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Assurance maladie: les enjeux d'un débat (par Pierre Khalfa et Bernard Teper, membres du Conseil scientifique d'Attac) L'assurance maladie est "en péril" affirme le président de la République lors de ses voeux aux Français. "Les scénarios noirs du Haut Conseil de l'assurance maladie" titre Le Monde (23/12/03). Des chiffres de déficit faramineux sont mis régulièrement sur la place publique. Le scénario apparaît bien construit. Comme dans le cas des retraites, les mesures régressives concernant notre système de santé sont justifiées par une description catastrophique de la réalité, appréhendée uniquement d'un point de vue financier


Assurance-maladie: les enjeux d'un débat

Le 24/03/2004
Grain de sable
l


'assurance-maladie est "en péril" affirme le président de la République lors de ses voeux aux Français. "Les scénarios noirs du Haut Conseil de l'assurance-maladie" titre Le Monde (23/12/03). Des chiffres de déficit faramineux sont mis régulièrement sur la place publique. Le scénario apparaît bien construit. Comme dans le cas des retraites, les mesures régressives concernant notre système de santé sont justifiées par une description catastrophique de la réalité, appréhendée uniquement d'un point de vue financier.

Partons donc des chiffres. Un document de travail du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie indique que de 1982 à 2002 les dépenses de l'assurance-maladie ont progressé en moyenne par an de 1,1% de plus que le revenu national, le PIB. En quoi est-ce fondamentalement problématique? S'alarme-t-on de la croissance exponentielle de ventes de téléphone portable ces dernières années? La différence de traitement entre ces deux sujets n'a qu'une explication: dans ce dernier cas, il s'agit de dépenses privées alors que, pour l'essentiel, les dépenses de santé sont encore socialisées, ce qui est insupportable pour les idéologues libéraux et le lobby des assureurs privés.

Une comparaison internationale est d'ailleurs instructive. Les grands pays développés consacrent de 8% à 10% de leur PIB à la santé. Une exception notable, les Etats-Unis. Ce pays consacre près de 14% de son PIB à ses dépenses de santé alors même que la moitié de ses habitants n'ont pas accès à des soins convenables et que l'espérance de vie y est de trois ans plus faible qu'en France. C'est aussi le pays où la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé est la plus faible, 44% contre 75% pour la France. Nous pouvons tirer deux conclusions de ces chiffres. D'abord, contrairement à ce que nous serinent le MEDEF et le gouvernement, les dépenses de santé en France se situent dans la moyenne des pays ayant des niveaux de développement comparables. Ensuite que la privatisation de la santé et l'introduction de la concurrence aboutissent à une augmentation importante des coûts et à une aggravation considérable des inégalités en matière d'accès aux soins.

Venons-en maintenant au déficit de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Les chiffres présentés semblent impressionnants: de 1,6 milliards d'euros en 2000, le déficit de la CNAM atteindrait 10 milliards en 2003. Mais un déficit n'a de sens que si on le compare aux ressources. De ce point de vue, le déficit passerait de 1,6% des ressources de la CNAM en 2000 à 8,4% en 2003. Ce déficit reste, pour des sommes comparables, bien en deçà de celui du budget de l'Etat qui devrait atteindre plus de 20% des recettes en 2003. Le gouvernement n'en a pas annulé pour autant les baisses d'impôts qui vont profiter essentiellement aux contribuables les plus aisés!

Remarquons que le montant des exonérations de cotisations patronales non compensées par l'Etat s'élève à plus de 2 milliards d'euros.

L'Etat doit par ailleurs plus de 4 milliards aux caisses de la sécurité sociale, les dettes patronales s'élevant à près de 2 milliards. Enfin, les employeurs déclarent de moins en moins les accidents du travail et les maladies professionnelles, ce qui correspond à un manque à gagner de plusieurs milliards d'euros pour la Sécurité sociale. Le gouvernement et le patronat ont donc une responsabilité non négligeable dans le déficit.

Mais l'essentiel n'est pas là. Le déficit de la CNAM est dû avant tout à une insuffisance de ressources nécessaires pour faire fonctionner correctement notre système de santé. Ce manque de ressources est lui-même d'abord dû à un ralentissement des recettes, contrecoup de la croissance du chômage. Il trouve sa source dans le refus obstiné de rééquilibrer la part des salaires (salaires directs et cotisations sociales) dans la valeur ajoutée créée par les entreprises alors même que celle-ci a baissé de 10 points en 20 ans, soit 150 milliards d'euros sur la base du PIB 2002, ce qui permet de remettre en perspective la question du déficit.




es constats n'empêchent évidemment pas de réfléchir à une meilleure organisation du système de santé pour éviter une inflation des coûts. Encore faut-il auparavant se mettre d'accord sur le fait de maintenir le principe de solidarité qui en est le cœur. La sécurité sociale ne fonctionne pas selon la même logique que les assurances privées. Ces dernières recherchent avant tout une bonne rentabilité de leur capital et, pour elles, le coût de l'assurance est lié au risque assuré et à la couverture envisagée. Au contraire, dans la Sécurité sociale, chacun paie en fonction de son revenu sans tenir compte du risque qu'il représente. Ainsi, non seulement tout le monde peut être couvert, mais tout le monde est couvert de la même façon. C'est une différence fondamentale avec les assureurs privés et même avec la plupart des mutuelles. Pour celles-ci, si les plus pauvres payent moins, ils auront une couverture moindre. Le financement de notre système de santé doit donc rester basé sur le revenu et non sur le risque ou la couverture envisagée.

Ce principe implique de renforcer le régime obligatoire d'assurance maladie qui ne prend en charge aujourd'hui que 75% des soins. Il faut donc passer progressivement à une prise en charge à 100%. Une telle perspective correspond à une refondation de notre système de santé qui pourrait s'articuler autour de quatre axes:

 o  En finir avec les subventions publiques envers le secteur privé. Les lits privés dans les hôpitaux publics et les dotations financières publiques pour la rénovation des établissements privés doivent être supprimés.

 o  Améliorer le financement de l'assurance-maladie. Cela passe d'abord par le remboursement des dettes patronales et de celles de l'Etat. Mais il faut surtout imposer un rééquilibrage de la part des salaires dans la richesse créée par le travail au sein des entreprises. La part dite patronale des cotisations sociales doit donc augmenter.

 o  Transformer notre système de soins. Il faut développer la politique de prévention et d'éducation à la santé et favoriser une meilleure coordination des professionnels de santé avec la mise en place de réseaux sanitaires.

 o  Mener une meilleure politique du médicament. Les activités des industries pharmaceutiques doivent être contrôlées pour qu'elles répondent aux besoins de santé sans faire exploser les prix des nouveaux médicaments. Il faut favoriser le développement des génériques et empêcher toute extension de la durée des brevets réclamée par l'industrie pharmaceutique qui alourdirait le coût de la santé.

Cette refondation de l'assurance-maladie devrait s'accompagner de la mise en place de processus de démocratie participative dans le domaine sanitaire et en finir ainsi avec les décisions technocratiques prises au seul motif d'impératifs financiers. Il faut organiser, tant au niveau local que national, des débats collectifs qui rassemblent les experts, les associations de malades, les représentants des médecins et des autres soignants, de l'industrie pharmaceutique, de l'assurance maladie et les organisations syndicales. C'est à partir de ces débats que doit être décidé ce qui doit être remboursé par la Sécurité sociale, c'est-à-dire les soins utiles, et donc définir collectivement les moyens financiers à mettre en œuvre. Enfin, il n'est pas admissible qu'il n'y ait pas eu d'élections aux caisses de la Sécurité sociale depuis 1983. Il faut donc que les assurés puissent de nouveau élire leurs représentants.

Pierre Khalfa et Bernard Teper sont membres du Conseil scientifique d'Attac

 
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