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(par Jean-Marie Harribey)
La connaissance est devenue une force productive essentielle. Cela explique la pression du capitalisme pour s'emparer de tous les savoirs humains en instaurant de nouveaux droits de propriété par le biais des brevets. Et c'est l'une des batailles principales menées par les transnationales au sein de l'OMC. Mais, à mesure que l'informatique devient le premier outil pour mettre en réseau les systèmes de production et d'échange, se renforce le caractère socialisé de l'activité économique, réalisant ce que Marx avait anticipé sous le nom de "travailleur collectif". Comment cette nouvelle réalité est-elle analysée?


Le savoir, c'est capital

Le 21/05/2004
Grain de sable
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a connaissance est devenue une force productive essentielle. Cela explique la pression du capitalisme pour s'emparer de tous les savoirs humains en instaurant de nouveaux droits de propriété par le biais des brevets. Et c'est l'une des batailles principales menées par les transnationales au sein de l'OMC. Mais, à mesure que l'informatique devient le premier outil pour mettre en réseau les systèmes de production et d'échange, se renforce le caractère socialisé de l'activité économique, réalisant ce que Marx avait anticipé sous le nom de "travailleur collectif". Comment cette nouvelle réalité est-elle analysée?

Une première interprétation est donnée par des théoriciens renommés comme André Gorz ou Antonio Negri qui soulignent à juste titre le fait que, pour se reproduire, le capital a besoin de dominer toute la société et de happer tout le temps de vie du travailleur. Ils avancent aussi la thèse qu'avec l'avènement des nouvelles techniques et connaissances et la suprématie des services dans la production, le travail deviendrait de plus en plus immatériel et ne serait plus la source de la valeur et donc du profit que s'approprie le capital. Valeur et profit naîtraient hors de la production, en amont de celle-ci dans le processus d'accumulation de connaissances. Cette thèse devient ici plus fragile.

Premièrement, le produit du travail a beau devenir immatériel, le travail lui-même ne cesse pas d'être une réalité matérielle, c'est-à-dire une dépense d'énergie et de temps, une fatigue, un stress, que ce travail soit à dominante manuelle, intellectuelle ou relationnelle.

Deuxièmement, s'approfondit sous nos yeux une tendance historique du capitalisme: celui-ci améliore constamment les processus productifs en intégrant le progrès technique et les connaissances. Il s'ensuit une amélioration de la productivité du travail et, de manière tautologique, une baisse de la valeur d'échange des marchandises. Le jour est proche où les logiciels ne vaudront plus rien parce que l'énorme travail de conception est amorti sur un tel grand nombre de duplications que la valeur unitaire tend vers zéro. Ce n'est pas la preuve que le travail ne crée plus la valeur. C'est le signe que, lorsque le travail vivant diminue progressivement, moins de valeur est créée alors que la richesse croît. Richesse et valeur: allègrement confondues par la théorie économique dominante!

Troisièmement, les secteurs d'activité aux techniques de pointe, employant du personnel très qualifié mais en petit nombre, obtiennent souvent la meilleure rentabilité: on les dit "à haute valeur ajoutée". Mais ne s'agit-il pas plutôt de secteurs à haute valeur captée parce qu'ils bénéficient de l'effort de la société en matière d'éducation et d'infrastructures, qu'ils jouissent de rentes de monopoles et qu'ils imposent des prix n'ayant aucun rapport avec le travail effectué? Le comble de l'affaire est fourni par les holdings financières dans lesquelles il n'y a aucun travail productif mais où l'on enregistre une " haute valeur ajoutée " qui n'est en fait qu'une appropriation de la valeur produite ailleurs par le travail (son PDG, Serge Tchuruk, voulait naguère faire d'Alcatel une " entreprise sans usines "). La difficulté d'analyse tient moins dans un problème de mesure de la valeur que dans l'imputation de la création de valeur à tel ou tel secteur, à telle ou telle catégorie de travailleurs. Elle est levée si l'on raisonne à l'échelle de la société: la valeur est créée collectivement et sa mesure est donnée par la somme de travail globale ; ensuite, savoir comment elle se répartit en fonction des rapports de forces est une autre histoire.

Aussi, une autre interprétation de l'évolution du capitalisme peut être proposée. Pour la première fois dans l'histoire, l'outil de production primordial du moment, la connaissance, est difficilement appropriable. Ce que possèdent les travailleurs dans leur tête ne peut leur être enlevé. Mieux, plus la connaissance est partagée, plus elle se transmet et grandit. Au contraire, plus elle est concentrée, plus elle risque de s'étioler. La socialisation de la production et de la transmission de connaissances entre donc en contradiction avec leur appropriation privée. Comme le dit très justement Gorz, cette contradiction ouvre la crise du capitalisme contemporain qui éprouve de la difficulté à faire fonctionner le savoir comme capital, c'est-à-dire à en faire un objet de profit. Et pourtant il s'y emploie. Et pour cela il ne peut se passer de la force de travail qui " porte " le savoir. On ne peut donc dissocier celui-ci des travailleurs en qui il est emmagasiné. La chance des travailleurs dans leur combat pour un autre monde est que le savoir, c'est capital, mais a du mal à être du capital.

par Jean-Marie Harribey, membre du Conseil scientifique d'Attac France)
article paru dans Politis n° 784.

 
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