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Ainsi donc le "Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie" a rendu le 15 janvier dernier son rapport, sous forme de projet de synthèse, pour nous expliquer combien la sécurité sociale est en danger et nous avec!


Il leur faut aussi la Sécu !

Le 11/02/2004
Grain de sable
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insi donc le "Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie" a rendu le 15 janvier dernier son rapport, sous forme de projet de synthèse, pour nous expliquer combien la sécurité sociale est en danger et nous avec!

Souvenons-nous, le même type de démonstration avait commencé à nous être servi, il y a un an environ, à propos des retraites : la démographie était tout bonnement en train de détruire un bien précieux, la retraite par répartition. Pour la sauver, inventons la retraite par capitalisation, à la française bien entendu, nous disait-on!

S'agissant de la sécurité sociale, le même processus est lancé, on commence par nous vanter le système, "la généralisation de l'assurance maladie à toute la population et la diffusion des couvertures complémentaires permettent à pratiquement tous les assurés, quel que soit leur état de santé, leur âge ou leur revenu, d'avoir un accès aisé aux soins; et ceux-ci sont très largement pris en charge", pour mieux nous convaincre qu'une construction aussi merveilleuse ne saurait perdurer... sans être détruite.

1) Leur problématique

Comme on peut l'imaginer volontiers, les quelque vingt pages du rapport provisoire ne forment pas une collection d'inepties, elles livrent bon nombre d'observations justes, et même, vont jusqu'à formuler telle ou telle recommandation fondée.

Tout l'art consiste, précisément, à mêler une manière de froide analyse de la réalité à des conclusions qui sont proprement idéologiques: il s'agit tout simplement de faire en sorte que la part essentielle de la couverture du "risque" soins, soit assurée par une démarche individuelle et, dès lors, confiée à des assureurs privés. Sans doute les thuriféraires d'un tel système ne prétendent-ils pas l'imposer, en bloc, dès 2004, l'essentiel est de lancer le processus.
Pourquoi cet acharnement? Par stupidité? Par aveuglement? Par ignorance? Rien de tout cela, on s'en doute, les économistes de la "bien-pensance" ne sont pas plus stupides -pas meilleurs, cependant- que les autres.

La question est, pour eux, angoissante : comment préserver -voire augmenter- les profits globaux alors que, le monde est mal fait, chaque unité de capital a tendance à être moins profitable ? On conçoit que pour nos nouveaux maîtres de forge pareil dilemme vaille tous les combats. On sait qu'il ne manquent pas d'armes, mais ils entendant les utiliser toutes!

Si, estiment-ils, on ne peut guère toucher au taux de profit, changeons l'assiette. Les 10%, par exemple, allant s'amenuisant, eh bien pour, au moins, préserver les 10 de revenus globaux, passons à 110, 120 de chiffre d'affaires!

Or les services, d'une manière générale, constitue une fabuleuse niche, une véritable caverne d'Ali Baba : 70% du PIB de l'Union Européenne, c'est plus de 6 000 milliards d'euros!

Pour une part importante, ces services sont encore rendus -vendus, dit-on sur les marchés- par des prestataires publics. A l'intérieur de ces services, les dépenses de soins représentent en 2002, nous confirme le Haut Conseil, 8,9% (135 milliards) du PIB français (1 520 milliards). En même temps les cotisations pour l'ensemble des prestations sociales représentent des montants considérables, environ 3 500 milliards EUR pour toute la planète (le double du PIB français). Avouons que pareille cagnotte ne peut être laissée au hasard de la gestion publique pour qu'elle profite à tous alors que, pour quelques uns seulement, elle serait si prometteuse.

C'est là toute l'affaire. Tout le reste n'est qu'habillage visant à "policer" l'agression, ou bien, de-ci de-là, remarques de bon sens qui peuvent être mises en oeuvre sans toucher à l'architecture générale. Faut-il l'intervention de l'assureur AXA pour permettre aux urgentistes de travailler dans des conditions descentes?


2) Remarques pertinentes et conclusions fallacieuses

Comme on l'a souligné, les éminents membres du Haut Conseil, nous livrent des remarques parfaitement pertinentes et, sans doute, nombre de leurs suggestions sont-elles à examiner avec le plus grand sérieux.
Que les dépenses de soins augmentent n'est contesté par personne. On peut cependant remarquer que le système français, largement "socialisé" n'est sous doute pas la seule origine de l'accroissement des dépenses de soins, comme le sous-entend le haut conseil quand il prétend que "ce système favorable de prise en charge explique largement la forte croissance des dépenses de soins". Si tel était le cas, comment expliquer qu'aux Etats-Unis, où le système est largement "privatisé", les dépenses de soins représentent une part de leur PIB approchant le double du nôtre (près de 14%)? S'agissant des dépenses relatives à la santé, il convient aussi de rappeler à nos experts es croissance, qu'elles participent tout comme n'importe quelle autre dépense -disons les dépenses d'armement, par exemple- à cette croissance tant vantée. On doit même observer que, en terme de qualification des emplois qu'il génère, ce type de dépense exige davantage de compétences que la moyenne des emplois en France. C'est "bon" pour la croissance! Le moins que l'on puisse demander est de ne pas mêler à des arguments de type économique sur la qualité de cette croissance qui ne serait pas bonne, sans d'ailleurs que l'on nous dise pourquoi, à des arguments d'ordre sanitaire quant à la qualité des soins qui pourrait être améliorée. Sans doute et on l'espère bien! Pourquoi par exemple ne consacrer que 2,3% des dépenses totales (selon la CNAM) à la médecine préventive?

"Les perspectives de croissance des dépenses constituent en effet un défi majeur", nous affirment les experts du Haut Conseil. C'est le genre de déclaration qui n'éclaire en rien la question étudiée. Si, par là, on veut dire que, grâce à l'accroissement de l'espérance de vie, grâce aux gains considérables de productivité dus en partie à l'accroissement de qualification, faire en sorte d'améliorer sans cesse la qualité de vie du plus grand nombre, c'est incontestablement un objectif à poursuivre avec ténacité. Pourquoi pas un défi? Après tout, monsieur Jourdain parlait, lui aussi très sérieusement, en prose ! Si, comme plus vraisemblablement, on veut nous signifier que ce type de gageure ne peut être tenue, c'est alors que commence vraiment la discussion.

La seule question qui vaille, au regard de l'intérêt de l'ensemble des citoyens, est en effet qu'ils puissent décider de la société dans laquelle ils veulent vivre, au regard des potentialités qu'elle recèle. C'est à eux de décider si les gains de productivité qui, rappelons-le, ont été constants tout au long du siècle dernier, doivent être consacrés, par exemple, à la réduction du temps de travail, à la population âgée, elle-même croissante, à la préservation de la santé, ou les tout à la fois!


3) Les termes du choix

On sait que, grâce à la valeur ajoutée par le seul travail de chacun, la production de biens et services va croissant à travers le monde, même si cette croissance semble diminuer ces dernières années. Comme le rappelait avec humour Keynes, enterrez dans votre jardin, de l'or ou des billets de banques, vous retrouverez toujours la même chose -au moins pour l'or- des années plus tard: aucune création de valeur!
Que faire de cette valeur ajoutée?

Elle est, globalement, partagée entre revenus du capital et revenus du travail. Une part de la rémunération est utilisée à l'investissement, beaucoup à la spéculation.

Par contre il est une question fondamentale qui est de notre seul ressort à nous tous, citoyens, et non de celui de quelques mandataires les plus fortunés.

On sait qu'en France, ces dernières décennies, la part revenant au travail est allée diminuant au bénéfice de celle attribuée au capital. Au nom de quelles lois économiques? En vertu de la décision de quelle assemblée? Au bénéfice de quelles catégories sociales présentes et à venir? Pour quel type de société à construire? D'autant que les montants en question sont considérables: sur la base d'un transfert de 10 points au détriment du travail c'est de quelque 150 milliards, par an, d'euros dont il s'agit. C'est de nombreuses années du "déficit" de la Sécurité Sociale! Ce nécessaire prélèvement sur l'ensemble de la valeur ajoutée peut prendre plusieurs formes qui ne sont d'ailleurs pas alternatives l'une l'autre: augmentation des salaires (entraînant mécaniquement celle des cotisations), augmentation des cotisations dites "patronales", prélèvements sur les profits. Pour importante que soit la question des formes de collecte des ressources nécessaires, elle demeure technique.

Autant de questions auxquelles nos prescripteurs patentés de recettes libérales se gardent bien de répondre. Et pour cause, ce serait mettre en évidence la raison fondamentale de l'accroissement fantastique des inégalités dans le monde, du chômage, de la précarisation ou, s'agissant de santé et selon le CREDES (centre de recherche, d'études et de documentation en économie de la santé) -tout étant lié- de la présence de près de 15% de la population française qui n'a pas accès aux soins pour des raisons financières. "Est-ce ainsi que les hommes vivent?" Oui, dans un monde qui n'est pas le nôtre.

Ainsi donc la question que l'on veut nous imposer "comment diminuer les dépenses de santé devant être pris en charge par le collectivité?" est très exactement l'inverse de celles qu'une société humaine doit se poser "quelle protection de la santé et quelle nature de soins souhaitons-nous pour que, tous, nous vivions correctement sans porter préjudice aux générations à venir?", "quelle part de la valeur ajoutée générée par notre travail consentons-nous à consacrer à ces objectifs?", enfin "quelle contribution individuelle, chacun d'entre nous apportera à ce choix de société?".

Alors, mais alors seulement, viendront des questions plus techniques, qui ont, certes, leur importance comme l'assiette et les modalités de prélèvement. Puisque l'on sait que seul le travail est à l'origine de toute création de valeur, on peut affirmer que c'est bien la totalité de la valeur ajoutée qui doit servir de base. Sauf à commettre une erreur conceptuelle et une profonde injustice sociale les revenus du travail ne sauraient être les seuls à asseoir les cotisations. On peut aussi imaginer diverses techniques pour que le prélèvement des cotisations s'opère en privilégiant telle orientation plutôt que telle autre. La péréquation est certainement une des bases de la solidarité démocratique, il n'y aurait, par exemple, rien de choquant qu'un petit agriculteur de montagne se voit, en valeur relative, imposer une moindre contribution qu'un PDG largement rémunéré! Mais tout cela mérite d'être largement débattu.


4) La santé comme bien public

Parce que la protection de la santé et les soins qui s'y attachent est la propriété de tous et non seulement de ceux qui peuvent payer, il ne peut s'agir de biens et services dont la régulation serait organisée par le marché. C'est bien d'une régulation publique dont nous avons besoin.

C'est la seule, on l'a vu, qui soit à même de s'adresser à tous, exigence minimum de toute démocratie. Mais c'est aussi la seule qui soit à même de protéger, dans le cadre des connaissances du moment, la santé mondiale.

Le Sida est l'exemple caricatural de l'incapacité du marché à répondre à une exigence de sécurité collective. Les thérapies proposées par le complexe industrialo pharmaceutique ne peuvent être acquises que par une toute petite minorité des malades pendant que l'immense majorité de ceux-ci, d'une part souffre et meurt mais, d'autre part, fait encourir à l'ensemble de la société les risques et périls correspondants. En tout égoïsme, croit-on raisonnablement que l'on pourrait bientôt compter plus de 100 millions de séropositifs sur le continent africain sans dommage pour le reste de la planète?

L'hebdomadaire Télérama, dans son numéro 2818, donne la parole à Vandana Shiva qui s'emporte contre cette monstruosité: des firmes pharmaceutiques étasuniennes, européennes et japonaises auraient "pris" plus de 90 brevets sur le margousier, arbre très largement utilisé, depuis des lustres, en Inde. A ceux qui, à juste titre, s'indignent de pareilles pratiques, il faut dire et redire que la régulation par le marché ne peut que conduire à ces comportements.

Un autre motif exige de faire de la défense de la santé un bien public, c'est son intime relation avec la recherche. Dans un domaine comme celui-ci, plus encore si c'est possible, que dans tout autre, la recherche ne peut avoir pour cadre que celui défini par l'ensemble de la société et non celui qui est dicté par le marché. Dans ce dernier cas, on continuera à voir 80% des dépenses de santé consacrées à 20% de la population, et les thérapies contre des maladies particulièrement meurtrières -en terme de millions d'êtres humains- comme le paludisme n'intéresser véritablement aucune firme privée.

En 2000, l'Assemblée Générale des Nations Unies a fixé 18 cibles à viser d'ici à 2015 pour combattre la pauvreté sur notre planète, quatre ont trait à la santé. Toutes sont pourtant bien modestes: on recommande, par exemple, de diminuer de moitié la mortalité des enfants! Mais tout se tient, comme le note, quelque peu découragé le PNUD (programme des Nations Unies pour le développement) " en l'absence d'installations sanitaires et d'hygiène, l'eau potable est beaucoup moins utile à la santé...".

Faute d'imposer cette approche, la planète court à la catastrophe. Que cherche-t-on en France avec cette volonté de "réforme"? Détruire ce qui reste encore de ce que l'Organisation Mondiale de la Santé décrivait comme le meilleur système de santé dans le monde. Veut-on voir le nombre de lits dans les hôpitaux continuer à diminuer ou celui des médecins venant du Sud (dont on sait qu'il manque cruellement de praticiens) continuer à augmenter?


5) Que faire ?
Le Haut Conseil nous délivre son ordonnance: pour que le système soit viable, il faut supprimer "l'enchevêtrement" des compétences, il faut un bon "pilotage", enfin il faut que la Sécurité Sociale transfert "compétences" et "responsabilité". Il faut, par exemple, "procéder [...] par délégation de bloc de compétence à un acteur précis". Qui doit être cet acteur? AXA? un organisme privé? mystère!
Ce n'est évidemment pas dans le rapport du Haut Conseil que nous trouverons les remèdes pour soigner la Sécurité Sociale!
Si malade elle est, elle souffre d'une maladie parfaitement identifiée: l'accaparement d'une part toujours croissante de la valeur ajoutée dans ce pays par une minorité. On connaît les remèdes.
Qu'il faille améliorer l'efficacité de notre système de prévention et de soins, qui le conteste? Mais cette efficacité fut-elle totale, restera la question du processus de choix de société dans lequel nous voulons vivre et de la définition de la part de notre travail que nous y consacrons. Pour le reste, nous pouvons faire confiance à nos experts pour qu'ils proposent les solutions répondant au cahier des charges que nous aurons fixé.

par Jacques Cossart,
membre du Conseil scientifique d'Attac France

 
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