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(par Michel Gicquel) A Bombay, outre les véhicules qui nous sont familiers et quelques animaux plus ou moins domestiques - vaches, chèvres, voire éléphant, nous avons découvert le "rick shaw". Il s'apparente à un véhicule terrestre à moteur, mais le style de conduite de ses chauffeurs fait songer à la fête foraine


Rick Shaw Trip

Le 21/01/2004
Grain de sable
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Bombay, outre les véhicules qui nous sont familiers et quelques animaux plus ou moins domestiques - vaches, chèvres, voire éléphant, nous avons découvert le "rick shaw". Il s'apparente à un véhicule terrestre à moteur, mais le style de conduite de ses chauffeurs fait songer à la fête foraine.


Le rick shaw est un petit véhicule à trois roues et deux couleurs, le noir dominant et le jaune. Il n'a pas de porte et comporte trois places. C'est à dire qu'il peut transporter de une à cinq personnes, chauffeur compris. Le chauffeur est seul à l'avant. Cet engin ressemble à un hanneton, ou à un gros bourdon au vol erratique. Des rick shaws, il y en a des milliers. A moteur pour la plupart. Certains d'entre eux sont équipés d'une propulsion au gaz, identifiés en ce cas par les lettres CNG. Si la couleur des rick shaw, pour ceux qui sont des taxis, est toujours la même, la décoration intérieure et les aménagements de confort apportés par le chauffeur garantissent une certaine diversité. Les termes de décoration et de confort sont les seuls que j'ai pu trouver, mais ils rendent mal compte de l'effet produit.


Quand les visiteurs que nous sommes découvrent ces rick shaw, ils se disent, et ils ont raison, que quitter Bombay sans avoir utilisé ce moyen de transport, c'est comme visiter la France sans manger du pain, ou tremper ses lèvres dans une boisson dérivée du raisin, au moins une fois. Ensuite, il suffit de deux ou trois jours pour puiser en soi le courage de monter dans un de ces moyens de transport.


A trois, nous nous sommes automotivés pour oser l'expérience, sur un trajet familier, FSM-hôtel, une demie heure à trois quart d'heure, il faut toutefois se souvenir que traverser une route à pied constitue ici un exploit. Mais quand le vin de la décision est tiré, il faut le boire.


La première étape consiste à trouver un chauffeur qui connaît l'endroit où nous nous rendons. Bombay est une métropole de 15 millions d'habitants, pas tellement verticalisée, les 5 millions d'habitants des bidonvilles n'ayant pas jugé nécessaire de construire en hauteur. La ville s'étale donc sur une vaste superficie.

Ensuite, négociation ouverte sur le tarif de la course, les compteurs semblant n'avoir qu'une fonction décorative, ou peut-être religieuse. La négociation ayant abouti dans un sens satisfaisant à la fois pour les trois clients que nous sommes et pour le chauffeur, nous montons dans cet engin dépourvu de portes, de confort, de ceintures de sécurité, de place, dont la carrosserie, réduite à minima semble aussi résistante qu'une coquille d'¦uf. Pour la partie supérieure, c'est de la toile. Le départ est brutal, d'autant que l'engin ne roule pas nécessairement sur la route. La traversée de la foule des piétons, nous sommes à la sortie du FSM, et des véhicules qui se mêlent aux piétons, nous sommes à Bombay, se fait à l'esbrouffe.

En même temps, le chauffeur s'efforce de converser avec nous, en se retournant complètement. La crispation de nos mâchoires rend d'ailleurs notre anglais difficilement intelligible, ce qui force le conducteur à se concentrer. Sur la traduction, aucunement sur la route et les obstacles comme le gros camion multicolore en face, par exemple.

Nous découvrons assez rapidement l'intérêt de la traversée du terre plein de séparation entre deux voies de circulation : cela fait gagner du temps et donne au rick shaw un style 4X4 du meilleur effet. En revanche, le refus d'allumer les phares, partagé la nuit par la majorité des conducteurs, nous laisse perplexes.

C'est un choc culturel qui nous semble augurer d'autres types de chocs, plus physiques. Dans un premier temps, le chauffeur maintient ses efforts de conversation, ce qui lui permet de tourner presque continuellement le dos à la route. Route où deux files permettent le passage de quatre véhicules de front, en mordant un peu sur les bas-côtés. Ainsi, le passage au klaxon entre deux poids lourds s'avère-t-il, à notre grand soulagement, un exercice parfaitement maîtrisé par notre volubile chauffeur.

Lequel, fatigué de parler tout seul, finit par nous demander un "sounne? you want sounne?" qui nous laisse perplexes. Jusqu'à ce qu'il déclenche une sono tonitruante et disco, qui se met en marche avec un tas de lumières multicolores et clignotantes. C'est la surprise totale. Nous sommes grimpés dans une boite d'allumettes roulante et sans transition, c'est la boite de nuit. On y est d'ailleurs aussi serrés que dans les plus courues.

Le trajet se poursuit ensuite, émaillé de petites courses improvisées avec les chauffeurs des véhicules environnants: camions, bus, voitures, autres rick shaw. Pour gagner, la technique est simple: se faufiler là où, manifestement, il n'y a pas la place nécessaire. Frôler les égouts larges et ouverts, emplis et malodorants. Menacer la stabilité d'un stand de fruits ou d'un restaurant de trottoir. Griller tous les feux rouges ne constitue pas, dans ces compétitions, un avantage, car tout le monde le fait. Parfois, un bouchon impose l'arrêt. Ils sont rares, malgré la technique de conduite des habitants de Bombay, mais ils se produisent parfois. En général, quand, à un carrefour, il y a un feu rouge et un policier, debout seul au milieu de ce bazar déambulatoire et klaxonnant, ça roule. Mais, heureusement, il n'y a pas beaucoup plus de policiers affectés à la circulation que de motards équipés d'un casque.

C'est à cette occasion, selon les quartiers, que les mendiants assaillent les rick shaws. La femme qui me demande à manger pendant que je regarde sa main sans doigts et le trou à la place de son nez est une de ces mendiantes. Elle vit sous l'autoroute qui surplombe pendant des kilomètres la route que nous parcourons. Nous les apercevons tous les jours en passant. Ils n'ont rien, un peu moins que rien, même. Ils sont un million, dans les rues de Bombay, qui ne font pas partie des quatre millions vivant dans des bidonvilles. Un million, c'est la population d'une ville comme Lyon, ou Marseille, c'est cinq fois la population de Rennes. C'est une misère de masse, puante et implorante, hagarde et fantomatique. La femme qui me demande de l'argent a sans doute la lèpre. Moi, je ne suis pas sur qu'elle ait la vie. La misère la lui a enlevée. Lorsque le rick shaw repart enfin, j'ai presque honte d'être soulagé.

Hier, une des militantes d'Attac a été agressée dans un de ces rick shaws sans porte. Un de ces fantômes de la rue voulait lui arracher du doigt une bague. Nous allons arriver à l'hôtel, intacts mais pas indemnes. Enfin, aujourd'hui, au moins, nous n'avons pas heurté de chèvre en roulant, comme l'autre soir, avec le taxi.


Le rick shaw est-il vraiment un sujet altermondialiste? Au temps des derniers feux de l'Empire britannique, ils existait déjà. Avec des vélos. Symbole du colonialisme. Aujour'hui, sur le FSM, une association propose le retour au rick shaw bicyclette, contre la pollution.

Par Michel Gicquel

 
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