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(par Vincent Drezet et René Dassonville) Les raisons invoquées en faveur de l'amnistie fiscale sont injustifiées et fallacieuses. Elles légitiment une société de promotion du trafic de haut vol et de la criminalité financière, pendant que d'autres mesures mettent déjà la "France d'en bas" sous pression.


Amnistie fiscale: socialement injuste, économiquement inefficace, globalement inacceptable!

Le 12/05/2004
Grain de sable
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es débats qui portent sur l'institution d'une amnistie fiscale montrent combien la majorité actuelle est tentée par une telle mesure. L'ancien Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a certes eu beau préciser qu'une amnistie fiscale n'était "pas à l'ordre du jour"[1], on peut légitimement craindre que l'instauration d'une telle mesure, surtout après les récentes déclarations du Premier Ministre[2], dans un contexte de remise en cause des impôts directs (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, taxe professionnelle, impôt de solidarité sur la fortune) d'une part, et de concurrence fiscale illustrée par l'alignement sur le moins disant fiscal entre pays européens d'autre part. La méthode du Premier Ministre est la suivante: après une première tentative fin 2003 qui a fait office de "tour de chauffe" (discussion au parlement sur deux amendements retirés), l'idée avancée est de financer un "fond de cohésion sociale".
En réalité, l'affichage ne résiste pas à la réalité très antisociale du projet.

Les raisons invoquées en faveur de l'amnistie fiscale sont injustifiées et fallacieuses. Elles légitiment une société de promotion du trafic de haut vol et de la criminalité financière, pendant que d'autres mesures mettent déjà la "France d'en bas" sous pression.

Les raisons avouées d'une amnistie fiscale.

Le mimétisme fiscal

"Cela s'est fait ailleurs": voici donc un des principaux arguments des tenants de l'amnistie fiscale. C'est certes un peu court. Après l'Italie, l'Allemagne et la Belgique, pourquoi pas la France? Voici donc l'idée force qui présiderait à l'adoption de cette mesure en France, traduisant là un mimétisme fiscal déjà constaté dans les choix fiscaux de différents Etats européens: baisse de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur le revenu, augmentation des impôts indirects par nature plus injustes, mise sous pression de la dépense publique, bref, autant de tendances lourdes constatées dans plusieurs pays. Nous serions des lors condamnés à nous aligner, sans choix ni débat démocratique possible. L'amnistie fiscale s'inscrivant dans cette même évolution, nous n'aurions d'autre choix que de l'adopter.

L'amnistie, comment ?

Le principe d'une amnistie tel qu'il a été défendu par M. Marini (UMP) fin 2003 repose sur l'idée suivante : il s'agirait, "pour inciter au rapatriement des fonds placés à l'étranger", d'instaurer un dispositif de taxation sur les fonds placés à l'étranger et rapatriés en France.
Le taux serait de 10% mais pourrait être ramené à 7,5% en cas d'investissement dans le capital de PME non cotée ou à 5% pour les fonds réinvestis dans une association ou une fondation reconnue d'utilité publique.
Le prélèvement libératoire forfaitaire garantit en outre l'anonymat du propriétaire des fonds, les démarches de rapatriement s'effectuant par un "intermédiaire agréé".

La relance de l'économie et l'inévitable attractivité

Donner la possibilité de rapatrier les fonds actuellement à l'étranger, et particulièrement dans les paradis fiscaux, présenterait un double avantage, selon ceux qui préconisent l'amnistie fiscale. Ces masses financières seraient utilisées par leurs propriétaires à l'intérieur de la France de façon bénéfique au pays : "les fonds rapatriés seraient réinvestis dans le financement de l'économie"[3]. Par ailleurs, la taxe forfaitaire qui leur serait appliquée constituerait une rentrée supplémentaire pour le budget de l'Etat sans qu'une estimation précise ne soit pour autant fournie.

Une amnistie fiscale est présentée comme étant potentiellement bénéfique à l'attractivité fiscale de la France, traditionnellement désignée championne du Monde des "prélèvements obligatoires". De par le financement de l'économie qui en résulterait et le signe d'un système fiscal qui sait "s'adapter", pour ne pas dire pardonner, elle ferait preuve de bonne volonté à l'égard de la finance.

Une fiscalité sur le patrimoine trop lourde

L'amnistie fiscale devrait enfin, selon ses supporters, compenser en quelque sorte la taxation du patrimoine, jugée forcément excessive. Le sujet sensible de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pointe ici le bout de son nez. Rendu responsable de nombreuses délocalisations, il est contesté dans son principe même par les libéraux. Le rapatriement des fonds placés à l'étranger et leur taxation réduite serait une sorte de tolérance aux "victimes" de cet impôt qui seraient forcés aujourd'hui à l'exil fiscal. L'amnistie fiscale viendrait donc alléger la "souffrance fiscale" de ceux qui seraient obligés de placer leurs fonds en Suisse, au Luxembourg, ou dans quelque autre pays fiscalement compréhensif.

...aux raisons moins avouables

Une fiscalité du capital sous pression?

L'idéologie néolibérale actuelle condamnant sans réserve toute atteinte à la propriété privée, la taxation du capital est remise en cause dans ses fondements même. M. Carrez, inspirateur de l'amnistie, pose ainsi le problème de l'ISF qui, incitant aux délocalisations à l'étranger ou empêchant des localisations en France, aurait détourné des ressources de l'économie française. Selon lui, le projet d'amnistie fiscale devrait s'accompagner " d'un minimum de réformes de la fiscalité du capital en France "[4].

M.de Villiers préconise, quant à lui, une suppression non seulement de l'ISF, mais également des droits de succession en ligne directe[5]. On retrouve là une vieille doctrine libérale qui s'est récemment illustrée aux Etats Unis et surtout en Italie, où les droits de succession ont été purement et simplement supprimés (seuls subsistent en Italie quelques impôts cadastraux). La liberté de circuler et de placer se traduit ici par la liberté d'accumuler.

En France, les récentes réformes de l'ISF et des droits de donations[6] ne suffiraient donc pas aux yeux des libéraux: il faudrait aller encore et toujours plus loin dans la baisse de la fiscalité du capital, la compensation pouvant alors s'effectuer par la baisse des dépenses publiques (coupes dans les crédits de la recherche, remise en cause de certaines prestations sociales.) et la hausse d'autres impôts supportés par les "bases immobiles" tels que salariés, chômeurs ou retraités (droits sur le tabac, sur le gazole, "alignement" de la contribution sociale généralisée.).

Un capital libre et affranchi

La libéralisation financière repose sur la possibilité laissée aux capitaux de circuler librement et sans entrave entre tous les pays, les entraves pouvant prendre la forme des législations nationales, notamment fiscales.
Réformer, alléger, voire supprimer, la taxation du capital va donc dans le sens d'une liberté de circulation des capitaux qui, en matière de fiscalité, se nourrit des stratégies d'optimisation, d'évasion et de fraude. Peu importe ici que lesdits capitaux provoquent, notamment de par leur mobilité même, spéculation, restructurations.et encore autres incidences sociales, décidément bien lointaines des préoccupations et des exigences des marchés financiers.

En offrant la possibilité aux capitaux placés à l'étranger d'intégrer l'économie nationale, la France offrirait de plus un marché à certaines banques étrangères (et notamment suisses) qui, pariant sur l'institution d'une amnistie fiscale, accélèrent d'ores et déjà leur implantation en France, espérant récolter les fonds que certaines gèrent déjà dans différents pays "à fiscalité privilégiée". Le véritable signe est alors donné aux marchés financiers: venez, fraudez, nous passerons bien l'éponge, la facture étant renvoyée au citoyen "ordinaire" qui, lui continuera de supporter ce que les autres ne paient pas.


Amnistie fiscale: pourquoi dire non?

Une mesure injuste exonérée de tout sens civique et moral

L'amnistie fiscale est un encouragement aux fraudeurs et une claque à ceux qui respectent leurs obligations à l'égard de la collectivité. Certains chef d'entreprise ne s'y sont pas trompés: ainsi, l'association "Croissance Plus" refuse l'amnistie fiscale laquelle, déclarent ses porte-parole[7], "nous choque d'abord comme citoyens d'un Etat de droit".

L'affaire ne s'arrête pas seulement à la question, déjà sérieuse, de l'évasion et de la fraude fiscale. En effet, une amnistie permettrait le rapatriement en toute légalité, et avec une taxation minime, de fonds placés dans les paradis fiscaux et pouvant pour une part, provenir de ce qu'il est convenu de nommer "l'argent sale" (ventes d'armes, de drogues, trafics.) qui cherche à se "respectabiliser" et à se blanchir. En Belgique, une partie de la classe politique s'est ainsi émue de voir que la confidentialité de ce type très particulier de contribuables serait sauvegardée; les banques y ont été chargées de ponctionner les fonds à la source et de les reverser globalement à l'Etat. Las, le secret bancaire a prévalu sur les considérations d'ordre moral. Un tel secret bancaire n'existe pas en France, mais pour autant, le projet présenté durant l'automne 2003 garantissait bel et bien l'anonymat des "amnistiés".

Une mesure inefficace

Enfin, il n'est démontré nulle part que tous les capitaux rentrés dans les pays qui ont institué une amnistie fiscale ont bénéficié à l'économie et encore moins à l'économie nationale; entre les stratégies de placements et d'optimisation, les fonds rapatriés ont parfois pu être réinjectés dans les circuits financiers, en bénéficiant au passage d'une taxation allégée pour solde de tout compte. Avec un taux de 2,5% sur les capitaux rapatriés, l'Italie aurait récolté un montant quatre fois inférieur à celui qui était prévu. "Cela valait-il la peine de sacrifier la crédibilité d'un pays pour 15 euros par habitant?" s'est d'ailleurs demandé le quotidien italien Corriere della Sera.

Notons, pour la petite histoire, qu'en France, le taux maximum envisagé dans le projet du Sénat fin 2003 (10 % en l'absence de réinvestissement) excède à peine le taux de l'intérêt de retard calculé sur 12 mois (7,5% par mois soit 9% l'an) et qui est appliqué en cas de redressement (sur les salariés, les entreprises.). Le fait que le Premier Ministre semble désormais envisager un taux plus élevé ne change rien à l'affaire: le coût de ce type de mesure (politique, moral et financier, le signe envoyé aux fraudeurs pouvant les inciter à continuer) est largement plus élevé que sa rentabilité.

Les rentrées budgétaires espérées, censées améliorer les finances de l'Etat, ressembleraient à une aumône versée par les bénéficiaires de l'amnistie. La lutte contre la fraude se résumerait-elle à ce type de mesure, à l'heure où les moyens alloués au contrôle fiscal subissent les effets de la réduction de la dépense publique? Le contrôle est pourtant la contrepartie du système déclaratif français. Or, en l'absence de radars, désobéir est moins risqué.

Une mesure inacceptable

L'amnistie fiscale est une prime à la fraude et aux fraudeurs, trafiquants, mafieux, bref, à ceux qui ont volé les autres par leur criminalité financière et qui ont volé l'Etat par leur non participation aux budgets publics. Mais les voleurs de pommes relèvent, eux, toujours de la tolérance zéro.

A moins de considérer - et d'assumer - qu'il s'agit là d'un choix de société qui, notons le, peut apparaître en partie ici ou là dans les mesures de baisses de l'IR, de l'IS ou de l'ISF, il est plus qu'urgent de redéfinir des choix fiscaux et sociaux qui réhabilitent et servent l'intérêt général.

Pour ces raisons, l'idée d'une amnistie fiscale doit être abandonnée.
Rappelons-le, "pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, une contribution commune est indispensable: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés"[8]. Tout le contraire de ce que porte l'amnistie fiscale.


L'amnistie: absolution pour les uns, mise sous pression des autres

En France, comme au plan international, la tendance est à la "compliance" (c'est-à-dire le respect volontaire des obligations fiscales) et à la recherche du civisme fiscal. Il s'agit pour les administrations financières d'être plus réactives face aux défaillances déclaratives des contribuables de façon à augmenter la proportion de ceux qui respectent spontanément leurs obligations fiscales. L'objectif affiché devrait alors conduire à orienter les contrôles sur les véritables fraudeurs.

Par ailleurs, l'informatisation aidant, les recoupements de fichiers entre les diverses administrations (sociales, statistiques.) mais aussi les diverses parties versant des revenus (employeurs, organismes sociaux) sont toujours plus affinés pour agréger en amont des obligations déclaratives le maximum d'éléments entrant dans le revenu global soumis à l'IR. Les détenteurs de revenus principalement soumis à ces évolutions se situent toujours dans le même périmètre des catégories sociaux professionnelles (salariés, retraités, allocataires de revenus sociaux).

L'évolution de la fiscalité au plan national et international contribue à exonérer ou amnistier plus largement les bénéficiaires des autres types de revenus (bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux, impôt sur les sociétés, impôts sur le patrimoine). Corrélativement, la taxation de la consommation, (la "base non délocalisable") sur le carburant ou les tabacs par exemple, s'accentue, faisant des consommateurs des "otages fiscaux". On assiste donc à un report des prélèvements sur une même partie de la population en la rendant toujours plus captive.

Dans un tel cadre, il est d'autant plus injuste et inacceptable d'absoudre la partie la plus favorisée.

Cette tentation s'observe au niveau européen et international. Elle se trouve de plus facilitée par la perpétuation du secret bancaire et par le maintien des zones fiscales privilégiées, notamment au sein même de l'Union Européenne.


Tolérance fiscale zéro pour les uns, amnistie fiscale pour les autres, l'adoption d'une telle mesure irait véritablement à l'encontre de l'idée d'une "contribution commune" telle qu'elle ressort de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.


Vincent Drezet et René Dassonville, membres du SNUI


[1] Séance publique du 4 Décembre 2003 au Sénat : réponse de M. Mer à Marie-Claude Beaudeau
[2] Intervention télévisée du 06 Mai 2004.
[3] Rapport " Revaloriser le travail " de M. Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée Nationale, réalisé au sein du Club "Dialogue et initiative" de Jean Pierre Raffarin.
[4] Voir 2°
[5] Propositions relevées dans "Argent" n° 2.
[6] Elargissement du champ des exonérations pour l'ISF, mesures en faveur des donations décidées en 2003 et début 2004.
[7] Denis Payre et Geoffroy Roux de Bézieux ; "Les entrepreneurs disent "non" à l'amnistie fiscale!", Les échos du 26/01/2004.
[8] Article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 Août 1789.

 
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