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Ici, chacun "débrouille". C'est devenu un synonyme de "survivre", "trouver son pain quotidien", sans beurre à mettre dessus bien sûr. "Je débrouille", ça veut dire "je suis dans la galère, je souffre... mais je vis encore", j'ai encore cette chance par rapport aux autres, à tous ceux qui ne "débrouillent" plus, victimes définitives. Quand un jeune sans métier vous répond "je débrouille", sachez qu'il n'est pas prêt d'avoir une femme et un foyer (mais des enfants peut-être déjà malheureusement)


Comment la débrouille tue l'Afrique

Le 18/02/2004
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ci, chacun "débrouille". C'est devenu un synonyme de "survivre", "trouver son pain quotidien", sans beurre à mettre dessus bien sûr. "Je débrouille", ça veut dire "je suis dans la galère, je souffre... mais je vis encore", j'ai encore cette chance par rapport aux autres, à tous ceux qui ne "débrouillent" plus, victimes définitives. Quand un jeune sans métier vous répond "je débrouille", sachez qu'il n'est pas prêt d'avoir une femme et un foyer (mais des enfants peut-être déjà malheureusement).


"Débrouiller", dans 90% des cas ici, c'est avoir un mini-commerce devant la maison où on essaie de vendre du piment, des bougies, des allumettes, du savon, des bonbons ou des cigarettes à l'unité au voisin qui vend lui aussi et souvent les mêmes choses! Dans notre "piste" (rue non goudronnée des quartiers), le nombre de ces petits stands de vente (une table et un banc le plus souvent) a été multiplié au moins par huit en quatre ans: chaque fois qu'un poste de fonctionnaire n'est pas renouvelé (sur les injonctions de la politique d'ajustement du FMI), il s'en ouvre un nouveau..


Le commerce peut aussi être ambulant: le cireur de chaussures, qui passe dans la rue dès cinq heures en se signalant en tapant avec sa petite brosse à reluire sur une petite boîte en bois (ou sur un bout de planchette s'il n'a pas encore pu s'offrir la petite boîte à moitié éventrée) et entre cirer vos chaussures pour 50 centimes les trois paires(!), "débrouille"; le "couturier de rapiéçage", qui se signale, lui, en faisant tinter ses ciseaux et fait dix km par jour avec sa mini machine à coudre sur l'épaule ("mini" mais 8 kg quand même!), attendant un éventuel "pssst" venu d'une "concession" (logement commun) où on l'appellerait pour repriser un trou de tee-shirt, "débrouille"; la jeune femme qui propose sa tête comme monte-charge pour transporter les cartons de pagne d'un bout du marché à l'autre pour quinze centimes de CFA la course de quatre km dans une cohue indescriptible, "débrouille"; la maman dont le petit crache des glaires depuis douze jours mais à qui il manque cent francs CFA (1FF) pour payer "la tisane d'indigénat" (plantes traditionnelles) et qui va proposer à la voisine d'aller lui vendre ses ballons de baudruche au marché avec une marge "bénéficiaire" de cinq centimes par jour, "débrouille".


Alors...si certains "débrouillent" parfois avec des tactiques un peu moins honnêtes ou "débrouillent" parfois en allant raconter une histoire abracadabrante de vol ou de militaires menaçant la famille ou de décès au village, chez le blanc qui a une villa "où quatre voitures 4x4 peuvent entrer dedans et qui paye 200.000 de facture de téléphone", comment leur en vouloir d'avoir trouvé une "débrouille" un peu plus rémunératrice et un peu moins épuisante?


Mais, tout le monde "débrouille"... et le vrai problème est là: les Africains "débrouillent" si bien que leurs Etats peuvent s'en laver les mains; ils débrouillent si silencieusement que le FMI peut continuer ses politiques d'ajustement et ...chacun survit ...ou ne survit pas car le paludisme guette, toujours, de l'enfant au vieillard et ronge en moyenne 40% des revenus mensuels. Et plus la "débrouille" est épuisante, plus le paludisme se manifeste fréquemment. Mais chacun de ces épuisés pense qu'il y est pour quelque chose et songe à peine à en accuser le FMI ou l'Occident, parfois l'Etat, mais juste pour insister sur le fait que, eux, les gouvernants, ne souffrent pas comme ça; sans conscience qu'en fait, eux, s'assoient sur ces "débrouillards", mangent sur leur tête, avec cette boulimie de richesses toujours plus vorace (capitalisme oblige!). Et ces revenus exponentiels entrent ensuite dans le total de la moyenne du PNB par habitant qui définit la "richesse" de tous!


Mais il y a plus fort. La seule richesse de l'Afrique aujourd'hui, qui lui vient peut-être de ses ancêtres mais peut-être aussi de son histoire douloureuse de quatre(?) siècles, c'est la solidarité. Et bien la Banque Mondiale trouve aujourd'hui opportun de s'y attaquer aussi.


Il était une fois, au Togo, une belle histoire de solidarité plus forte que les spoliations étatiques: les écoles EDIL (Ecoles d'Initiatives Locales, longtemps appelées "clandestines"). Les paysans des villages se sont cotisés pour créer leurs propres écoles puisque l'Etat n'assurait plus une scolarisation décente (la déscolarisation et l'ignorance qu'elle favorise seraient-elles favorables au maintien au pouvoir de certains?). Ils ont fait vivre ces écoles pendant une dizaine d'années et puis la Banque Mondiale s'est intéressée à elles et a demandé à l'Etat de les intégrer dans le système éducatif. L'Etat ne pouvant bien sûr pas payer le salaire de tous ces nouveaux enseignants, puisque ne payant déjà pas le salaire des anciens, la Banque Mondiale a généreusement (!) annoncé qu'elle débloquait des fonds pour payer ces instituteurs trois fois plus qu'ils ne l'étaient par les villageois (...) les alignant ainsi sur le salaire des autres enseignants mais ...pour deux ans!!! Et deux ans plus tard, quand la manne s'arrêterait, comment remotiver les villageois? Comment les convaincre que les enseignants ne mentent pas, qu'effectivement il ne sont plus payés ? Et le tour est joué ! La solidarité est cassée. Finalement, la manne aura duré ...deux mois: le reste aurait-il été détourné par les autorités locales? Si tel est le cas, cela aura peut-être paradoxalement été un bien! Mais il a déjà fallu que nous, association qui soutenions certaines de ces écoles, fassions une lettre aux parents d'élèves pour garantir la véracité des dires des instituteurs !


Voilà pourquoi la "débrouille" tue l'Afrique. Pourvu que la solidarité, elle, survive! ...mais comme elle est l'ennemi public (!) numéro un du capitalisme...


Isabelle LIKOUKA, membre fondateur d'Attac-Togo et membre de Nouvelles Alternatives pour le Développement (réseau Attac-Cadtm) à Kinshasa, R.D.Congo
likouka@tiscali.fr ou attactogo@yahoo.fr

 
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