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(par Thomas Coutrot, membre du Conseil scientifique d'Attac France) article paru dans Politis n°781-782) Démocratie et capitalisme sont indissociables. C'est du moins la leçon que nous sommes tous supposés avoir tiré de la chute du mur de Berlin


Capitalisme, démocratie et insécurité

Le 14/01/2004
Grain de sable
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émocratie et capitalisme sont indissociables. C'est du moins la leçon que nous sommes tous supposés avoir tiré de la chute du mur de Berlin. Les USA en sont les plus ardents propagandistes, et veulent propager, si nécessaire par le fer et par le feu, des élections libres et des marchés libres dans toutes les régions du globe : "free elections, free trade, free markets", dit souvent George W. Bush pour caractériser sa politique extérieure, au Moyen-Orient et ailleurs.

Or la démocratie américaine traverse une grave crise. La majorité (pauvre) des électeurs a renoncé à voter tant les deux grands partis menaient des politiques similaires. Les élections se gagnent à coup de centaines de millions de dollars de contributions privées pour financer les campagnes des candidats. Le grand capital possède tous les médias et manipule sans vergogne les esprits, au point que 60% des américains croyaient encore en août 2003 que Saddam Hussein était mêlé aux attentats du 11 septembre.

Certes, la loi McCain-Feingold, votée du temps de Clinton et qui interdit aux entreprises (et aux syndicats!) de contribuer aux campagnes électorales nationales, vient d'être approuvée définitivement par la Cour Suprême. Elle s'appliquera donc pour l'élection présidentielle de 2004 : les budgets électoraux devraient en théorie être considérablement réduits puisque les candidats ne pourront officiellement que recueillir des contributions de particuliers, dont le montant est plafonné. N'est-ce pas une preuve de la capacité permanente de la démocratie américaine à se renouveler?

Malheureusement il n'en est rien, pour trois raisons au moins. D'abord Bush - qui, rappelons-le, a été élu bien qu'il ait recueilli moins de voix au plan national que Gore, et suite à un décompte frauduleux en Floride - a déjà récolté 100 millions de dollars de " petits " contributeurs pour sa campagne de 2004, soit quatre fois plus que son probable rival démocrate Dean. Les deux grands partis sont d'ailleurs de facto d'accord pour détourner la loi en multipliant fondations et comités qui recueillent de gros chèques et les recyclent dans le financement indirect des candidats.

Ensuite, le " hold-up " des machines à voter de Floride pour l'élection de 2000 semble n'avoir été qu'une mise en jambe pour les républicains. De nouvelles machines à écran tactile (comme chez nous les distributeurs de billets de train) se généralisent maintenant aux Etats-Unis pour remplacer les vieilles machines mécaniques à compter les votes. Un article du journal britannique The Independent, repris par Courrier International, fournit un panorama hallucinant des fraudes permises par ces ustensiles, dont les trois grands fabricants - Diebold, Sequoia et ESS - sont tous des contributeurs importants du parti républicain. Parmi les Etats où ils ont implanté leurs machines, plusieurs bastions démocrates - la Géorgie, l'Alabama, le Colorado, le Minnesota, l'Illinois, le New-Hampshire - ont été remportés de façon inattendue par les républicains aux élections de mi-mandat en novembre 2002. Tandis que les sociologues spécialistes du corps électoral s'arrachaient les cheveux pour comprendre le comportement des électeurs, la presse publiait une lettre écrite aux républicains de l'Ohio par le patron de Diebold, où il s'engageait à "aider l'Ohio à donner ses voix au président". Curieusement, les programmes informatiques utilisés par ces machines sont des secrets commerciaux - concurrence oblige! - et leur accès est interdit à des experts indépendants, ou même aux Etats qui les ont acheté et les utilisent. Ils sont pourtant notoirement truffés d'erreurs et de failles de sécurité.

Pourtant selon The Independent, "l'éventualité de scrutins truqués n'est pas un sujet de discussion aux Etats-Unis". La guerre contre le terrorisme vampirise les unes des médias, démocrates ou républicains, devenus unanimement patriotiques. "Depuis le 11 septembre, les médias américains - qui avaient monté en épingle le moindre soupçon de scandale pendant les années Clinton - sont devenus très protecteurs de la majesté de l'office ", reconnaît l'économiste Paul Krugman dans le New-York Times du 16 décembre.

C'est la troisième raison de pleurer la démocratie américaine: l'instrumentalisation de la menace terroriste permet de faire passer des énormités - comme les lois liberticides, Guantanamo, ou les machines à voter républicain - qui auraient semblé inadmissibles autrefois. Tout comme chez nous, l'insécurité physique et morale justifie des lois contre les pauvres, les étrangers, les chômeurs, les jeunes de banlieue, les musulmanes voilées.

Le néolibéralisme rognait la démocratie en dissuadant les pauvres d'aller voter: n'y avait-il pas "qu'une seule politique possible"? Le libéralisme sécuritaire les mobilise dans des croisades contre l'ennemi étranger, et toute argumentation est devenue inutile. La peur est décidément mauvaise conseillère, mais jamais elle n'aura autant été écoutée.

par Thomas Coutrot
membre du Conseil scientifique d'Attac France)
article paru dans Politis n°781-782

 
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