dans ce pays. Le système bancaire est en lambeaux et n'octroie quasiment aucun crédit, car les taux d'intérêt sont très élevés. Les échanges sont également très faibles et dans de nombreuses régions du pays, on constate un retour au troc. Or, qui dit absence de banques dit absence de traces des mouvements de fonds. La situation est dès lors difficilement contrôlable. Mes collègues de Washington ne comprennent d'ailleurs pas toujours pourquoi il est aussi difficile d'injecter de l'argent dans l 'économie du pays. D'un point de vue macro-économique, le pays a retrouvé la croissance en 2002 après treize ans de récession. Mais le taux de croissance reste à peine plus élevé que la croissance démographique. Or, même avec un taux de 7 ou 8%, comme cela est prévu pour 2005 dans les projections du FMI, ce serait insuffisant. Nous avons calculé qu'avec un taux moyen de 7% de croissance, il faudrait soixante ans pour que le pays revienne au niveau social qu'il connaissait en 1960 !

N'est-ce pas un paradoxe dans un pays regorgeant de richesses?

On parle beaucoup des richesses de la RDC, mais elles sont non renouvelables et ont créé de nombreux malheurs par le passé sans profiter aux populations locales. Quoi qu'il en soit, nous voulons exploiter cette réalité avec une stratégie claire. Par exemple, je constate qu'il y a ici un gigantesque fleuve rempli de poissons, mais je ne vois aucune activité aux alentours. La pêche, la forêt, l' élevage, .les activités à promouvoir ne manquent pas.

A ce sujet, le document intérimaire de réduction de la pauvreté (DSRP-I) définit une liste détaillée de réformes à mener, mais sans que leur financement ne soit le moins du monde défini. De son côté, le FMI prévoit un trou de 800 millions de dollars à boucher par les financements extérieurs qui doivent encore être en partie matérialisés. La stratégie n'est-elle pas condamnée d'entrée?

En réalité, on ne sait pas trop sur quoi s'est basée la rédaction du DSRP-I. On ne connaît pas le niveau social du pays et les statistiques sont peu fiables. Mais les 800 millions prévus par le FMI me paraissent très sous-estimés. Je me dis que c'est impossible : il y a ici des écoles et des hôpitaux sans toit, avec des sols meubles et donc très dangereux, on ne prend même pas en compte les endroits où il n'existe aucune infrastructure. On ne sait pas exactement quel est le niveau de scolarisation, ni même le niveau de la population scolarisable. Actuellement, ce sont les parents qui paient les enseignants pour l'éducation de leurs enfants, ce à quoi il faut ajouter le coût des livres, etc. Comment voulez-vous qu'ils prennent cela en charge alors qu'ils n'ont pas d'emploi ? Evidemment, les parents sacrifient la scolarisation des enfants capables de travailler pour la survie de la famille. Il n'existe pas non plus de recensement démographique, de fécondité, etc. Quand je constate le taux de malnutrition ici, je suis désarçonné : je pourrais comprendre cela au Sahel, mais ici, avec des sols si riches ! Une étude sur le niveau de vie de la population est prévue et le questionnaire est prêt, mais on attend toujours les financements. Le gouvernement congolais n'a pas les moyens pour financer cela ! Le problème est donc le manque de moyens pour la stratégie, ce qui fait du DSRP une liste de tâches sans moyens suffisants pour les mettre en ouvre. En outre, les bailleurs de fonds rechignent à verser dans un pot commun géré par le gouvernement les fonds promis pour l'élaboration du DSRP final, dont le calendrier connaît des retards d'exécution. Les pays créanciers ont bien du mal à mettre la main à la poche et préfèrent financer des projets bien précis.

Comment comptez-vous résoudre le problème du financement, notamment celui des aspects sociaux?

La priorité est pour nous l'attraction de capitaux privés internationaux. En outre, 55% des ressources dégagées par les allégements de la dette doivent être affectés aux dépenses d'éducation (25%) et de santé (30%). Le gouvernement doit faire comme s'il devait rembourser toute sa dette pour garantir la part du service de la dette à affecter aux dépenses sociales. Au total, les allégements de dette permettront de dégager 34 millions de dollars en 2003 et 100 millions en 2004. Si la RDC rencontre pour 2006 les sept grands critères de performance définis par sa stratégie, il atteindra le point d' achèvement de l'initiative PPTE et se verra octroyer de nouveaux allégements. Si les sept critères ne sont pas atteints, l'échéance sera repoussée jusqu'à ce que cela soit le cas. Enfin, il faut absolument accentuer les recettes de l'Etat. Actuellement, on trouve toute une série de produits importés sans qu'il n'y ait la trace de la moindre taxe effectivement payée ! Il y a des intouchables ici qui ne se sentent pas concernés par les taxes et les droits à payer. Il faut que cela change et c'est au ministre des Finances à s'occuper de cela.

Propos recueillis par Arnaud Zacharie (Kinshasa, 19 août 2003).

 
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