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(Par Ghazi Hidouci) La contribution qui suit s'inscrit dans le débat actuel relatif à la gestion politique et économique internationale des transitions économiques et à l'évaluation des doctrines et pratiques des institutions financières, gardiennes du temple du credo néolibéral en la matière. Cette réflexion prend délibérément le parti d'analyser l'interrogation stratégique du projet politique de réformes institutionnelles et économiques mise en avant et affichée par les institutions de Bretton Woods elles-mêmes, sans tirer parti des arguments de leurs délateurs, bien plus convaincants par ailleurs


La "bonne gouvernance" du Sud - une nouvelle théologie de non-libération?

Le 28/10/2003
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ntroduction

La contribution qui suit s'inscrit dans le débat actuel relatif à la gestion politique et économique internationale des transitions économiques et à l'évaluation des doctrines et pratiques des institutions financières, gardiennes du temple du credo néolibéral en la matière. Cette réflexion prend délibérément le parti d'analyser l'interrogation stratégique du projet politique de réformes institutionnelles et économiques mise en avant et affichée par les institutions de Bretton Woods elles-mêmes, sans tirer parti des arguments de leurs délateurs, bien plus convaincants par ailleurs.




L'évolution du concept : de l'économique au politique:

Le terme de " gouvernance " est d'origine française lointaine. Oublié, il est réapparu il y a plus d'un demi-siècle chez les économistes américains. Ils s'en sont servi et s'en servent encore pour comprendre le rôle de la grande firme sur des marchés moins concurrentiels qu'il n'y paraît et expliquer que cette dernière s'avère plus efficace que le marché pour organiser les échanges complexes et réduire les coûts de transaction, à condition que les autres acteurs, et notamment l'État se prêtent à l'exercice. La formule "corporate governance", va se répandre aussi rapidement que se « transnationalisent » les entreprises et se mondialise la finance internationale. Le concept, ainsi emprunté à l'étude des firmes, s'applique à la gestion monopoliste non interventionniste confrontée à des mécanismes contraignants de marché provoqués par des intérêts contraires. La théorie est remise à la mode dans les années 70 aussi bien pour la gestion des politiques économiques pour lever ces contraintes par un grand leader socialiste britannique Wilson, (Governance in Britain) que par les « économistes institutionnalistes ». Elle définit alors la gouvernance comme « la gestion des instruments et mécanismes mis en oeuvre (par la firme ou par le pouvoir politique, mais en réalité ensemble) pour mener des coordinations efficaces qui relèvent de deux registres :

 o  celui des protocoles internes, quelque soient les territoires de souveraineté, lorsque l'organisation est hiérarchique et intégrée ;

 o  celui des contrats de partenariat et de l'usage de normes applicables dans tout le champ lorsque l'organisation s'externalise. »




Du gouvernement à la gouvernance

Ce mode de coordination n'est pas cohérent avec la liberté et l'équilibre spontané du marché, comme on veut souvent le faire croire lorsqu'il est appliqué à la régulation inspirée par la puissance publique. La firme dans cette logique néoclassique ne s'est jamais sentie prise en défaut par la 'corporate governance" qui l'autorise légitimement à se prémunir de la régulation des marchés. Au cours des années 80, la notion prend un sens précis nouveau en Grande Bretagne à l'occasion de la mise en place des réformes visant à limiter le pouvoir des autorités locales, jugées inefficaces et trop coûteuses, par le renforcement de la centralisation et la privatisation de certains services publics par le gouvernement Thatcher. La gouvernance à consonance néolibérale est née.

Le terme de gouvernance sera à partir de là transposé sans restriction du monde de l'entreprise à celui du pouvoir politique pour désigner des modes de coordination et de partenariat différents de ceux spontanés du marché, sans dire qu'il s'agit de gouvernement. Dans le contexte récent marqué par le recul de l'implication publique dans l'activité et le fonctionnement de l'économie transnationalisée, la notion de gouvernance s'étend à la fin des années 80 au champ des relations internationales




La transposition au Sud

Le terme de " good governance " est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d'une bonne administration publique, laissant toute latitude aux marchés extérieurs, dans les pays soumis à des programmes d'ajustement structurel. Les organismes de prêt internationaux préconisent par le biais de cette notion des réformes institutionnelles nécessaires à la réussite de leurs programmes économiques, en évitant soigneusement d'étudier les rapports de pouvoir qui déterminent l'économique dans la transition vers le marché faussement concurrentiel.

Il est possible toutefois de déterminer des éléments communs auxquels se réfèrent les différentes approches lorsqu'elles utilisent ce terme.

Dans la bouche des tenants de l'« intégration-globalisation » néolibérale des marchés, « governance » remplace surtout « governability » plus risqué et encore utilisé jusqu'aux années 70. Le Rapport de la Commission Trilatérale de 1975 dont le titre était « Governability of Democracies » introduit le terme comme instrument de gestion sociale et politique favorable à la grande firme en l'appliquant à une comparaison entre l'attitude des pouvoirs publics en Europe, aux États Unis, et au Japon.

La conclusion aboutit évidement à préférer la démarche néo-libérale avantageuse pour le régime de gestion capitaliste des revendications démocratiques et de redistribution des États Unis, afin d'assurer un nouveau mode de gestion de l'ordre social.

Saisissant très vite son rôle dans l'accélération du décloisonnement des marchés, la Banque Mondiale va adapter le concept au traitement des problèmes institutionnels du développement et assumera progressivement le leadership officiel de la pensée internationale dans le domaine, pour le compte des agences des Nations Unis, sommées de s'aligner. La démarche appliquée par la Banque aux économies en transition confirme l'objectif prégnant d'une conception fonctionnaliste de l'État aboutissant à la possibilité d'instrumentation des interventions d'autorité publique par les intérêts privés et à la subordination progressive de la souveraineté politique à celle des marchés. Les solutions préconisées et les moyens progressivement mis en place pour les atteindre dans les programmes d'ajustement, seront formalisées et théorisées après coup dans « Governance and Development (1992) » et « Governance, the World Bank's Perspective (1994) ».

Confrontés aux échecs répétés des programmes économiques d'inspiration néolibérale mis en place dans un ensemble de pays en voie de développement, Les institutions financières internationales ont en effet pris conscience qu'il était impossible de tout régler par des réformes économiques et de continuer à reléguer les questions politiques et sociales au second plan dans le débat sur le développement. Leurs experts commencent à incriminer le cadre politico-institutionnel défaillant de ces pays sans recommander d'agir en amont sur leur mode de gouvernement et surtout sur les oligarchies dont les intérêts particuliers et les privilèges sont à la source de la dépression. Selon ces experts, c'est le manque de capacités de gestion et non la volonté des gestionnaires qui est à l'origine de la plupart des problèmes économiques rencontrés en Afrique, en Amérique Latine, en Europe orientale ou encore dans les pays de l'Est. Peu à peu, il est apparu qu'aucun projet économique ne pouvait aboutir sans une légitimité politique et une efficacité minimum des institutions politiques. Le pouvoir a donc bien vite été perçu comme un obstacle au bon fonctionnement de l'économie et d'une manière générale à la progression du marché dans ces pays. Mais s'occuper de questions d'ordre politique, revient à ne plus avoir la foi dans la capacité autorégulatrice des marchés.

La gouvernance n'a jamais ainsi fait ainsi l'objet d'application clairement affichée dans le contexte des politiques de développement.

Le but affiché par la Banque Mondiale et, à sa suite, par toutes les agences de coopération, le PNUD et les bailleurs de fonds bilatéraux est clair : il ne s'agit pas de combattre les tares des systèmes publics de gestion sociale mais plutôt de limiter les prérogatives de l'État en associant des acteurs de la « société civile ». l'État doit se limiter à garantir par son autorité un fonctionnement efficace du marché, notamment en protégeant la propriété privée et la sécurité des investissements, et mettre en place des mesures correctives lorsque ce marché en formation est défaillant. La notion est en fait utilisée de façon quasi exclusivement normative pour désigner les institutions, les pratiques et les normes politiques nécessaires, en théorie, à la croissance et au développement économique des pays emprunteurs. La Banque Mondiale énonce quatre conditions à l'établissement de la bonne gouvernance:

 o  l'instaurations d'un État qui respecte le droit des affaires, qui garantisse la sécurité des transactions et le respect des lois et règlements, sans préciser le rapport de ces garanties au régime politique,

 o  la bonne administration qui exige une gestion professionnelle des dépenses publiques,

 o  la responsabilité et l'imputabilité (accountability) qui imposent que les dirigeants rendent compte de leurs actions devant la population et

 o  enfin la transparence qui permet de disposer et d'accéder à l'information.

Le rapport sur le « Développement dans le Monde 1999-2000 », « Entering the 21st Century », confirme cette tendance. Il élargit le terrain des prescriptions d'ajustement à deux aspects de la « gouvernance » que le document de la Banque mondiale de 1992 définissait explicitement comme hors de son champ : la forme du régime politique et la capacité du gouvernement de concevoir, de formuler et de mettre en oeuvre des politiques, et de façon générale de concevoir le pouvoir politique. Dans les analyses relatives à la décentralisation notamment, la Banque souligne cette fois que la bonne gestion administrative et fiscale implique des régimes politiques qui soient des lieux de gestion des ressources. Les citoyens des pays en transition ne sont toujours pas perçus d'abord comme des acteurs politiques, mais plutôt comme des « clients ». Les IFI jettent le voile sur la contradiction et tentent de contourner l'obstacle en mettant en avant leur statut qui leur interdirait d'intervenir directement dans le champ d'accès aux choix, aux décisions et au pouvoir politique. Ceci justifie surtout qu'ils ne fassent rien ou presque pour contrarier nombre de bureaucraties totalitaires mais dociles. Ils continuent par contre à leur procurer des ressources. Pour ne pas agir, hors de la mission de défense des intérêts immédiats des marchés en (tant que créanciers), les institutions financières internationales vont ainsi privilégier une notion tronquée et restrictive de la gouvernance, considérée dans sa neutralité apparente comme «la bonne gouvernance».

Plus gravement, les organismes de financement internationaux ont eu tendance, dans leur discours, à opposer de façon artificielle l'État à la société civile, alors que dans les sociétés non démocratiques ou si peu, en transition, la « société civile » est plutôt un appendice de l 'État qu'un reflet de la société. Ils se trouvent ainsi souvent devant le phénomène du « serpent qui se mort la queue », mais font semblant de ne pas s'en apercevoir. La privatisation et la décentralisation ont été présentées dans la même logique comme permettant de renforcer l'esprit d'initiative des populations, leur autonomie et leur participation au développement de leur pays, comme si l'État de droit, préexistait, les marchés étaient concurrentiels et les comportements rationnels dans l'équilibre...

Les réformes institutionnelles recommandées au nom de la « bonne gouvernance » ont été associées partout, de manière abusive, à la défense de la démocratie. C'est ce qui a permis de justifier l'amnésie des néo-keynésiens et des tenants traditionnels de l'économie sociale au sein des organisations internationales relativement à leurs prétentions antérieures à maintenir l'État dans ses anciennes prérogatives économiques. Au plan académique enfin, la gouvernance ainsi définie exprime pour la plupart des « experts-conseils » qui n'ont pas la malchance de la pratiquer sous la pression de l'endettement et des conditionnalités, une régulation utilisant des techniques de gestion sociale neutres, capables d'assurer de façon magique, pourvu qu'on les applique automatiquement, la cohérence entre orientations, objectifs, moyens et politiques. Pour tous, il s'agit en définitive avec quelques nuances, d'une finalité définie d'avance qui permet de se passer d'une responsabilité et d'un contrôle effectifs de la société dans la définition et à la mise en oeuvre d'un projet collectif.

Les réalités sont cependant têtues. La concession équivoque aux à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par les acteurs du marché néolibéral ne permet pas de sortir le « P.A.S de l'impasse », selon le slogan devenu célèbre des associations qui luttent pour la réduction de la dette des pays pauvres. En dépit des nouvelles promesses de guerre totale contre la pauvreté et de l'emphase accordée aux liens entre « participation » et « gouvernance » dans les études et les discours, rien n'indique que les I.F.I sont en train de changer. Les nouveaux programmes représentent plus une justification des programmes traditionnels d'ajustement structurel qu'une remise en cause d'ordre conceptuel. Plus généralement, le langage utilisé dépouille la lutte contre la pauvreté de son caractère d'obligation légale de solidarité pour la maintenir ou plutôt la faire ouvertement retourner dans un passé à une vocation morale de charité. C'est ce que signifie l'introduction de programmes dits D.S.A. et l'inflation soudaine des réflexions savantes sur « ajustement et équité » au sein de la Banque Mondiale et de l'O.C.D.E.

La fausse-nouvelle conception de la gouvernance est toujours centrée sur la vrai-ancienne approche instrumentale du pouvoir; elle légitime la diversité des acteurs (firmes, organisations à but non lucratif.) qui peuvent intervenir dans la gestion des affaires publiques et dénonce explicitement dans les pays laboratoires, au nom de la modernité, le modèle politique traditionnel qui confie aux seules autorités politiques la responsabilité de la gestion des affaires publiques. La légitimité sociale devient ainsi pour le moins associée à des légitimités de marché. L'entorse à la souveraineté entière des citoyens est camouflée par la suite derrière les qualificatifs de « empowerment », de « capacity » et « consensus building », entretenant l'illusion que la participation des acteurs de marché en tant que partenaires transnationaux d'États seulement nationaux, aux choix souverains, est démocratique et de droit, même si elle transite par des institutions juridiquement mal situées. Ce ne sont pas de tels artifices, présentés comme des évidences qui vont épuiser le débat sur la recherche d'une cohérence entre les rôles de l'État et des institutions financières dans chaque pays. Une des caractéristiques de la gouvernance telle qu'elle est véhiculée par la vulgate néolibérale est qu'elle possède un fort contenu idéologique qui n'est pas toujours assumé, sans qu'on puisse distinguer clairement les approches gestionnaires des approches plus politiques. Dans la plupart des cas, elle n'est envisagée que sous l'angle des modes de coordination permettant d'améliorer l'efficacité de l'action publique par l'animation, dite régulation des relations entre acteurs (conditions de coopération et surveillance techniques des partenariats) pour un bon fonctionnement du marché selon ses propres mouvements. Les modes de régulation sont déterminés par des principes gestionnaires et utilitaristes : la transformation appelée modernisation des structures de gouvernement est une nécessité d'économies financières en période de restrictions budgétaires, au bénéfice le plus souvent des rentiers.

Dans ce cadre, la gouvernance est assimilée à un système de normes et non à une démarche de transition sociale.

Dans une approche plus socialement orientée, autour d'O.N.G et d'agences de l'O.N.U., se dessine plus ou moins clairement et explicitement, derrière la transformation des modes de gestion, la question de l'organisation sociale et politique qui détermine le comportement des acteurs et les choix qui en découlent. La réflexion finit par porter non plus seulement sur les modes les plus efficaces et efficients de gestion, mais aussi sur les rapports nocifs entre l'économique ouvert sur les marchés internationaux et les conditions de son fonctionnement, la demande interne et les dynamiques des marchés restreints sans aller également à étudier le rapport au pouvoir. Des grilles d'analyse en formation autour de la problématique du développement durable se construisent nécessairement autour de lectures plus pertinentes du politique. Derrière un discours à consonance démocratique toujours imprécis, il y a la volonté de réformer les institutions politiques pour limiter les entraves au bon fonctionnement du marché (conception dominante dans le champ anglo-saxon), ou au contraire pour renforcer les mécanismes de régulation pour lutter contre les effets du néolibéralisme et en particulier contre la crise sociale (postkeynésiens plutôt européens).

L'émergence quelque peu maladroite de nombreuses O.N.G peu transparentes sur la scène politique, celle tout à fait illégitime des experts et des bureaucraties transnationales, de leurs réseaux locaux et régionaux, se transformant en partenaires politiques et intempestifs, soient développées des réflexions sur les procédures de participation politique et de contrôle des instances du pouvoir, dans les démocraties plus ou moins émergentes, posent gravement d'importants problèmes de cohérence des systèmes politiques de fait qui se développent dans les pays sous ajustement, souvent sans communication organisée avec les sociétés. De plus en plus utilisé pour défendre des positions idéologiques dominatrices, le sens donné à la gouvernance dans ce contexte équivoque tend à créer l'illusion d'une convergence théorique entre l'approche de la régulation spontanée par le marché et le besoin de faire appel à l'autorité de l'État pour faire assumer naturellement les conséquences économiques et sociales des arbitrages économiques aux acteurs sociaux dominés plutôt qu'aux acteurs sociaux dominants sur les marchés. Il s'est alors imposé en définitive comme un néologisme dissimulant des conceptions différentes, permettant habilement d'éviter de faire face aux problèmes posés par des conceptions antinomiques.

Aujourd'hui s'opère ainsi de façon diffuse un déplacement des responsabilités de l'État à la « société civile » et aux « forces du marché » juridiquement et socialement indéfinis. Ces nouveaux acteurs sont associés au processus de décision sans que le droit national ou international ne les prenne en compte. Les autorités publiques qui s'en remettent davantage aux marchés économiques et sociaux voient leur rôle d'arbitre au non de la collectivité diminué au profit d'une recherche de consensus aux règles cachées, sinon modifiées. Un système qui rompt avec les bases communes du droit ne peut que prétendre à une justification idéologique totalisante. C'est là que ce situe le plus grand danger pour la liberté et la démocratie. Il est ainsi nécessaire comme l'éclaire la pratique sur le terrain de l'ajustement, de renoncer à l'idée d'actes totalement fondés sur des sophismes justifiant une normalisation technique envahissante et réintroduire la politique à travers les conflits qui reflètent les oppositions d'intérêts et de choix sociaux. La gouvernance doit appartenir au domaine de la recherche d'institutions légitimes des choix sociaux, des arbitrages et de l'évaluation démocratique de la responsabilité, afin de mettre en place efficacement et surtout équitablement les intermédiations et les organisations économiques efficaces d'ajustement. Établir les procédures responsables de choix implique d'analyser le comportement les moyens et les motivations des acteurs et non l'équilibre apparent des résultats de leurs actions. Il est également nécessaire de comprendre le fonctionnement du pouvoir de décision à partir de ces mêmes interrogations. La gouvernance gère ainsi les conflits d'intérêts qu'elle doit bien connaître même de façon approximative. Son objectif est la recherche d'un développement qui s'appuie sur une véritable équité sociale, même douloureuse.

L'objectif d'une « bonne gouvernance » n'est jamais la neutralité politique. C'est la mise en place d'une véritable économie des organisations et des institutions. L'activité qu'elle implique doit permettre de dégager des convergences entre les espaces de souveraineté légitime, la nécessité de prendre en compte les représentations et la réalité. Elle s'améliore et gagne en efficacité dans une logique qui intègre les conflits et organise les arbitrages équitables entre acteurs décentralisés. Réduire la gouvernance à l'établissement de normes techniques formellement légalistes valables en tout lieu parce que le marché est le même partout est une aventure confuse sans lendemain.

La gouvernance n'exprime pas une régulation qui assurerait de façon magique non concrète et automatique la cohérence entre orientations, objectifs, moyens et politiques. Elle a besoin et d'un cadre légal politiquement légitime pour être crédible. C'est le coeur de l'organisation , ce qui n'est pas son apparence trompeuse ou sa façade idéologique. L'emprunt du terme à la gestion des firmes a permis pourtant de camoufler pendant vingt ans cette réalité. Le cour de l'économie politique, a révélé partout le lien entre tyrannie institutionnalisation de mécanismes d'accumulation prédatrice et mode de régulation social, politique et économique sélectif et asymétrique.

Il faut toujours choisir dans la réalité entre deux significations de la gouvernance:

 o  Celle que continue de véhiculer le F.M.I et qui limite le rôle de l'État à celui de gendarme du respect des équilibres externes tels qu'ils satisfassent aux attentes des créanciers et des investisseurs financiers. Dans cette perspective, l'adéquation entre d'une part les réformes institutionnelles mises en place sous l'égide des bailleurs de fonds multilatéraux et les contraintes économiques qui résultent de leurs programmes et, d'autre part, les conditions nécessaires à l'ouverture d'espaces politiques dont dépendra la réussite de la période de transition, ne s'est jamais réalisée. Les observations recueillies concluent sur la reconduction des modes de régulation politique et économique antérieurs, mais aussi sur le glissement d'un modèle libéral pluraliste, basé sur un idéal de participation et d'intégration , vers un modèle autoritaire prébendier à logique technocratique s'accommodant voire confortant des stratégies de division et d'exclusion.

 o  Celle qui considère que la gouvernance couvre le champ de l'exercice du pouvoir et qu'il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans que ce dernier, qui contrôle en définitive le fonctionnement du marché ne devienne réellement porteur de progrès social collectif. L'arbitrage équitable ne pouvant se réaliser sans de citoyenneté politique, garantissant l'évaluation et la sanction, pose à la gouvernance le défi d'une libération du politique dont dépendra la réussite de la lutte contre la pauvreté qui abandonne l'inefficace exigence morale de charité pour l'obligation légale de solidarité en lutant contre les rentes injustes et les inégalités pendant la transition. La Gouvernance se situe au centre de gravité d'un triangle dont les sommets constituent les trois obstacles solidaires que sont la corruption financiére, la corruption démocratique et la corruption de la loi.

On ne peut prendre pour modèle dans le choix des contours et des contenus des transitions des théories qui n'identifient pas à la fois les défauts juridiques, sociaux et économiques qui sont à l'origine des régressions dans la pauvreté et le sous développement. Les corruptions des systèmes en crises sont l'oeuvre des acteurs responsables qui exercent l'autorité réelle et non apparente. C'est à leur niveau qu'il faut étudier les conditions d'une bonne administration, pour avoir la possibilité de faire les véritables propositions de modernisation et de dépassement des rapports internes et externes d'extorsion et d'exploitation qui caractérisent la majorité des économies en transition. Ces corruptions et les liens que les détenteurs internes et externes de pouvoir entretiennent entre eux pour s'accaparer du vrai pouvoir de décision doivent être aujourd'hui la préoccupation centrale de l'étude du développement et de la croissance en économie en transition. Examiner partiellement ou en surface les choses, c'est en définitive risquer systématiquement de conforter les règles du jeu des vrais lieux de pouvoir des tyrannies modernes, au Sud comme au Nord, comme l'expérience l'a partout prouvé.




La spoliation à la recherche de « Gouvernance »

En l'absence de véritables innovations théoriques au plan de la pensée économique alternative pour faire face à la dépression dans le tiers-monde et le monde socialiste défunts et subordonnés, la notion de gouvernance va être employée par des courants de pensée différents avec des finalités souvent non explicites, ce qui évite aux économistes et aux intellectuels de prendre partie dans des débats sociaux et politiques. La conclusion aboutit évidement à préférer la démarche néo-libérale avantageuse pour le nouveau régime de gestion capitaliste financier des revendications démocratiques et de redistribution.

Les experts de la Banque et leur réseau de correspondants rétribués incriminent la gestion des capitaux sans recommander d'agir en amont sur les oligarchies dont les intérêts particuliers et les privilèges sont à la source de l'endettement. Ils ne font rien ou presque pour contrarier nombre de firmes véreuses et de bureaucraties totalitaires mais dociles. Ils continuent par contre à leur procurer des ressources. Pour ne pas agir, hors de la mission de défense des intérêts immédiats des marchés en (tant que créanciers), les institutions financières internationales vont ainsi privilégier une notion tronquée et restrictive de la gouvernance, considérée dans sa neutralité apparente comme « la bonne gouvernance ».




Quelles mobilisations ?

Agir aujourd'hui sur le gouvernement dans les pays sous ajustement c'est d'abord bien se pénétrer de la réalité d'un pouvoir transnational dont le coeur est formé des grandes firmes, imposant un fonctionnement libre de marchés du capital, de la monnaie, du travail, des ressources naturelles et bientôt de la vie. Le FMI, la Banque Mondiale et l'O.M.C. n'en sont que les appareils de gestion monopoliste efficace. Ce faisant, c'est surtout dans un rapport de forces, sous la contrainte des tensions provoquées par les implications stratégiques des crises sociales en expansion sur la sécurité et la paix que les pratiques peuvent être infléchies. La « gouvernance » doit nécessairement être redéfinie au niveau de l'organisation sociale pour tenter de trouver des remèdes aux travers qui se dissimulent derrière les mauvais résultats économiques et qui les déterminent.

Cette perspective s'inscrit dans le prolongement des résistances contre les régressions économiques et sociales présentes des démarches injustes de mondialisation. Ce que l'analyse dominante refuse en effet de considérer, c'est que nous assistons à une crise de l'efficacité globale du comportement des acteurs internationaux qui déterminent l'orientation des marchés et que c'est à ce niveau qu'il faut agir.

Un système qui rompt avec les bases communes du droit international et de la Charte des Nations Unis ne peut que conduire à une justification idéologique totalisante. C'est là que ce situe le plus grand danger pour la liberté et la justice non dans les pays concernés par la surveillance de la BM seulement, mais partout dans le monde. Il est ainsi nécessaire comme l'éclaire la pratique sur le terrain de l'ajustement, de renoncer à l'idée d'actes totalement fondés sur des sophismes justifiant une normalisation technique envahissante et réintroduire la politique à travers les conflits qui reflètent les oppositions d'intérêts et de choix sociaux.

Ghazi Hidouci, AITEC ; 9 octobre 2003 Contact pour cet article julien.aitec@globenet.org


 
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