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(Par Louis Sallay) Comment penser la gouvernance mondiale après Cancun et autour de quelles perspectives? Les réponses ne vont pas de soi. Ce qui est clair en revanche, c'est que l'Omc doit être profondément réformée, autour de compromis commerciaux en rupture avec l'esprit du passé et de réformes de structure l'extirpant du "moyen age" dénoncé par le commissaire européen Pascal Lamy


Après Cancun, il faut changer

Le 10/10/2003
Grain de sable
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t si le commerce mondial était une chose trop importante pour être laissée aux mains des experts de l'Omc? Au vu du fiasco de Cancun - qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore - la question s'impose. Car l'intermède mexicain n'a rien d'un coup de tonnerre dans un ciel serein. La réunion de Seattle avait l'impopularité d'ampleur mondiale qui entoure l'Omc parmi les pays du sud, la mouvance associative et le mouvement syndical. Confronté à une opinion publique moniale exigeante, l'organisation avait su reprendre la main après les attentats du 11 septembre, en présentant le cycle de Doha, dit "de développement" comme une arme anti terrorisme. Les Etats-Unis exigeaient un "succès" à tout prix; forceps aidant, il fut au rendez-vous. Mais ne régla aucun problème de fond; Doha fit la démonstration de l'ampleur des égoïsmes des multinationales vis à vis des pays du Sud, notamment sur le dossier des pandémies et des médicaments génériques. La seule avancée timide sur cette question devait être immédiatement remise en cause au lendemain de Doha et au bout de laborieuses tractations, se métamorphoser en un compromis bureaucratique aussi tortueux que pathétique. Cancun ne fait donc que confirmer la crise devenue patente à Seattle: crise d'efficacité, crise de légitimité, crise de fonctionnement.

La conférence de Cancun n'avait, de fait, que peu de chances d'aboutir à ses fins.

D'abord du fait des contentieux accumulés vis-à-vis des pays du sud et du déficit de confiance. Ce que résume parfaitement Arnaud Zacharie, Directeur de recherche au Cncd: " Les pays du Sud sont de moins en moins enclins à accepter les promesses non tenues des pays industrialisés et les règles défavorables qui en découlent : l' évaluation sur l'impact des libéralisations, promise depuis 1995, n'a toujours pas été réalisée; la moyenne des droits de douanes fixés par les pays industrialisés pour les articles manufacturiers en provenance du Sud est quatre fois plus élevée que pour les mêmes articles émanant du Nord ; alors que les pays industrialisés protègent et subventionnent leur agriculture, les pays du Sud se voient refuser de telles mesures ; le système des brevets freine l'accès des pays pauvres aux médicaments et empêche la recherche liée aux maladies qui n'existent que dans ces pays." Or le Sud compte aujourd'hui des poids moyens qui pèsent dans le concert des marchés; Les demandes de l' Inde, de l'Afrique du Sud et du Brésil par exemple, ne sont pas forcément anti-libérales; mais elle expriment une prise en compte de besoins particuliers propres a un stade de développement ainsi que la fin des avantage exorbitants concédés par les Etats-Unis et l'Union à leurs lobbys agricoles. Ces pays ont su rallier une vingtaine de gouvernements déterminés à parler d'une même voix. L'Omc n'a pas été en capacité de faire entendre leurs points de vue.

Ensuite, du fait de divergences persistantes et fortes entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Ces divergences sont sectorielles - le bouf hormoné, les Ogm, les subventions agricoles - mais elles ont également une dimensions stratégique, qui s'articulent à des rivalités de grande puissance et s'alimentent des tensions internationales. De fait, l'administration Bush agit dans le domaine commercial comme elle le fait contre le terrorisme; uniquement à travers la prise en compte de ses intérêts, mal compris au demeurant. Autoritaire, unilatérale, la politique américaine fait montre à l'Omc du même cynisme unilatéral qu'elle met en oeuvre à l'égard de l'Onu.

C'est dire que l'issue de Cancun ne chagrine pas outre mesure Washington, déjà prête à se replier sur des accords bilatéraux et régionaux, processus avantageux puisqu'ils enferment le débat dans une confrontation sans règles entre le fort et le faible.

Ultime handicap qui procède des précédents, la mise en musique même des négociations n'a, une fois de plus, abouti qu'a donner aux pays du sud le sentiment de compter pour du beurre. La fin de non recevoir méprisante opposée aux pays producteurs de coton, au bénéfice des producteurs américains, a largement contribué à souder les délégations africaines dans une attitude de dignité et de fermeté. Enfin, et ce n'est pas le moins important la négociation de "l'agenda de Singapour", véritable pomme de discorde, a été géré à rebours. Cet agenda, à savoir la concurrence, la facilitation des échanges, l'investissement et les marchés publics, intéressaient particulièrement les pays du Nord. Ceux du Sud avaient clairement fait savoir qu'ils ne bougeraient dans ces négociations qu'en échange de concessions du Nord sur l'agriculture. La logique aurait donc voulu qu'on négocie d'abord l'agriculture et ensuite l'agenda de Singapour.

Mépris pour les "petits", sous estimations des enjeux, manque de savoir faire? Toujours est-il que le Ministre Mexicain des affaires étrangères, fustigeant les "positions théoriques" a fait le contraire; puis, devant les blocages qui s'ensuivaient, a tout bonnement levé les "négociations".

Au-delà de ces raisons, dont chacune suffirait à précipiter une faillite, l'échec de l'Omc réside dans son incapacité à échapper à son logiciel de fonctionnement. Construit sur le paradigme de la seule libéralisation du commerce et non de son organisation, il interdit des modulations de politique; ignore qu'il faut parfois ouvrir des marchés tandis qu'on en protège d'autres; exclure des secteurs de l'empoigne commerciale et organiser des coopérations en place de concurrence.

Génétiquement persuadé que le développement du commerce équivaut au développement tout court, ce que rien ne confirme, il travaille en aveugle, ignorant superbement l'essence des constructions sociétales.

Bref, face aux complexités du monde, il s'avère aussi utile qu'une horloge dont les mécaniques sophistiquées n'aboutiraient qu'à toujours donner la même heure.

Avec Cancun, la panne de la gouvernance mondiale libérale devient patente. Faut-il s'en réjouir? Certainement, dans la mesure où la crise a une fonction de dévoilement et appelle un dénouement, autrement dît, des issues. D'un autre coté, on ne peut ignorer que la crise n'abolit pas le réel: les affaires continuent et en des termes d'échange défavorables aux peuples. Dans ce contexte, le mouvement altermondialiste, dans toutes ses composantes et ses contradictions a-t-il les moyens d'imposer un "new deal" commercial faisant la part des intérêts des uns et des autres ? C'est toute la question des années à venir.

Un tel objectif suppose d'intégrer l'Omc dans le dispositif Onusien et d'articuler sur des objectifs de développement la Banque mondiale, le Fmi, l'Omc, l'Oms, la Cnuced le Pnud, et le Bit; d'évaluer les accords existants; par le respect des engagements pris à Doha, comme celui de mettre en pratique « le traitement spécial et différencié », celui de « contribuer à une solution durable du problème de l'endettement extérieur des pays en développement » et « des effets de l'instabilité financière et monétaire », celui de « protéger la santé et, en particulier, de promouvoir l'accès de tous aux médicaments », celui d'éliminer le protectionnisme sur « les produits [non agricoles] dont l'exportation présente un intérêt pour les pays en développement » ou celui de viser « des améliorations substantielles de l'accès aux marchés » et « des réductions de toutes les formes de subventions à l'exportation, en vue de leur retrait progressif ».

Cela suppose également de rompre avec la logique de «marchandisation» des services et des biens publics fondamentaux comme l'eau, l'éducation, les semences ou le génome humain, ce qui passe par une réforme en conséquence des accords sur les services (AGCS) et les droits de propriété intellectuelle (ADPIC), notamment par la définition de biens publics mondiaux non régis par les lois du marché.

Si l'objectif est ambitieux, il n'est pas hors de portée; d'abord parce que ces questions sont aujourd'hui en permanence sous le regard de l'opinion publique mondiale; ensuite, parce que les convergences entre pays du Sud, militants et experts associatifs, organisations syndicales constituent une somme d'expertise, de légitimité et de formidable puissance; enfin, parce que cela correspond à la réalité d'un développement contemporain, assurant une meilleure production de richesse, une plus juste allocations des ressources, une meilleure production de richesse, une plus juste répartition. L'humanité et son avenir sont à ce prix.




ouvernance mondiale, quelques repères

Le "Consensus de Washington" prôné par le Fmi et la banque mondiale fait du marché la clé du développement des pays du sud et de l'Est.

Après 1994, le Gatt, chargé de négocier des abaissements tarifaires et douaniers, cède la place à une Organisation mondiale du commerce (Omc), dotée de pouvoirs de contraintes, fondée sur le principe un membre=une voix et détachée de la sphère de l'Onu.

En 1999, à Seattle, l'Omc connaît un échec retentissant sous la pression conjuguées des pays du sud, des militants associatifs altermondialistes et d'une impressionnante mobilisation syndicale. En 2001, l'organisation reprend la main en utilisant la situation politique nouvelle crée après les attentats du 11 septembre et lance un nouveau cycle de libéralisation dit "Agenda du développement". Cet agenda, qui devait être a moitié réalisé à Cancun, ne l'a été que pour un petit tiers. L'intervention américaine, le passage de l'administration Clinton a celle de Bush n'ont fait qu'exacerber les divergences et contradictions entre pays du sud et pays du nord d'un côté, Etats-Unis et Union européenne de l'autre.

Après Cancun, et alors que les sujets de négociation sont remis en débat à son siège, à Genève, l'Omc entre dans une phase de crise qui pourrait être terminale. Sauf adoption et mise en ouvre de réformes profondes.

Louis Sallay

 
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